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Haiti-Mondial : Oublier un moment la tragédie pour fêter la victoire du Brésil contre le Chili

P-au-P., 28 juin 2010 [AlterPresse] --- Des milliers d’Haïtiens ont gagné les rues de Port-au-Prince, capitale en partie dévastée, pour célébrer la victoire du Brésil, équipe favorite des Haitiens, qui a remporté par 3-0 le match contre le Chili, en huitième de finale de la Coupe du monde en Afrique du Sud.

Cette partie, qui a ouvert la porte des quarts de finale au Brésil, a déclenché une ferveur massive en Haïti, où des supporters groupés dans plusieurs espaces résidentiels ou commerciaux ont suivi le match, retransmis par plusieurs chaines de télévision ou des stations de radio locales.

La passion qu’a suscitée la victoire du Brésil sur le Chili a pu être vérifiée même dans les camps de personnes déplacées après le terrible tremblement de terre du 12 janvier. De nombreux sinistrés ont alors oublié leurs cuisants problèmes quotidiens, le temps d’un match, diffusé sur grand écran et à travers des haut-parleurs à fond le volume.

Environ 1,2 million de personnes vivent dans des conditions inhumaines sous des bâches et des tentes, dans la boue, après avoir perdu leurs toits lors du séisme, qui a fait 300.000 morts et autant de blessés.

« Je fais la fête jusqu’à 3 heures du matin », déclare Jean-Claude, un des nombreux fanatiques qui se sont offerts le match dans une ambiance à tout casser à la « base » de Delmas 55 (secteur nord de la capitale), décorée aux couleurs du Brésil (vert et jaune).

Les véhicules ont eu de sérieux problèmes pour pouvoir traverser ce quartier où s’est produit un embouteillage monstre à cause de la présence de la foule sur ce tronçon de l’avenue Delmas.

Des milliers de personnes vêtues aux couleurs du Brésil ont transformé ce 28 juin en jour de carnaval. Ils ont dansé au rythme des morceaux improvisés par des bandes de « raras » (groupes musicaux traditionnels) ou au son assourdissant des systèmes mis en place par des « disc-jockeys ».

« Tout s’est très bien passé », estime Justin, nageant dans le bonheur que lui a procuré la partie, ainsi que les bouteilles de bière qu’il s’est dépêché de vider.

Le football a ainsi apporté une espèce de baume dans un environnement déprimant, en l’absence de véritables solutions à la crise humanitaire qui affecte le pays et l’angoisse que commencent à générer des signes de résurgence de l’insécurité.

Le week-end écoulé, un couple a été froidement assassiné par des bandits à Thomassin (périphérie est de Port-au-Prince) au moment où les époux rentraient chez eux vers 1 :00 du matin, rapportent les médias.

La passion du football est telle en Haïti que, selon les analystes, le gouvernement en a profité pour publier, la semaine dernière, un décret qui donne mandat à l’actuel Conseil électoral provisoire (Cep) d’organiser les prochaines élections générales, alors que l’organisme est décrié, notamment par les secteurs de l’opposition

Les réjouissances de ce 28 juin se sont déroulées sous les yeux de la police, et des médias n’ont pas cessé d’appeler les supporters de l’équipe brésilienne à ne pas perdre la raison et à rester maitre d’eux-mêmes pour ne pas commettre des actes qu’ils pourraient regretter.

Drapeaux flottant du haut des devantures de magasins, des résidences et des véhicules, t-shirts, bandeaux, colliers, bracelets... tout a servi à démontrer la mobilisation des Haïtiens en faveur de « leur équipe », tandis que le 11 national était loin d’atteindre la Coupe du monde, à laquelle une participation d’Haiti remonte à 1974.

« Le Brésil et l’Argentine sont les deux équipes étrangères ayant le plus de fanatiques en Haiti », explique le commentateur sportif Stephane Pierre-Paul à AlterPresse.

Pierre-Paul souligne que la relation des Haitiens avec ces équipes revêt « une dimension symbolique importante ». Selon lui, l’impression est qu’ « ils recherchent une victoire par procuration, car, dans le football haïtien, ils ne trouvent pas le niveau de jeu que déploient ces équipes-là ».

Cependant, « un intérêt particulier » est décelé cette année chez la population haïtienne pour le mondial, qui se déroule sur le continent noir, « alma mater » des Haïtiens dont les ancêtres ont été arrachés de l’Afrique et conduits en Amérique dans le cadre de la traite négrière (XVIe siècle).

Avec la victoire du Brésil sur le Chili, les fanatiques haïtiens ont laissé éclater leur joie après avoir offert un « accueil mitigé » à leur équipe favorite, qui, à leur goût, n’avait pas, jusque-là, offert le spectacle attendu.

Pour leur bonheur, et aussi pour calmer la pression que faisaient monter les manifestations anti-gouvernementales d’avant le mondial, le Brésil a semblé renouer avec la « fantaisie » qui caractérise son jeu.

Mais, certains appréhendent déjà les dernières notes de la fête, lorsque le rideau sera tombé sur cette coupe du monde. [gp apr 28/06/2010 19 :00]