Par Roody Édmé*
Spécial pour AlterPresse
Comme une balafre qui traverse le visage déjà dévasté de la capitale, le portail Léogane est la « porte étroite » et miséreuse qui conduit à l’agglomération éventrée de Carrefour dont les quartiers étagés en direction du morne l’hôpital vident, sur la route qui conduit vers le grand Sud, leurs viscères et autres miasmes morbides.
Jadis ce portail ouvrait sur une « commune » de Carrefour, banlieue pimpante et bucolique qui servit de cadre à un roman à succès de Kettely Mars : L’Heure hybride. Le Carrefour de l’époque abritait les meilleurs hôtels de plage et des maisons de campagne dans l’ombre historique de l’habitation Leclerc. Et c’était la route qui conduisait à tous les plaisirs débridés, caressés par la brise de mer, mais aussi et surtout à de magnifiques promenades écologiques avant même que ce concept ne fut à la mode.
La cité d’Albert Mangonès et de Jn René Jérôme était le lieu géométrique de toutes les inspirations, depuis une certaine Catherine Dunham, vénus noire du folklore haïtien.
Et puis, le portail Léogane et ses lieux avoisinants ont été plongés dans le vortex du totalitarisme à l’époque des années de braise. Un cerbère du nom de Ti Bobo en avait la garde vigilante et sanglante.
Et puis encore, ce petit bout de ville, cordon ombilical entre Carrefour et Port-au-Prince devint le « kosovo », allusion à cette région de l’Europe dévorée dans les années 90 par une guerre meurtrière. Cette appellation signifiait que le portail Léogane, à l’instar de son voisin d’en face, le portail St Joseph entrait dans une lente et certaine « putréfaction », causée par une forme organisée de banditisme greffée sur une misère iconoclaste.
Le portail depuis belle lurette n’inspire plus l’idée de vacances et de détente. Et la route de Carrefour, depuis quelques trop longues années n’est plus ce boulevard s’étirant paresseusement le long de la mer. Cette route qu’on avait plaisir à prendre le soir pour guetter les signaux lointains mais têtus des navires curieux de nos côtes accueillantes, ou les lumières enchantées de l’hôtel beau rivage qui tous les soirs annonçaient que malgré la dictature et moult souffrances, les Haïtiens n’avaient pas perdu le sens de la fête.
Cette route qui conduit vers le grand Sud fut jadis, un long ruban tressé à l’ombre de palmiers qui cachaient difficilement de magnifiques résidences de vacances ou de modestes demeures annonçant la campagne. Aujourd’hui prendre cette voie participe d’un cauchemar ! La route conduisant à Carrefour est aujourd’hui le concentré de la dégradation urbaine. Une synthèse affligeante de nos problèmes de gouvernance.
Un véritable parcours de combattant attend celui qui souhaite passer un weekend dans le Sud et qui doit traverser cette voie obstruée et sale, affligeante et déprimante. Je n’ai jamais compris pourquoi l’assainissement de cette zone conduisant dans une région du pays considérée comme hautement touristique n’ait pas été pour les pouvoirs publics locaux ou nationaux : une priorité !
Le gouvernement a annoncé la construction de la route dite des Rails qui devra aider à décongestionner la principale voie traversant Carrefour, et il y aurait dans les cartons des projets de la reconstruction : une renaissance de notre « down town », une vie nouvelle pour le Port-au-Prince historique. Mais ces projets annoncés devraient embrasser l’ensemble du paysage et inclure les portes nord et sud de la ville crasseuses et abandonnées.
*Educateur, éditorialiste