Par le Groupe d’Action Francophone pour l’Environnement
Soumis à AlterPresse le 19 mars 2010
Même bien gérée, l’aide internationale ne peut à elle seule reconstruire le pays et permettre aux
Haïtiens de se projeter dans l’avenir. La volonté de faire revivre les villes et territoires détruits par
le séisme et de dynamiser le nécessaire développement du pays ne peut s’envisager sans une
mobilisation de tous, sur l’ensemble du territoire national et non seulement dans les zones
sinistrées. Aussi, comme l’ont déclaré les plus hauts dirigeants du pays, est-il indispensable de
renforcer les réseaux sociaux et plus encore les institutions locales, qui sont au contact direct des
habitants. Dans de nombreux cas en effet, quelle que soit sa volonté, l’Etat ne pourra toucher
directement les habitants et agir directement dans des entités de taille inférieure au village, au
quartier. L’action auprès des personnes, des familles, des groupes de base pour répondre aux
besoins de reconstruction dans les zones sinistrées, de santé, de scolarisation, de création
d’emplois, de réhabilitation et de consolidation des circuits de distribution pour valoriser les
productions locales... dans tous le pays obligerait à instaurer des modes d’interventions très
élaborés dont le coût financier serait prohibitif au regard des ressources publiques disponibles et
des aides extérieures mobilisables.
En raison de leur proximité avec les habitants, de leur connaissance des problèmes quotidiens,
mais aussi des demandes des déplacés, les collectivités territoriales ont une capacité de
mobilisation et de dynamisation des habitants. Institutions publiques, elles bénéficient de la durée
pour agir et d’un statut qui peut en faire, au niveau local, des interlocuteurs des pouvoirs publics
centraux dans la conduite des actions.
Les collectivités locales peuvent donc être un des rouages importants de la reconstruction du pays
et d’une refondation de la politique de développement par leur rôle entre l’Etat et les habitants.
Mais elles sont aussi plus que cela. Présentes sur tout le territoire, elles comptent parmi les
institutions qui ont mandat pour agir au-delà des solidarités fractionnées entre groupes sociaux,
de voisinage, professionnels, religieux… mais pour le bien commun. Elles sont un espace où faire
émerger le sens de l’intérêt général en contribuant à la prise de conscience par les habitants euxmêmes
qu’ils sont les premiers acteurs de l’avenir d’Haïti malgré le poids de l’histoire et la
désorganisation née du séisme. C’est parce qu’ils seront présents pour rebâtir leur ville que les
habitants de Port-au-Prince et de ses environs s’en sentiront "propriétaires", c’est parce qu’ils
participeront à la rénovation de la zone métropolitaine et au développement de leur pays que tous
les Haïtiens, où qu’ils habitent, mesureront les progrès de la démocratisation et se sentiront en
capacité de partager des orientations dont ils ont été exclus depuis de très longues décennies.
Dans ce contexte, l’accélération de la politique de décentralisation, malgré les obstacles de toute
nature à surmonter : administratif, juridique, d’organisation…, apparaît comme une exigence pour
agir au niveau local, mobiliser l’ensemble du pays pour reconstruire les zones sinistrées, soutenir
les zones non touchées par le séisme pour qu’elles ne vacillent pas sous la pression des déplacés
mais au contraire qu’elles servent de base pour répondre aux besoins des habitants des zones
sinistrées, renforcer les dynamiques de développement local. Pour satisfaire cet objectif, une
partie de l’aide internationale est à orienter vers l’accompagnement des actions des collectivités
locales en leur donnant les moyens de renforcer leur organisation et leur compétence et ne pas
focaliser tous ses appuis sur la reconstruction des infrastructures et équipements.
L’expérience montre que, pour que les collectivités locales participent à l’objectif de reconstruire
les zones sinistrées et de dynamiser le développement du pays, la politique de décentralisation est
à structurer autour de trois pôles, politique, technique, financier, qui induisent chacun un
dispositif spécifique :
un dispositif politique qui a pour objet d’organiser les relations entre l’Etat et les
collectivités territoriales pour que leurs actions répondent au plus près aux besoins des
habitants (en cohérence avec la politique de l’Etat),
un dispositif technique qui vise à apporter un appui technique aux collectivités locales
pour qu’elles puissent réaliser les actions qui relèvent de leurs compétences,
un dispositif financier qui repose sur la mise en place de mécanismes financiers qui
associent les ressources extérieures, les ressources de l’Etat et les ressources locales pour
financer les actions qui relèvent des initiatives territoriales.
