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Haiti : Construire un pays digne et dynamique, efficace et équitable

Proposition alternative au CIRH pour gérer l’aide internationale massive suite au séisme

Par Ezechiel Richard

Soumis à AlterPresse le 11 avril 2010

Oublions les débats souvent incohérents essentiellement fondés sur de fausses idéologies ou simplement des intérêts personnels. Evitons les formulations hâtives qui prétendent reproduire des modèles expérimentés ailleurs pour solutionner le cas haïtien qui est unique. Jamais un Etat n’a subi une catastrophe d’une telle ampleur qui a en même temps touché très fortement toutes ses administrations centrales. Il n’y a jamais eu dans aucun pays au monde un comité de reconstruction nationale géré par ou directement avec des internationaux après une catastrophe naturelle. Certes il y a eu des coordinations mixtes nationale et internationale pour gérer un processus de reconstruction mais cela était toujours pour une partie du pays, pour la région touchée par la catastrophe jamais pour le pays entier.

Alors, pensons pays et technique. Commençons par le début de toute réflexion technique et scientifique : quels sont les problèmes à résoudre, les objectifs visés avec franchise et honnêteté : i) L’Etat haïtien doit conserver le leadership des décisions stratégiques concernant une reconstruction voire une construction qui se veut nationale ; ii) on ne construit pas un pays sans ses habitants, on ne fait pas le développement à leur place mais avec eux. La société civile plus ou moins organisée doit donc être un des acteurs principaux, pas comme faire valoir ou pour approuver des documents après qu’ils aient été réalisés ; ces temps devraient être révolus. La société civile doit être un partenaire réel et engagé dans toutes les étapes du processus. Iii) les dons doivent être gérés avec efficacité, dans ce cas précis post catastrophe avec rapidité, sans détournement et dans la transparence,

Très simplement il n’y a que trois fonctions à remplir : une fonction de décision sur les opérations à choisir et à mettre en œuvre, une fonction de coordination et intégration des acteurs, une fonction d’administration financière de type bancaire. La première doit préserver la souveraineté nationale, la seconde doit préserver la cohésion nationale et la troisième la saine administration financière.

La proposition actuelle de Comité Intérimaire pour la Reconstruction d’Haiti (CIRH) nie la première fonction, oublie la seconde et survalorise la troisième. Elle est inacceptable et doit donc être modifiée.

Un mécanisme de décision purement national pour préserver notre souveraineté

Tous les participants aux différentes réflexions et préparation de documents nationaux étrangers se sont au moins entendus sur un point : il faut renforcer les capacités de l’Etat haïtien ! Cependant, trop de ces techniciens ou experts nationaux et internationaux ont confondu État et Gouvernement. Il faut être clair, veut- on renforcer le Gouvernement ou l’Etat haïtien ? S’il s’agit de reconstruction nationale, à l’évidence il faut renforcer l’Etat haïtien dans la pérennité de ses fonctions.
Dans tous les pays du monde bien gérés ce sont les administrations centrales et déconcentrées qui constituent un des principaux piliers de l’Etat. Il s’agit ici d’un programme de reconstruction nationale avec un grand nombre d’investissements très lourds dans tous les secteurs. Qui dans un pays est habilité à préparer techniquement la validité des investissements à réaliser ? Le Président de la République ? Chacun des différents ministres ? Ni l’un ni les autres. Dans la pratique ceux qui préparent très concrètement les dossiers, qui les finalisent avec leurs équipes pour les rendre défendables et bancables, ce sont les responsables des Unités de Planification Programmation de chacun des ministères en Haïti appelées Unités d’Études et de Planification (UEP). Ce sont les UEP d’Haiti qui préparent pour notre pays les plans et programmes qui constituent les plans d’investissement sectoriels, ensuite votés par les députés et les sénateurs dans le cadre de la loi des finances annuelle qui constitue le budget national. Ces UEP sont trop faibles ? N’a-t-on pas affirmé sans arrêt qu’un des principaux objectifs de ce grand plan est de reconstruire, de renforcer l’Etat haïtien ? Alors renforçons-les ! Ces UEP sont un des principaux fondements de l’Etat et surtout de l’Etat dans le cadre de ses fonctions pérennes.

Messieurs les ministres vous savez mieux que quiconque que sans eux vous n’auriez pas de programme à défendre. Ils sont des techniciens et nombre d’entre eux sont encore très bons, n’en déplaise aux détracteurs, surtout si on leur donne les moyens de travailler, si on les laisse exprimer toutes leurs compétences techniques et si en plus on les appuie. Messieurs les Ministres vous savez que pour vous les UEP sont indispensables. Vous le savez.

Messieurs les Ambassadeurs quel que soit votre pays, Messieurs les représentants des grandes institutions internationales, vous savez bien qu’en l’absence de rigoureuse planification nationale faite par les nationaux vos différents projets échoueront ou n’auront que des résultats très limités. Pensez-vous réellement pouvoir vous substituer aux UEP pour décider ce qui techniquement doit être fait ou non dans ce pays en terme d’investissement dans chacun des secteurs de ce pays ? Honnêtement vous savez que non.

Alors il n’y a aucun doute, si on veut réussir cette reconstruction nationale ce sont ces directeurs d’UEP de chacun des principaux ministères qui doivent constituer le steering comittee, le comité de décision sur les investissements à mettre en œuvre. Dans la reconstruction, il s’agit de résoudre des problèmes techniques alors mettons les techniciens de notre pays au défi de réussir cette reconstruction et aidons-les.

