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Haïtiwebdo, Numero 56

Réprobation générale de partout et de tous les secteurs, y compris des religieux et d’ambassades accréditées en Haïti, contre la barbarie de la milice lavalassienne le 05 décembre 2003 sur des étudiants et l’enceinte de deux facultés d’Etat. Les manifestations de rue gagnent en intensité particulièrement à Gonaïves, la cité de la proclamation de l’Indépendance nationale le 1er janvier 1804, pour réclamer la démission du président du 26 novembre Jean-Bertrand Aristide.

Aristide s’accroche encore, malgré des mouvements de rue grandissants contre sa présence

Par Ronald Colbert

En marge du 55 e anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits Humains, ce 10 décembre 2003, l’oppression institutionnelle cherche à étouffer les libertés citoyennes dans un pays où les chaînes de l’esclavage avaient été rompues il y a deux cents ans. Mais, des milliers de jeunes ont gagné les rues de Port-au-Prince pour réaffirmer qu’ils ne baisseront pas les brasÂ…

La terreur : jusqu’où ?

La question se pose aujourd’hui de savoir si la milice armée, qui supporte le régime lavalas, aura toujours les coudées franches pour mater, par la violence et le sang, les manifestations de désapprobation d’une bonne partie de la population contre les méthodes de terreur s’institutionnalisant peu à peu dans le pays.

De toute façon, il n’est pas permis d’espérer une poursuite des bandits, de la part des responsables de la Justice vassalisés et tout acquis à la cause du pouvoir. A ce jour, juges et commissaires du gouvernement utilisent leurs pouvoirs pour persécuter les victimes des violences, sous de fausses bases juridiques, tandis que les bourreaux, qui tuent et agressent régulièrement citoyennes et citoyens, bénéficient d’une impunité sans bornes.

C’est le constat dressé par les observateurs de la situation générale d’Haïti, une vingtaine de jours avant le 1 er janvier 2004, date du bicentenaire de l’Indépendance nationale.

Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux multiples exactions enregistrées à travers le territoire d’Haïti de 2000 à 2003, dont les résultats des enquêtes sont toujours verbalement annoncés. Beaucoup d’enquêtes piétinent, entre autres : celles sur l’assassinat le 3 avril 2000 du président-directeur général de Radio Haïti Inter Jean Léopold Dominique, sur l’assassinat du journaliste Brignol Lindor le 3 décembre 2001, sur l’assassinat des 3 enfants de Viola Robert (Vladimir Sanon, Angelo et Andy Philippe) en décembre 2002, l’attentat le 25 décembre 2002 contre la journaliste Michèle Montas, veuve de Jean Dominique, qui a coûté la vie à Maxime Séide, l’un de ses gardes du corps.

Ce 10 décembre 2003, la milice lavalas a attaqué à nouveau la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire de l’Université d’Etat d’Haïti, faisant des blessés. Cette milice a aussi agressé, à proximité du Ministère de l’Intérieur, les jeunes, étudiants et élèves, descendus spontanément dans les rues contre Aristide. Cette fois-ci, la Police Nationale a tenté de calmer la fureur des assaillants.

« Â Aristid, kriminèl, fòk Aristid ale, twòp san koule (Aristide est un criminel, il doit partir, trop de sang a coulé dans le pays », répétaient les étudiants au cours de la manifestation improvisée qui a rassemblé des étudiants de différentes universités privées de Port-au-Prince.

Le même slogan « Â twòp san koule, fòk Aristid ale » a constitué le leitmotiv d’un autre mouvement de rues réalisé ce même 10 décembre 2003 par de jeunes manifestants à Petit-Goâve, à 68 kilomètres au sud de Port-au-Prince. Un élève de Petit-Goâve a été blessé par balles lorsque les partisans lavalas ont tiré des rafales d’armes sur les manifestants, selon les correspondances de presse. Charles Daniel, 19 ans, un élève de rhéto, a été également blessé par balles aujourd’hui aux Gonaïves, à 171 kilomètres au nord de la capitale, à côté de plusieurs autres personnes blessées, quand la Police locale a tenté de disperser une manifestation anti-Aristide.

