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Haïti-Reconstruction : Manœuvres à hauts risques !

Débat

Par Gary Olius

Soumis à AlterPresse le 1er juin 2010

Il semble que le Président de la République a horreur du vide. Regardant derrière lui sans remarquer un quelconque poursuivant, un vrai successeur, prêt à se courber le dos et se tordre le cou pour recevoir l’écharpe dont il dit vouloir se défaire, il propose de rester un petit peu. Juste le temps de se faire rattraper par le moins mauvais prétendant, à défaut d’un bon ou d’un meilleur. Et la communauté internationale, tel un auditeur perdu dans l’écoute d’une symphonie qui s’est faite cacophonie faute de vrais musiciens, se laisse surprendre en flagrant délit de battre un drôle de mesure et de se livrer à un fredonnement que plus d’un trouve agaçant. Prise dans ce tintamarre sans pareil, elle commence à montrer des signes évidents de manque d’équilibre et hésite d’accélérer sa marche pour ne pas tituber et se faire rire. Il faut retenir son souffle, se croiser les doigts et prier pour qu’elle ne tombe pas et se casse pas les dents, car si cela se produit le peuple haïtien risque de ne pas pouvoir manger.

Les erreurs se suivent et se multiplient de manière inquiétante. La perplexité gagne les esprits et il serait bon de tirer la sonnette d’alarme pendant qu’il est encore possible de rectifier les tirs. La communauté internationale a fomenté la mise en place d’un dispositif d’exécution des projets de reconstruction, la CIRH. Celle-ci, en soi, un « vrai monument » en matière de théorie des organisations. Et comme si elle était trop absorbée par la contemplation de cette réalisation, elle feint d’afficher depuis quelques temps un laisser-faire politique pendant que son label est utilisé pour vendre des marchandises politiques que l’on croyait être d’un autre temps ? Comme pour jouer au mauvais courtisant, elle préfère la stratégie trompe-l’œil de la bourse pleine à la finesse et la persuasion dialectique pour convaincre et se faire accepter. Et, de fait, elle constate embarrassée que la reconstruction – à sa barbe - est en train de se transformer en bataille rangée parce que celle-ci s’est mêlée à la fièvre électoraliste du moment, alors qu’elle devrait être un vaste programme basé sur le pari de l’inclusion et de la participation de tous.

La CIRH est une création qui n’a son pendant nulle part au monde : c’est une structure multinationale à caractère technique assorti de clusters sectoriels ; elle est coiffée d’un chapeau politique investi de pouvoir d’approbation et de droit de veto, le trio Clinton-Bellerive-Préval. Il y a juste de quoi se mêler les pinceaux dans cet espace où les pouvoirs administratifs, diplomatiques et politiques se superposent pêle-mêle. Ce dispositif mériterait d’être examiné, comme cas a-typique, dans tous les cours portant sur la théorie des organisations. Depuis Weber jusqu’à Mintzberg en passant par Robert Merton, Peter Blau, Philip Selznick et des essayistes comme Russell Banks, il a été admis que l’art (pris au sens grec de technique) et la politique sont comme l’eau et l’huile, elles ne se laissent pas mélanger.

Pourtant les experts étrangers avec des homologues haïtiens nous ont donné cette structure singulière, sans trop se préoccuper de l’ampleur ou la longueur du circuit administratif des prises de décision y relatif, ainsi que du temps nécessaire pour les approbations en cascade des propositions de projet dans cette Haïti post-désastre où l’on aurait souhaité que les choses aillent vite pour écourter la souffrance de la population. Sachant qu’en Haïti l’homo politicus dame toujours le pion sur l’homo faber, on peut prévoir ce qui pourra se passer quand les propositions techniques ne collent pas parfaitement aux préoccupations politiques dans ce contexte électoraliste.

Mais le plus grave est que les pouvoirs d’approbation ou de veto peuvent induire des dysfonctionnements dans le circuit administratif formel et ouvrir d’emblée la porte à un marché informel de services de rejet ou de ratification rapide de propositions ; conformément au précepte de Peter Blau stipulant que « les acteurs d’un système bureaucratique rigide ont la capacité, voire le réflexe, de contourner les réglementations pour mener à bien les objectifs auxquels ils adhèrent…comme des éléments actifs et réactifs, et non plus comme de simples exécutants ». Ce risque d’informalisation ou même de détournement des procédures de gestion de la reconstruction pourra se dégénérer jusqu’à donner lieu à la création d’un realpolitik clandestin ou sous-terrain qui transformera les « supposés décideurs » en de simples machines à signer. Et, le comble est que la reconstruction proprement dite risque d’être reléguée au second plan faute de gestion technique réelle et effective.

Dans les milieux politiques, les partis de l’opposition (absents de la CIRH) continueront à s’agiter et à dénoncer à cors et à cri, devant les victimes frustrées, les sortants qui selon eux ne veulent plus sortir et qui font feu de tout bois pour continuer à savourer un pouvoir qui devient de plus en plus juteux. Déjà les protestations vont bon train, bien qu’aucun observateur neutre ne puisse certifier que les intentions prêtées à nos leaders correspondent vraiment à leurs mobiles inavoués et même si force nous est de constater que, ces derniers temps, les dirigeants se donnent en spectacle et multiplient des manœuvres qui sont susceptibles de rendre perplexe.

Comme pour jeter de l’huile sur le feu, une frange de la communauté internationale joue à la caisse de résonance en répétant tout de go et en appuyant sans la moindre nuance les positions parfois peu inspirées des politiciens et politiciennes du pouvoir en place. D’ailleurs, elle ne s’est pas embarrassée de convenance diplomatique pour voler au secours du Conseil électoral actuel, auquel beaucoup disent qu’il ne reste même pas un milligramme de crédibilité. Il y a donc lieu de croire que la plupart des bailleurs oublie l’essentiel : après l’élimination totale de la dette d’Haïti, la défense des valeurs monétaires ou la rémunération des prêts devrait laisser la place à celle de la défense des valeurs démocratiques. Et pour cela, il faut savoir distinguer le bon grain de l’ivraie et affiner sa perspicacité pour ne pas prendre les chèvres pour des brebis, car les fissures laissées par le dernier séisme facilitent le camouflage et, ici comme ailleurs, l’apparence est trompeuse.

En période de guerre comme par ces temps d’urgence, tout est justifiable et on peut ne pas vouloir se prémunir d’éthique ou de moralité pour être à même de tenter de faire du n’importe quoi ; alors que c’est en ces moments-là qu’il faudrait faire l’effort nécessaire pour rester vertical même si le poids malheur à porter est grand et qu’il y a des millions de vie qui sont effectivement en danger. Les milliards de dollars ne sauraient inciter à faire l’économie d’une pédagogie démocratique et à utiliser la dialectique comme outil de persuasion.

La confusion règne dans la cité, il faut que les bailleurs prennent le temps de communiquer avec toutes les forces vives du pays, d’expliquer et d’éclaircir leur position. La franchise ne sied pas toujours à la diplomatie ou à la politique, mais elle est une arme de dernier recours quand de soi-disant diplomates et des politicards s’amusent à semer de la confusion dans les esprits. Sans une communication savante, sans une franche explication et sans une démonstration d’attachement indéfectible aux valeurs véritablement démocratiques ; aux yeux de l’opinion publique haïtienne et internationale tous finiront par se retrouver dans le même panier. Alors, il y aura des plaintes, des échanges d’accusations, des pleurs et des grincements de dents…

Contact : golius@excite.com