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HaitiWebdo, Numero 57

Le régime au pouvoir en Haïti essaie à nouveau de discréditer la Presse nationale, pour les informations relayées sur les manifestations antigouvernementales. En plus des gaz lacrymogènes, la Police Nationale a commencé à expérimenter une injection intraveineuse sur des étudiants qui réclament le départ du président du 26 novembre Jean-Bertrand Aristide. Mais, la détermination chez divers secteurs de la vie nationale tend à augmenter en intensité dans divers points du territoire du pays en vue d’aboutir au renvoi de l’actuel régime. Au moins cinq fonctionnaires lavalas se sont démis de leurs fonctions pour protester contre l’allure fasciste du régime.

LE SANG RISQUE DE COULER ENCORE

Par Ronald Colbert

Les gangs armés, protégés par le régime au pouvoir en Haïti, risquent de mettre le pays à feu et à sang pour permettre au président du 26 novembre 2000, Jean Bertrand Aristide, d’aller jusqu’au bout d’un mandat controversé de 5 ans, acquis avec la participation de moins de 5% de l’électorat.

Deux ans après avoir saccagé, en toute impunité, les locaux de responsables et de partis politiques (le 17 décembre 2001), les partisans (y compris des enfants) armés du pouvoir et utilisant des véhicules de l’Etat se servent de propos incendiaires pour démontrer leur volonté à « se défendre » contre toutes celles et tous ceux qui disent « A BAS Aristide ».

Nombre (encore indéterminé) de manifestants ont été blessés par balles et autres objets pendant les manifestations du 17 décembre 2003 en divers points du territoire national.

De plus en plus mécontents des reportages faits par la Presse nationale sur les manifestations antigouvernementales, les officiels du régime lavalas au pouvoir en Haïti qualifient de mensonges l’ensemble des témoignages diffusés ces derniers jours. Ces officiels ainsi que leurs partisans s’en prennent nommément à beaucoup de journalistes et médias de la presse indépendante qui, selon eux, alimenteraient une campagne de « désinformation » contre le régime.

Désormais sur pied de guerre, comme ils l’ont fait savoir, ils menacent de décapiter les journalistes et d’attaquer « manu militari » divers médias, après avoir appelé les « bases lavalas » à prendre les armes pour contre les manifestants anti-Aristide.

Effectivement, après des rafales d’armes le 10 décembre sur Radio Caraïbes et Radio Antilles Internationale à Port-au-Prince, des miliciens lavalas, montés à bord d’un véhicule de la Téléco (les Télécommunications d’Haïti, organisme d’Etat) ont tiré le 17 décembre 2003 en direction des journalistes de la station privée Radio Ibo, qui sont sortis heureusement indemnes de l’agression. Ces mêmes partisans lavalas ont pris en chasse plusieurs autres journalistes de médias indépendants qui assuraient la couverture des manifestations antigouvernementales dans la capitale le 17 décembre.

Dans la nuit du 16 au 17 décembre 2003, les bandes lavalas, couvertes par des unités de la Police nationale, suivant des témoins, ont attaqué à coups d’armes à feu les stations Radio Maxima et Radio Vision 2000 au Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays à 248 kilomètres au nord de la capitale.

Les faits sont pourtant évidents, comme lors des récents événements au Cap-Haïtien, pendant lesquels les journalistes avaient été témoins des tirs d’armes exécutés par des policiers eux-mêmes sur des véhicules de Police. A rappeler que, malgré la réalité des forfaits, le gouvernement lavalas avait aussi démenti que la Police avait été responsable de la mort d’un bébé de 15 jours, brûlé vif dans une maison incendiée par une unité d’intervention aux Gonaïves, à 171 kilomètres au nord de Port-au-Prince.