Mais, le Président de la République me direz vous quel va être son rôle ? Il l’a dit lui-même, il devait trouver l’argent pour la reconstruction, il l’a fait, l’argent est la, aux techniciens de l’utiliser au mieux.

Mais les ministres ? Ils assumeront totalement leur rôle constitutionnel, ils supporteront et dynamiseront le bon fonctionnement de leurs ministères. Ils aideront les Directeurs des UEP dans les arbitrages pour le choix des investissements. Ils pourront, ils devront, même en temps que membre d’un gouvernement, donner les orientations politiques aux Directeurs des UEP pour que ceux-ci tiennent compte dans leur programmation, sans toutefois toujours donner une première priorité aux résultats des analyses techniques.

Mais les députés et les sénateurs ? Leur rôle est aussi constitutionnel et totalement conservé. Ils devront s’assurer de la bonne utilisation des fonds au profit réel des populations, ils devront légiférer pour que les obstacles qui pourraient retarder une exécution rapide et efficace des investissements soient levés, ils devront voter les lois de finances pour le budget de l‘Etat.

L’ensemble du dispositif est haïtien, il respecte la constitution haïtienne. Les décisions seront haïtiennes, elles émaneront d’un comité constitué de hauts cadres de l’Etat haïtien qui seront renforcés en même temps que leurs équipes haïtiennes de travail. Il s’agit d’une stratégie nationale.

Un mécanisme de décision intégrateur pour préserver la cohésion nationale et la décentralisation effective

Il ne devrait y avoir qu’une seule conditionnalité qui n’est pas étrangère mais nationale : avant de proposer tout programme national, les Directeurs des UEP auront l’obligation de travailler, depuis la préparation jusqu’à la proposition de programme, avec les directeurs départementaux dont les équipes seront aussi renforcées.

Puisque la société civile est de droit partie prenante de son propre processus de développement les directeurs départementaux et nationaux des ministères techniques auront une obligation de travailler avec cette société civile. Pas seulement de la consulter, mais de travailler avec elle de manière formelle avec des réunions de travail régulières, programmées, institutionnalisées pour parvenir à des plans d’investissements et de développement vraiment participatifs comme le veut la constitution. La décentralisation est constitutionnellement une obligation. Ces plans nationaux seront construits à partir des plans départementaux, tout comme les plans départementaux seront construits à partir des schémas d’aménagement du territoire des arrondissements et des plans communaux de développement, les PCD, intégrant les sections communales. La continuité institutionnelle d’un Etat unitaire prévu par la constitution est préservée, la nation se construit se renforce avec chacun à sa place mais tous avec la même importance. C’est la construction de notre réelle souveraineté.

Aucun financement en dehors des programmes proposés par ce comité national des directeurs des UEP ne doit être accepté. La souveraineté nationale est ainsi totale et elle sera renforcée.

Un mécanisme qui préserve la supervision des internationaux et la bonne administration financière

La gestion de l’argent. Il faut rappeler que les sommes très importantes ont été recueillies par un élan de la très grande majorité des peuples de la terre pour le peuple haïtien en dehors de toute arrière pensée politique ou de gouvernements.

Cet argent étranger laissons-le administrer de maniere transparente par l’étranger. L’administration des décaissements n’est pas la gestion. La gestion inclut le pourvoir de décider des allocations de fonds, ca c’est nous c’est notre comité national des directeurs des UEP. L’administration de l’argent, c’est exécuter les ordres reçus (ceux du comité des UEP) d’allocation en faisant respecter les procédures correctement et avec rapidité. Notre souveraineté nationale n’est pas dans l’administration de l’argent notre souveraineté est dans la décision de l’utilisation de l’argent, c’est notre comité de UEP national et uniquement national. C’est nous qui décidons de ce pour quoi cet argent sera décaissé. Laissons les banquiers faire ce travail d’administration de l’argent, ce sont eux les spécialistes et pourquoi pas la Banque mondiale. C’est elle qui rendra des comptes sur la transparence de la gestion de cet argent étranger, pas nous. Notre ministère des finances pourra meme être financé dans le cadre du programme pour commanditer des audits externes et indépendants pour s’assurer que la gestion est correcte. C’est notre droit. Cet argent nous est destiné. Nous pouvons aussi profiter de ce dispositif Banque mondiale pour placer quelques homologues haïtiens pour qu’ils acquièrent la totale maitrise de la gestion de ce genre de gros fonds multibailleurs.

Cette proposition respecte la constitution, cette proposition respecte le rôle de chacun des acteurs de notre pays, cette proposition garantit notre souveraineté, nous décidons de ce que nous voulons faire, cette proposition respecte nos partenaires, ils administrent les décaissements de leur argent.

Que fait –on du comité intérimaire ?

Ce comité intérimaire a déjà été approuvé par certains peut être hâtivement peut être sous des pressions diverses. C’est simple. Gardons-le, faisons- en ce qu’il aurait du être dès le début, un comité de suivi mixte national et international. Un comité de suivi des politiques avec les ministres et les ambassadeurs. C’est normal qu’ils soient informés au plus près de ce qui se programme et se fait. Ils peuvent et même doivent émettre des avis. Mais la décision d’allocation des fonds appartiendra toujours au comité national des UEP qui bien sur, tiendra compte des avis de ce comité de suivi.