1. Références pour définir le dispositif politique
Dans de nombreux pays, l’approche développée pour établir les relations entre l’Etat et les
collectivités s’est fondée sur la définition des compétences à transférer du premier vers les
secondes. La situation en Haïti ne permet pas d’engager ce débat, nécessairement long, sans
compter que cette approche accentue la dimension administrative de la décentralisation au
détriment de sa dimension politique, qui est pourtant première. Pour que les habitants voient dans
la décentralisation un moyen d’engager leur avenir, les collectivités territoriales doivent être en
mesure de définir des priorités pour leur territoire, en prenant en compte les priorités fixées par
l’Etat. C’est donc sur la construction d’une vision partagée du contexte local entre l’Etat et les
collectivités locales mais aussi les forces productives de la région, et sur les mesures à prendre
pour susciter le dynamisme du territoire qu’il convient de construire les relations entre les
différents acteurs, plus que sur une approche juridique. Celle-ci, nécessaire à terme, devrait
préciser des modes de relations construits sur l’expérience et non les précéder.
2. Références pour définir le dispositif technique
Pour pouvoir pleinement remplir leur rôle dans la reconstruction et le développement du pays, les
collectivités locales ont besoin de pouvoir :
assurer une fonction de maîtrise d’ouvrage : choix des réalisations, passation des marchés,
démarrage et suivi des travaux…
mobiliser des ressources locales…
accéder à des informations technico-économiques (coûts des équipements par nature par
exemple) ou juridiques (responsabilité des maîtres d’oeuvre par exemple).
En l’état actuel, la quasi-totalité des collectivités territoriales ne disposent pas du personnel
technique pour assurer ces fonctions. Et elles n’en disposeront pas avant longtemps. La mise en
place d’un dispositif technique a pour objet de pallier cette déficience. Sa construction conduit à
proposer une double approche :
au niveau local : créer des Centres techniques d’appui aux communes, sélectionnés parmi
les ONG techniques, bureau d’études…, travaillant sur demande des communes et sous le
contrôle des services déconcentrés de l’Etat. Chaque commune peut ainsi disposer d’un
appui rapproché. Le nombre de communes couvert par un centre technique est à fixer en
fonction de leur taille et de leur population.
au niveau central : mise en place d’un service dont l’objet est d’alimenter en information,
documents types, formation… les centres techniques territoriaux
3. Références pour définir le dispositif financier
Il n’y a pas de décentralisation réussie sans dispositif financier accessible aux collectivités
territoriales. Leur crédibilité est liée à leur capacité à conduire des actions jusqu’à leur terme.
L’expérience des pays qui se sont déjà engagés dans cette voie souligne quelques principes de
référence pour concevoir un dispositif financier d’appui aux collectivités territoriales :
être un dispositif proche des collectivités locales et aisément accessible par elles,
associer dans un même dispositif des ressources d’origines différentes,
contribuer à mobiliser les ressources locales,
consolider la responsabilité des collectivités locales
Sur la base de ces références, sont à organiser les modalités de répartition des ressources entres
les collectivités territoriales sous forme de droits de tirage, les modes d’acceptation des dossiers,
le niveau et les modalités de contribution des collectivités pour les réalisations, le statut du (ou
des) dispositif(s) financier(s) selon qu’il est unique au niveau national ou que chaque région en
dispose d’un, le lieu de dépôts des fonds et la circulation des liquidités….
L’articulation entre les trois dispositifs brièvement référencés est nécessaire pour que la
décentralisation progresse. Pour autant, chaque dispositif doit avoir un fonctionnement
indépendant des autres pour que l’ensemble fonctionne avec efficacité et transparence et ne pas
créer d’interférences entre eux. Le respect de l’indépendance de fonctionnement des trois
dispositifs est une garantie pour que le financier ne se substitue pas au politique et
réciproquement, que le politique ne détermine pas des choix techniques hasardeux, que le
technique intègre les contraintes financières…
L’échange d’expériences entre les responsables élus et administratifs des collectivités territoriales,
et plus largement entre acteurs territoriaux, enfin est un moyen de consolider la politique de
décentralisation. La création d’institutions telles que les Maisons de l’élu constitue de ce point de
vue un outil efficient. Lieu permettant un rapprochement entre collectivités territoriales et acteurs
locaux, espace de débat pour préparer le choix des priorités du développement local, lieu
d’information réciproque entre élus…, elles se présentent comme des institutions ouvertes où les
différents acteurs peuvent échanger leur expérience et leur manière de mettre en oeuvre la
décentralisation.
Depuis quatre ans le Groupe d’Action Francophone pour l’Environnement (GAFE) plaide pour le
développement local et la décentralisation en Haïti. L’ampleur de la catastrophe du 12 janvier
mérite une réponse de taille qui permettrait du même coup de mettre Haïti sur les rails d’un
développement concerté. Selon le GAFE, la décentralisation apparaît comme une voie pour
qu’Haïti relève le défi de sa reconstruction et de son avenir. Donner vie à cette politique c’est, au delà
du cadre législatif, mettre en place des dispositifs tournés vers le soutien des collectivités
locales dans leurs actions, en cohérence avec les priorités définies par l’Etat.
Le GAFE souhaite que la décentralisation soit mise sur la table des négociations pour que le
gouvernement et les bailleurs de fonds se mobilisent pour la rendre effective.