Déclaration 31 mars - 3 avril 2010 de la Coordination Nationale de Plaidoyer pour les Droits des Femmes (CONAP)
Document soumis à AlterPresse le 31 mars 2010
Pour la cause des femmes, avançons !
Deux jours après le 23ème anniversaire de la constitution, des techno politiciens de tous acabits s’apprêtent à bider sur un pseudo plan d’Action gouvernemental. Ce plan issu d’un document illégitime, est concocté entre des spécialistes auto déclarés du relèvement et de la reconstruction d’Haïti chiffrés dans le PDNA. Il est commandité par les institutions financières qui s’investissent dans la lucrative reconstruction d’Haïti, avec seulement 28 millions de l’enveloppe demandée aux pays donateurs, alloués aux besoins différenciés des citoyens et citoyennes - et qui pis est, avec la bénédiction des responsables d’État qui, en mettant sur pied la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti, font montre d’une rare servilité devant les affairistes de l’internationale.
À la veille du quatorzième anniversaire de la Journée Nationale du Mouvement des Organisations de Femmes en Haïti, la CONAP réitère ses idéaux féministes de transformation sociale de l’humanité par l’instauration de nouvelles valeurs sociales, économiques, politiques, mettant les êtres humains et la nature au centre des préoccupations. En tant que plateforme défenderesse des droits des femmes en matière d’un développement humain équitable, basé sur la justice sociale, elle fait renaitre des décombres, les voix rebelles d’Anne Marie Coriolan, de Magalie Marcelin et de Myriam Merlet pour se joindre à celle des secteurs progressistes du monde entier pour mieux articuler aux niveaux national et international, la dimension éminemment politique des termes des problématiques confrontées par 52% des forces vives de la nation. Ainsi, à l’instar de nos alliés - es solidaires de la cause du peuple haïtien à travers la diaspora et dans les quatre coins du monde, CONAP s’inscrit en faux contre la tenue de la rencontre onusienne fatidique de ce 31 mars et celles la précédant pour clamer haut et fort que la reconstruction de notre pays ne peut être conçue en dehors de la participation directe et active des femmes et des hommes qui y produisent les richesses tout en demeurant exclus – es de leur jouissance.
La CONAP est plus que jamais déterminée à reprendre la plume de Mireille Neptune-Anglade, pour revendiquer les apports de La seconde moitié du développement à la création de richesses dans notre pays, et par là, poursuivre le combat revendicatif, pour imposer la reconnaissance de « ladrès fanm » des laissées pour compte des ouvrières du parc industriel, les travailleuses domestiques, les commerçantes du secteur informel et productrices de la paysannerie exposées plus que jamais au phénomène de la féminisation de la pauvreté et de la violence de genre. L’impact dévastateur du séisme du 12 janvier se traduit par des pertes économiques incommensurables au regard de la situation économique des familles, affaiblissant les ressorts des « fanm potomitan » sur qui continuent de reposer la survie de plus de 80% des ménages de la nation dont 48 % sont gérées par des Cheffes de famille, survivant avec moins de 2 US $/ Jr, compromettant du même coup le bien être de plusieurs générations.
Bien avant le 12 janvier 2010, les forces vives de la nation continuaient à être maintenues dans une situation de marginalisation sociale chronique par une « minorité utile » accaparant les espaces de pouvoir politique et opérant au sein des cercles de décisions économiques antinationaux concentrés dans la métropole de Port au Prince, au détriment des droits économiques sociaux et culturels de l’ensemble des populations, selon un modèle capitaliste patriarcal érigé sur la subordination et la domination des femmes et des groupes réputés vulnérables et fondé sur l’exclusion et la surexploitation des classes laborieuses. Face à cette exclusion structurelle, les organisations de travailleurs et travailleuses, associations de producteurs et productrices, depuis l’éclosion du mouvement démocratique post 86, n’ont eu cesse de réclamer le respect de leurs droits fondamentaux, la démocratie participative, la décentralisation des services sociaux de base et la création d’une économie sociale et solidaire.
Dans un tel contexte, le schéma traditionnel dichotomique du « pays en dehors » versus la « république de Port au Prince », se révélait un frein historique à toute velléité de participation citoyenne, incapable de capitaliser sur les apports de la diaspora, de valoriser les potentiels d’investissement du secteur privé endogène, de promouvoir la production nationale, voire de négocier en toute souveraineté avec la communauté internationale les termes du développement économique du pays dans l’intérêt de la nation.
Bien avant le séisme dévastateur, à l’instar de la crise politique, la précarité d’une économie politique périphérique, dépendante, élitiste, machiste et extravertie, la dégradation de l’environnement humain était vérifiable au niveau de tous les indices économiques – nonobstant les cuisants échecs des prescrits contenus dans les documents cadres CCI et DSNCRP, calqués à partir de modèles prêts à porter, dictés par les bailleurs de l’État haïtien, à partir de la même matrice du modèle de croissance articulé autour de recettes néolibérales - et devenu, en 35 secondes obsolètes.