Nouvelle formule

Au moins trois étudiants ont reçu des piqûres intraveineuses administrées par des membres de la Compagnie d’Intervention et du Maintien de l’Ordre (CIMO), au cours de la manifestation du lundi 15 décembre 2003. Une femme-médecin, qui a soigné l’un des étudiants, a confirmé le 17 décembre disposer de preuves matérielles (y compris des photos) sur cette nouvelle méthode mise en œuvre par le régime pour contrecarrer la mobilisation orchestrée à travers le pays pour renverser le régime d’Aristide.

De nombreuses voix se sont élevées pour mettre en garde contre cette nouvelle forme de « crime contre l’humanité », l’injection par seringue d’un liquide suspect qui pourrait viser l’extermination d’une bonne partie de la population, à l’instar des jours macabres du nazisme, du fascisme et de tous les autres systèmes de terreur et de dictature enregistrées de par le monde.

Récemment, les partisans lavalas avaient lancé sur les manifestants contre l’arbitraire des jets de « pwa grate », une feuille locale contenant une substance « vénéneuse » qui suscite des picotements voire de la grattelle chez les personnes ayant été en contact avec cette « feuille ». Les miliciens lavalas avaient aussi utilisé des produits chimiques qui avaient causé des « brûlures » sur la peau des manifestants.

Injection intraveineuse, substance végétale vénéneuse, produits chimiques, pipi, gaz lacrymogènes, fouets, pierres, forment aujourd’hui la panoplie des accessoires, en plus des rafales d’armes, expérimentés contre les manifestants exigeant la démission de Jean-Bertrand Aristide du pouvoir.

Cependant, d’autres manœuvres de dissuasion seraient envisagées par le régime lavalas en guise d’autres actions violentes contre les mouvements de révolte et de désobéissance civile en cours.

Un plan ?

Empêcher toute manifestation aux alentours du Palais National, interdire l’accès vers le siège de la Présidence haïtienne, établir des brigades d’hommes armés pour sillonner à bord de véhicules sans plaques d’immatriculation les rues de Port-au-Prince, Cap-Haïtien, Gonaïves et Petit-Goâve semer la panique dans les rangs du secteur commercial en incendiant des stations d’essence et des magasins, commencer par l’enlèvement de certaines têtes de pont du mouvement étudiant, réduire au minimum la capacité d’émission des stations de radio (spécialement de la capitale), maîtriser la zone de Raboteau (fief des partisans du défunt Amyot Métayer, ancien supporter lavalas aux Gonaïves) en utilisant tous les moyens possibles (incluant magie et infiltration), accélérer l’arrivée dans le pays du bateau militaire qui est parti de l’Afrique du Sud avec 200 militaires à bord pour sécuriser les Gonaïves : telles seraient les actions qui auraient été planifiées, selon les informations circulant la semaine dernière dans les milieux politiques à Port-au-Prince.

Coïncidence troublante, plusieurs des manœuvres ci-dessus ont commencé par trouver un terrain d’application, sous diverses formes.

Trois (3) stations d’essence, pourtant fermées à l’occasion de la journée de grève générale, ont fait l’objet d’attaques de gens armés qui ont saccagé et perpétré des actes de vandalisme (y compris incendie de matériels) dans ces stations. Au cas où ces actes d’agression continuent, les distributeurs de produits pétroliers se verront dans l’obligation de cesser leurs opérations, a prévenu l’Association Nationale des Distributeurs de Produits Pétroliers (ANADIPP).

Le vendredi 12 décembre 2003, des groupes armés se réclamant du régime lavalas ont rançonné de nombreux chauffeurs et se sont emparés de force de plusieurs véhicules privés, à bord desquels ils allaient se trouver tandis qu’ils tiraient des rafales d’armes dans certains quartiers. Ces mêmes bandits armés ont violé au moins 5 jeunes femmes la semaine dernière, dont une patiente à la Maternité (publique) Isaïe Jeanty dans la capitale.