D’un régime despotico-anarchique, le régime lavalas se transforme en un « Â fascisme créole » avec les actes commis sur le monde universitaire le 5 décembre 2003, a fait savoir l’ancien militaire devenu sénateur contesté du 21 mai 2000, Dany Toussaint.

Un nombre indéterminé de blessés, dont le recteur de l’Université d’Etat d’Haïti Pierre Marie Paquiot qui a dû subir une intervention chirurgicale à ses jambes le weekend écoulé ; plusieurs étudiants fracturés, contusionnés et traumatisés par la fureur des assaillants lavalas (en plus de ceux ayant des cotes cassées ou autres meurtrissures à leurs corps, il y en a qui urinent sans cesse depuis les violences de vendredi dernier) ; plus de 3 millions de gourdes de dégâts matériels à la Faculté des Sciences Humaines : c’est le bilan, jusque-là partiel, de l’horreur perpétrée par les miliciens lavalas à la Faculté des Sciences Humaines(FASCH) et à l’Institut National d’Administration, de Gestion et des Hautes Etudes Internationales (INAGHEI) de l’Université d’Etat d’Haïti. Les forfaits des brigands ont été couverts de la passivité des policiers nationaux qui tiraient beaucoup de rafales d’armes, ont rapporté des témoins signalant que les étudiants de la FASCH ont tenté de s’abriter dans leur établissement devant la succession de tirs d’armes.

Ce mercredi 10 décembre 2003, qui ramène le 55 e anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits Humains, Jean Bertrand Aristide a réaffirmé, dans une conférence de presse au Palais National de Port-au-Prince, sa volonté de se maintenir au pouvoir, malgré les manifestations d’étudiants et de divers autres secteurs nationaux exigeant sa démission à la tête du pouvoir. Pour lui, seules les élections pourraient mettre fin à la crise qui frappe le pays depuis plusieurs années.

Il convient de faire l’éducation démocratique et civique de la population pour la porter à respecter le mandat des élus, a martelé Aristide qui a promis de se rendre aux Gonaïves le 1 er janvier 2004, en compagnie de tous les membres de son gouvernement. Pour le chef du parti lavalas, il ne s’agirait que d’une « Â minorité infime » de voix qui s’élèvent contre lui dans la cité de l’Indépendance, depuis la fin du mois de septembre 2003 après l’assassinat, dans des conditions non encore élucidées, de « Â l’enfant terrible lavalas » de l’ancienne « Â armée cannibale », Amyot Métayer.

Les activités étaient tout de même paralysées ce 10 décembre aux Gonaïves où des milliers de personnes, selon les correspondances de presse, ont à nouveau manifesté contre Aristide par groupes séparés à l’intérieur de la ville. Dans la soirée du 9 décembre, une autre foule compacte de gonaïviens et gonaïviennes s’était prononcée contre la présence du chef du parti lavalas au pouvoir. Le Front anti-Aristide aux Gonaïves a annoncé la défection, dans cette ville, de deux policiers qui aurait remis leurs armes aux militants du regroupement.

Quant à la mobilisation des jeunes, étudiants et élèves, qui criaient à tue-tête ce 10 décembre dans les rues de la capitale « Â Viktwa, Aristid tonbe, Libète ou Lanmò (Victoire, Aristide ne peut plus tenir, Liberté ou La Mort), Aristide a déclaré à qui veut l’entendre que cette manifestation « Â contre sa personne » rentre dans « Â le jeu démocratique », « Â il reste lui-même à l’écoute ». Mais, « Â il y a des étudiants qui ont reçu des financements pour renforcer le climat de violence et troubler l’éducation », selon Aristide. De plus, la Justice et la Police doivent rechercher les auteurs des violences du 5 décembre 2003, a exhorté Aristide qui a précisé que l’exemple vient d’être donné avec l’arrestation d’un policier qui tirait, vendredi dernier, sur les partisans lavalas.