Cette situation endémique avait été exacerbée par une combinaison de facteurs conjoncturels et structurels d’ordre divers, les plus probants étant les effets pervers de la présence amplement décriée par les organismes de droits humains et de défense des droits des femmes, des troupes de la MINUSTAH, incapables depuis 2004, de juguler les actes de violences perpétrés par les gangs armés utilisant le corps des femmes comme territoire de guerre, voire d’accomplir leur mandat de stabilisation et de juguler les vagues d’insécurité périodiques et de succomber à la tentation d’innocence en matière d’agressions sexuelles de femmes et de mineurs des deux sexes ; de même que la décapitalisation du secteur agricole avec une crise alimentaire sans précédent et ; les conséquences induites du passage successif de 4 cyclones en 2008, causant plus d’un millier de morts et détruisant les principales infrastructures économiques, avec comme conséquence notoire, l’aggravation de la vulnérabilité environnementale du pays - tant décriée par nos consœurs Gina Porcena et Yolaine Heurtelou Lhérison.
Après une semaine d’entre aide de proximité qui a permis de sauver des centaines de vies, et à des sinistrés – es de recevoir les secours d’urgence des citoyens et de la diaspora, il reste et demeure qu’à chaque jour, le nombre de déplacés–es internes a drastiquement augmenté. Les réserves des exploitations agricoles, déjà maigres ne suffisent bien évidement pas à assurer la sécurité alimentaire des communautés – déjà en 2009, la sous-alimentation touchait près de la moitié de la population avec une prévalence en milieu rural. Dans une telle situation, les enfants, les personnes âgées, les personnes vivant avec des incapacités et les femmes sont beaucoup plus vulnérables et ces dernières sont sujettes à toutes formes de violences, d’exploitations et d’agressions sexuelles. Les conséquences induites de cette situation chaotique exigent la mise en place d’un processus visant à redéfinir un nouveau projet pour notre pays. Pour ce faire, nous devons rompre avec :
o la dynamique d’exclusion ;
o les relations de dépendance structurelles face aux pays impérialistes ;
o la soumission presque totale d’une grande partie de la classe politique ;
o le modèle de croissance hyper concentré, extraverti, anti-paysan et anti-national, axé sur la surexploitation des couches populaires, par la migration massive forcée ou par les salaires à bon marché.
Ces ruptures nous permettront de construire un modèle de croissance qui repose sur l’agriculture, l’agro-industrie tournée vers la satisfaction des besoins prioritaires du marché national en répondant à nos besoins alimentaires et énergétiques.
Nous devons bâtir un nouveau modèle de société, inventer un nouvel État et rompre avec la logique de rente et de spéculation de manière à nous tourner vers la production de richesses, la valorisation de notre culture nationale et la récupération de notre capital boisé.
Nous devons rompre avec les rapports de propriété établis, de manière à développer des espaces publics, des biens sociaux et un rapport au collectif, nous permettant de redéfinir le rôle et le fonctionnement de l’État. En ce sens, par notre voix à jamais respectueuse des idéaux défendus par nos sœurs et consœurs disparues, notre Plateforme se déclare incorruptible partisane d’un modèle économique de société inspiré des valeurs féministes de solidarité, d’égalité, de liberté et de justice sociale.
Nous nous attelons à la construction d’un État haïtien capable de rompre avec le patriarcat comme système associé au capitalisme pour maintenir les 52% de femmes haïtiennes dans l’exclusion, la subordination, en particulier les masses dans la pauvreté la plus abjecte... Une autre Haïti est possible ; un pays nouveau doit naître ! Un pays dans lequel les mouvements sociaux s’inscriront en faux contre le Plan d’Action pour le Relèvement et le Développement National émanant d’auspices illégitimes et exclusivistes, sans participation effective des citoyens et citoyennes. Ce plan n’engage que ces auteurs et non le peuple haïtien. De plus, la CONAP conteste vivement la création de la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH)
Plus de deux mois après le séisme meurtrier ; deux jours après le 23ème anniversaire de la constitution, à trois jours de la journée nationale du mouvement des organisations de femmes en Haïti, le mouvement féministe accuse un pas en arrière, pour se ressourcer et faire deux pas en avant pour défendre la cause des femmes. Pour ce 3 avril 2010, la CONAP proclame son indépendance vis-à-vis de tout secteur opportuniste ou populiste impliqué dans des démarches visant à ramasser les miettes d’un gâteau empoisonné et dont la recette, comme toujours, a été mijotée sur le dos des femmes et une fois de plus au détriment du peuple revendicatif et donc contre les intérêts de la nation haïtienne.
31 mars 2010 un pas en arrière, 3 avril 2010, pour la cause des femmes, deux pas en avant !
Pour la Coordination : FANM DESIDE JAKMEL, KAYFANM, REFRAKA, SOFA :
Olga Benoit
Yolette André Jeanty