Le dimanche 14 décembre 2003, le véhicule où se trouvait le sénateur contesté Pierre Sonson Prince, l’un des nouveaux dissidents lavalas avec l’ancien militaire Dany Toussaint, a essuyé des tirs d’armes provenant d’un véhicule de l’Etat, à bord duquel Prince a identifié le député contesté James Desrosins. Cette attaque, pour laquelle aucune victime n’a été signalée, a été enregistrée après qu’un autre député contesté Nahoum Marcellus avait menacé d’ « agir » contre Prince accusé d’ « avoir transporté des armes au profit des membres de l’opposition du Nord ».

Aucun bilan précis n’existe encore autour des événements de la semaine dernière, pendant lesquels 2 étudiants étaient portés disparus.

Entre-temps, 5 jeunes ont gagné l’ambassade du Mexique à Port-au-Prince, auprès de laquelle ils ont sollicité l’asile politique. Le gouvernement mexicain n’a encore annoncé aucune décision sur ces cas.

Perspective politique

Une nouvelle plate-forme, regroupant des organisations sociales et des partis politiques, s’apprête à présenter à la nation un programme de désobéissance civile et un plan de transition, pour éviter tout chaos après le départ d’Aristide. Cette plate-forme a organisé une journée de grève, globalement suivie le 16 décembre 2003 dans la zone métropolitaine de la capitale.

Les habitants de Port-au-Prince ont tenté de s’approvisionner les 13 et 15 décembre 2003, dans la perspective d’éventuels blocages ou agitations durant les jours à venir. D’autres habitants, qui vivent au jour le jour mais qui affirment soutenir le mouvement de protestations anti-Aristide en cours, risquent d’éprouver d’énormes difficultés d’approvisionnement au cas où la tension persiste.

Pour leur part, les étudiants de Port-au-Prince maintiennent la mobilisation et descendent dans les rues quotidiennement depuis le 10 décembre, avec le support de nombreux secteurs, y compris des artistes, pour réclamer la démission de Jean-Bertrand Aristide et de son gouvernement déclarés hors-la-loi depuis le 30 octobre par la Coordination Nationale de Plaidoyer pour la Défense des Droits des Femmes (CONAP). Un groupe d’avocats a annoncé leur disponibilité technique pour venir en aide juridiquement à tous les étudiants qui seraient victimes d’arrestations, face à leur levée de boucliers contre le régime de Jean Bertrand Aristide.

Les manifestations anti-Aristide gagnent en intensité dans diverses régions d’Haïti : l’Ouest, le Nord, l’Artibonite, le Centre, le Sud, le Sud-Est et le Sud-Ouest.

A la suite de la ministre de l’Education Nationale Marie Carmel Paul Austin, une autre ministre (Martine Deverson, Tourisme), un directeur général (Dr. Emile Hérald Charles, Santé Publique) et un ambassadeur (Guy Alexandre, République Dominicaine) se sont désolidarisés de l’attitude du gouvernement en démissionnant de leurs fonctions.

Du côté de la communauté internationale, qui semble ne pas bien comprendre les nouvelles réalités de refus de l’arbitraire qui se développent en Haïti, des voix commencent par s’élever pour condamner la répression mise en œuvre ces derniers jours par le régime lavalas.

Le Département d’Etat étasunien a dénoncé le régime lavalas qui se sert de « gangs armés » pour mater les mouvements légitimes des étudiants, au lieu de prendre des dispositions régulières pour résoudre la crise nationale.

Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) canadiennes, qui avaient appuyé le retour physique d’Aristide en 1994, ont demandé au gouvernement du Canada de couper toute relation avec le régime au pouvoir en Haïti.

Le Parti socialiste français estime qu’il n’est pas possible de célébrer 2004 avec Aristide au pouvoir.

Pour des membres du Collectif « NON », les manifestations anti-Aristide en cours aujourd’hui peuvent être considérées comme des formes de célébration du bicentenaire de l’Indépendance d’Haïti le 1er janvier 2004, qui avait marqué la rupture d’avec les chaînes de l’esclavage et de l’oppression des libertés.