Communique de la PAPDA
7 decembre 2003
La Plate-forme haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) exprime sa plus vive indignation face aux actes perpétrés contre l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) le vendredi 5 Décembre 2003.
1.- Les faits : Un massacre planifié
Au cours de la journée du 5 Décembre des attaques violentes ont été dirigées en particulier contre l’Institut National d’administration, de Gestion et des hautes Etudes Internationales (INAGHEI) et la Faculté des Sciences Humaines (FASCH). Ces attaques ont conduit à la destruction d’une partie importante du mobilier de l’INAGHEI et à la destruction du mobilier, des équipements informatiques, d’une grande partie des archives administratives et académiques, d’un véhicule pick-up tout terrain et à l’endommagement d’une partie importante des infrastructures de bureau et de l’édifice abritant la Direction administrative et académique de la FASCH. Les assaillants se sont attaqués aussi de façon délibérée à l’intégrité physique des étudiants et des professeurs qui se trouvaient dans le bâtiment de la FASCH lors de l’assaut. Les caméras ont montré une bastonnade féroce et prolongée de 2 étudiants de l’INAGHEI et l’un d’entre eux a failli être précipité dans le vide par ses bourreaux. Les attaques menées contre les vies et les biens à la FASCH en début d’après-midi du vendredi peuvent être assimilées à un véritable massacre. Le bilan provisoire établit 23 blessés graves hospitalisés et un grand nombre de blessés non identifiés qui ont regagné leurs domiciles sans avoir reçu préalablement les soins exigés par les sévices corporels subis. Au cours de ce massacre les assaillants ont fait usage d’une panoplie d’armes et d’instruments offensifs incluant des revolvers, des bâtons géants, des barres de fer, des débris de chaises, des chaînes, des armes tranchantes de toute sorte, des frondes sophistiquées (fistibal) avec une claire intention de tuer et de mutiler leurs victimes. Les tentatives de meurtre ont été aussi accompagnées de pillage et de vols.
Comble d’infamie les bourreaux se sont attaqués au Recteur (Pierre Marie Paquiot) et au Vice-Recteur (Wilson Laleau) de l’UEH qui, malgré qu’ils se soient préalablement identifiés, ont subi des sévices corporels graves : Des coups de chaînes et de bâtons sur le crâne et le visage, des coups de bâtons en fer sur les genoux. C’est ainsi que Monsieur Paquiot, Recteur fraîchement réélu se trouve sur un lit d’hôpital avec les deux jambes brisées. En s’attaquant délibérément aux plus hautes autorités de l’Institution, veut-on nous transmettre un ordre déguisé de fermeture de l’UEH ? Serions-nous revenus au temps de l’esclavage quand les colons mutilaient physiquement les esclaves pour vaincre leur résistance et les réduire au silence ?
Dans le but de prolonger cette violente vague de répression et de tenter de terroriser le mouvement des jeunes universitaires et l’ensemble de la population, des étudiants ont été appréhendés dans la nuit du 5 au 6 décembre à l’hôpital du Canapé Vert et torturés au Commissariat de Port-au-Prince. Des hommes lourdement armés ont fait irruption dans la nuit du 6 au 7 décembre dans les locaux du dortoir des étudiants de la Faculté d’Agronomie.
La violence et la cruauté de ces attaques en font des actes inédits dans toute l’histoire de la vie nationale. Même au temps des baïonnettes et tout au cours du vingtième siècle nos satrapes n’ont jamais été si loin dans leur mépris des lieux de transmission du savoir. Avec ou sans barbarie de ce type, les rébellions des jeunes scolarisés sonnent le glas des dictatures.
