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Haïti-Conjoncture : Une marche de jeunes paysans se transforme en manifestation antigouvernementale

Par Ronald Colbert

Papaye (Hinche / Haïti), 23 août 2010 [AlterPresse] --- A quelques heures de la publication d’une liste de candidates et candidats, dont les dossiers sont jugés conformes à la présidentielle annoncée pour le 28 novembre, des milliers de personnes ont marché, le 20 août 2010, sur une dizaine de kilomètres, de Papaye à la place publique de Hinche (128 km au nord-est de la capitale), pour exprimer leur refus d’intégrer le processus électoral en cours, a observé l’agence en ligne AlterPresse.

“Nous ne voulons pas de ce scrutin à la va-vite pour le 28 novembre, ni d’un projet de reconstruction de la république de Port-au-Prince. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est nous assurer de bonnes récoltes pour pouvoir envoyer les enfants à l’école en octobre prochain”, affirme Philefrant Cénaré du Mouvement des paysans de Papaye (Mpp), dont la structure a accueilli, du 15 au 21 août, un camp d’été de jeunes venus des 10 départements géographiques du pays.

Le message, délivré à l’occasion, se veut une mise en garde à la communauté internationale qui, par l’intermédiaire de l’organisation des Nations Unies (Onu), de l’organisation des États américains (Oea) et de la communauté des Caraïbes (Caricom), promeut la tenue des consultations présidentielles de novembre dans des conditions considérées comme non pertinentes.

“Onu, Oea, Caricom, prenez garde dans votre obstination à encourager une présidentielle programmée, pendant que plus d’1 million et demi personnes vivent sous des tentes et abris de fortune [depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010] et que plus de 500 mille autres ont été contraintes de se déplacer en différents points du territoire national…”

Sur le parcours, quadrillé par des agents de la police nationale d’Haïti (Pnh) et des militaires de la Mission des Nations Unies de stabilisation en Haïti (Minustah), de nombreux jeunes ont effectué de petits trots, tout en lançant (par intervalles) des slogans hostiles au président René Garcia Préval et à la composition actuelle du Conseil électoral provisoire (Cep).

Presqu’à pas de course, les 600 jeunes filles et jeunes garçons, en provenance des 10 départements géographiques du pays, qui allaient boucler 5 jours de réflexion sur la souveraineté alimentaire, les changements climatiques et l’environnement, ont été rejoints par de grandes personnes, femmes et hommes, à partir du Sant Lakay (centre de formation du Mpp) jusqu’à la place Charlemagne Péralte de Hinche (du nom d’un révolutionnaire haïtien qui a combattu la première occupation étasunienne de 1915 à 1934).

Rebâtir l’environnement revient à soutenir une production agricole nationale : tel est l’un des leitmotive, lus sur les banderoles mises en évidence pendant la marche du vendredi 20 août 2010, transformée en manifestation antigouvernementale.

Au moment où un jeune donnait lecture des conclusions de leurs réflexions, sur la place publique Charlemagne Péralte, d’autres jeunes discutaient, entre eux, [non loin du stand érigé sur un camion] des objectifs de cette manifestation, des structures de l’État, de la corruption, des motifs de cette levée de boucliers contre Préval à quelques mois de la fin de son mandat.

Certains de ces jeunes sont même allés jusqu’à lancer des invectives contre des dirigeants du Mpp.

Débat accepté par des membres du Mpp, présents sur la place publique, qui ont profité de la circonstance pour expliquer à ces jeunes “dubitatifs” certains aspects de la réalité sociopolitique et socioéconomique d’Haïti aujourd’hui, comment il convient de définir l’État “en tant qu’institution morale, que des personnes placées à sa tête sont appelées à jouer le rôle de serviteuses et serviteurs, à se mettre au service de la population…”.

Entre-temps, dans leur déclaration finale du camp d’été 2010, les jeunes délégués, paysannes et paysans des 10 départements géographiques d’Haïti, déclarent vouloir s’impliquer et encourager les organisations de jeunes à s’engager dans toutes les initiatives de mobilisation visant à transformer les structures de l’État qui, dans son mode fonctionnement actuel, ne garantit ni la vie de la population ni l’avenir des jeunes.

“Nous entendons participer dans la construction d’une société respectueuse des droits de toutes, tous, de chacune et de chacun, dans laquelle sont bannies toutes formes de violence, particulièrement la violence sur les femmes et les enfants”.

Parallèlement, les 600 jeunes délégués paysans, jeunes filles et jeunes garçons du camp d’été 2010 à Papaye, se prononcent pour une articulation de toutes les forces vives du pays, y compris des mouvements sociaux, dans la lutte contre l’occupation d’Haïti et contre le projet “importé” de reconstruction nationale.

Tout en dénonçant l’attitude affichée par le gouvernement du premier ministre Joseph Jean Max Bellerive après le séisme du 12 janvier 2010, les 600 jeunes délégués paysans exigent l’implantation d’une politique de production agricole qui restitue à Haïti sa souveraineté alimentaire, à l’instar de la période des années 1970.

Ils préconisent également un ensemble de voies et moyens à suivre en matière d’environnement, d’éducation, de santé et de droits des enfants. [rc apr 23/08/2010 10:00]