« Â Ce qui s’est passé le 5 décembre est inacceptableÂ… Jamais, jamais, nous ne nous inclinerons devant la violence »Â…, dixit Aristide.

A rappeler que le porte-parole du gouvernement Mario Dupuy, suite à la barbarie du 5 décembre 2003, s’en est à nouveau pris à la Presse qui, avance-t-il, s’organiserait avec l’opposition pour fomenter un coup d’Etat, du style du coup contre le président Hugo Chavez au Venezuela.

Quoi qu’il en soit, les persécutions n’ont pas cessé contre la Presse évoluant en Haïti. La journaliste Nancy Roc, animatrice de l’émission hebdomadaire d’analyses de l’actualité « Â Metropolis », a fait état de menaces contre sa personne, avec le va-et-vient incessant d’un véhicule d’individus lourdement armés aux abords de sa résidence durant ces derniers jours.

Toujours est-il que le gouvernement a condamné la violence contre les étudiants en évoquant un « Â affrontement entre manifestants et contre-manifestants » à l’occasion des événements enregistrés. Ce n’est pas du tout la lecture faite par les autres secteurs de la vie nationale, dont l’ambassade étasunienne qui a parlé de « Â favoritisme » de la Police nationale au cours de la barbarie du 5 décembre 2003.

La Commission Interaméricaine des Droits Humains (CIDH) a exprimé sa préoccupation sur la situation des droits humains en Haïti, après les événements de vendredi dernier.

Nouvel élément ce 10 décembre 2003 : les étudiants, qui ont manifesté à Port-au-Prince, étaient armés de gourdins pour se défendre et riposter à tout éventuel assaut des partisans lavalas. Les étudiants des facultés d’Etat se sont rendus dans les universités privées pour obtenir l’appui d’autres étudiants et donner, ont-ils dit, un avant-goût des journées du 11 et du 12 décembre 2003.

« Â Nous n’avons pas peur des chimères (la milice lavalas). Nous allons nous mobiliser jusqu’au départ d’Aristide. 2004, oui ; Aristide, Non », ont-ils lancé pendant la manifestation spontanée du 10 décembre dans les rues de Port-au-Prince. 

Entre-temps, des commentaires divers fusent de toutes parts dans les couloirs de l’administration publique haïtienne. Certains fonctionnaires estiment que le pouvoir lavalas est parvenu à un point de non retour dans la violence sur la population. D’autres fonctionnaires pensent que le régime, sur la base de l’appui non équivoque d’une partie de la communauté internationale en faveur de l’accomplissement du mandat controversé de 5 ans par Aristide, aurait dû laisser le regroupement des 184 organisations et associations tenir leur rassemblement le 14 novembre 2003.

Pour leur part, divers citoyens, ne faisant pas partie nécessairement des milieux politiques dans la capitale haïtienne, s’accordent à considérer que le pouvoir d’Aristide en déconfiture ne tiendrait qu’à un fil.

« Â Le comble de l’horreur est nettement dépassé par le pouvoir en place. Aristide doit partir. Ses jours sont comptés, il doit faire ses valises ».

En dernière heure, on apprend que la ministre de l’Education Nationale, Marie Carmel Paul Austin, aurait remis sa démission du gouvernement lavalas en signe de protestation contre les violences enregistrées le 5 décembre 2003 dans deux facultés d’Etat. D’autres voix se sont élevées pour demander le départ de divers ministres du gouvernement lavalas. Des étudiants de différentes universités privées dans la capitale ont indiqué mercredi qu’ils se solidariseront de manière active le 11 décembre 2003 avec les étudiants de l’Université d’Etat qui comptent marcher à nouveau dans les rues contre Aristide.

« Â Prison pour Aristide », c’est ce qu’ils ont clamé.