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Post-séisme : Bannir l’exclusion pour reconstruire Haïti, préconise le forum libre du jeudi

Par Karenine Francesca Théosmy

P-au-P, 19 juin 2010 [AlterPresse] --- Ne pas exclure à nouveau ‘’le pays en dehors’’ constitue l’un des plus grand enjeux de la reconstruction en Haïti, considère le géographe Jean Marie Théodat qui a pris part au Forum libre du jeudi (17 juin 2010, à Port-au-Prince), organisé autour des « enjeux sociaux de la reconstruction » et auquel a assisté l’agence en ligne AlterPresse.

Le géographe Théodat a ouvert les débats aux côtés de Laennec Hurbon, Miguel Jean Baptiste et Alain Gilles.

Dans leurs exposés, ils ont tous rassemblé un ensemble d’enjeux, liés au contexte post-séisme (du 12 janvier 2010), et jeté la lumière sur des réalités (objectives) qui pourraient vite se transformer en la plus grande crise que le pays ait jamais connue.

Entrée en scène des masses

Mises à l’écart dès l’indépendance (après le 1er janvier 1804), les masses défavorisées sont aujourd’hui « au cœur du système », d’après Jean Marie Théodat.

A la faveur de l’exode, elles ont progressivement occupé les espaces à Port-au-Prince, lieu de concentration du pouvoir et des activités économiques.

Au lendemain du 12 janvier 2010, en envahissant les espaces publics comme le Champ de Mars (Ndlr : principale place publique de la capitale, à proximité des ruines du palais présidentiel, transformée en camps de personnes déplacées après le séisme), ces masses ont symboliquement conquis « le devant de la scène », souligne Théodat.

« Le pays en dehors est aujourd’hui le pays du dedans » et « il faudra agir avec beaucoup de doigté pour ne pas ré-exclure ce pays en dehors », à un moment ou l’élite politique et économique se retrouve « hors du coup » et opte pour la migration.

« La société a résisté, quand l’État s’est effondré », rappelle t-il.

La situation actuelle du pays donne l’impression d’une « poudrière », avertit Théodat, aux yeux de qui la grande résilience et la solidarité du peuple haïtien, deux éléments essentiels pour reconstruire, seraient les facteurs ayant permis que la situation n’a pas dégénéré en bain de sang au lendemain du séisme.

Division sociale, État traditionnel

« La division sociale en Haïti a un caractère criant et scandaleux, de manière constante », suivant l’analyse du sociologue Laennec Hurbon.

5% de la population possède 50% des richesses produites, une exception dans toute la région (des Caraïbes et de l’Amérique latine).

« Haïti ne possède pas seulement un pays en dehors, il est lui-même un pays en dehors du monde caribéen et de l’Amérique latine ».

Après le 12 janvier 2010, le défi est d’arriver à surmonter ces clivages afin de transformer les opportunités (que la catastrophe a offertes) dans les domaines de l’éducation, la santé, la décentralisation et l’environnement, d’autant que les masses ont signé leur « refus de revenir en arrière », signale Hurbon.

« Le 12 janvier met la société à nu » et « offre l’opportunité de surmonter les difficultés traditionnelles rencontrées pour une sortie progressive de la crise sociale. Et cette sortie de la crise sociale ne peut se faire que si l’ensemble des Haïtiennes et Haïtiens se considèrent comme des citoyennes et citoyens appartenant à un monde commun », dit-il.

Le sociologue haïtien met en garde contre l’action des organismes humanitaires, favorisée par une société « dérégulée » depuis les années 1986.

« La question sociale est devenue le lieu d’exercice de pratiques caritatives et, par là même, est dissoute (comme question sociale). L’État va, en même temps, de son côté, préparer les couches pauvres à des programmes qu’elles ignorent totalement, car devenues objets d’attente et de compassion de la part du gouvernement qui justifie et légitime un autoritarisme accru. Mais, ce sera toujours en vue de la reproduction du pouvoir à l’identique et hors de tout contact véritable avec les masses », fait ressortir Laennec Hurbon.

Le gouvernement est uniquement « intéressé à poursuivre dans le jeu politique traditionnel », affirme, pour sa part, le professeur Alain Gilles, abondant dans le même sens des précédents intervenants.

Pour reconstruire, il faudra d’abord « remettre en question certains aspects de notre culture et de notre mentalité sociale et politique », propose Alain Gilles, recteur aux affaires académiques à l’université privée Quisqueya.

De son côté, le prêtre catholique romain Miguel Jean-Baptiste prône le changement de mentalité et lance un cri pour la reconquête de la souveraineté nationale et les enfants restavèk (les enfants en domesticité).

Entre 250 000 et 300 000 enfants en Haïti sont concernés par cette « forme édulcorée de l’esclavage », suivant les estimations du prêtre catholique romain. [kft rc apr 19/06/2010 0:39]