2.- Une guerre permanente contre l’Université, contre l’intelligence et contre la nation
L’attaque perpétrée contre l’UEH n’est pas un événement isolé et est loin d’être le fruit du hasard. Depuis plus de deux ans les pouvoirs publics tentent par tous les moyens, et ceci au mépris de l’esprit et des prescrits de la Constitution de 87, de bâillonner la population et d’éliminer les possibilités d’expression et d’affirmation d’une parole critique. Cette posture va des interdictions formelles de manifester émises par les mairies aux intimidations de toutes sortes accompagnées d’interventions brutales de la PNH qui n’hésite pas à utiliser des armes à feu contre la population. L’arme favorite des autorités est l’organisation de bandes paramilitaires mercenaires, équipées et protégées par la PNH rappelant les méthodes des hordes fascistes de Mussolini. La liste de leurs interventions serait trop longue pour être énumérée ici. Mais la continuité de ces agressions ne peut laisser planer aucun doute sur leur caractère planifié et systématique. Il s’agit donc d’une politique décidée et élaborée aux plus hautes sphères des responsables de l’Etat.
Dans le cas des violentes attaques du vendredi 5 décembre les éléments de collaboration active entre les patrouilles de la PNH et les «  Chimères » sont visibles et indiscutables. Selon des témoignages que nous avons reçus, un véhicule tout-terrain de la PNH a amené un stock de pierres pour les assaillants à l’avenue N. La passivité des agents de la PNH était évidente par exemple quand les assaillants ont mis le feu à un véhicule de la Faculté sous les yeux et à quelques mètres d’un agent CIMO qui n’a pas levé le petit doigt pour protéger les biens d’un organisme de l’Etat. Toutes les atrocités commises tant à l’INAGHEI qu’à la FASCH ont été réalisées sous les yeux des agents de la PNH et aucune arrestation n’a été faite. Les assaillants ont pu regagner leurs domiciles jouissant d’une totale impunité malgré la gravité des faits commis en plein jour. Il nous faut donc reconnaître que les assauts contre l’UEH ont été décidés et exécutés par le régime en place et les 2 Chefs de l’Exécutif de même que le Ministre de la Justice, les responsables du CSPN, les responsables de la PNH en portent l’entière responsabilité.
Le Pouvoir de Jean Bertrand Aristide croit-il que la peur et la terreur sont capables de vaincre les mouvements sociaux ? Nous avons vu des étudiants de la FASCH ensanglantés continuer à crier «  à bas Aristide ». Cette violence aveugle et stupide ne fait que renforcer la détermination des militants et l’indignation ne peut que grossir les rangs des protestataires. Le Peuple haïtien a déjà prouvé par son combat victorieux contre la dictature des Duvalier en 85/86 et contre la dictature militaire de 91 qu’elle avait définitivement rompu avec la peur et qu’elle est toujours prête à défendre sa dignité face aux bourreaux et tortionnaires de tout acabit.
La guerre contre l’UEH qui se manifeste aujourd’hui sous des formes plus violentes n’est pas nouvelle. Elle peut être comprise dans les méandres de la gestion budgétaire et de l’insignifiance des crédits accordés à cette institution (moins de 1% du Budget national) malgré son importante croissance en termes d’effectifs au cours des 10 dernières années, dans la priorité accordée à des instituts d’éducation supérieure liés directement à la personne du Chef de l’Etat, dans les nombreuses agressions subies par l’institution au cours des élections (pour le renouvellement du Rectorat) de l’année 2002 et dans la tentative grossière de mettre fin à l’autonomie de l’UEH parrainée par le Ministre de l’Education d’alors et prolongée par une Loi inique sur l’enseignement supérieur élaborée sans consultation aucune avec les membres de la communauté universitaire. L’UEH, son millier d’enseignants et ses plus de 12.000 étudiants ont été ciblés comme des ennemis du pouvoir en place et de nombreuses décisions semblent participer du désir de la déstructurer. Pourquoi cette haine contre l’UEH qui permet aujourd’hui à des jeunes de recevoir, avec un coût modique pour leurs parents, une formation scientifique ? Pourquoi cet acharnement contre le secteur public de l’enseignement supérieur ?
Après la domestication des Pouvoirs judiciaires et législatifs, la guerre sans relâche menée par le Pouvoir en place contre l’Université et contre la presse est en fait une guerre contre l’ensemble de la nation haïtienne. Pour affermir un pouvoir despotique personnel il faut éliminer tout espace de critique et de parole libre. L’ennemi n’est pas seulement l’UEH. Rappelons que récemment les élèves du Lycée Pinchinat de Jacmel ont été maltraités dans l’enceinte même de leur établissement scolaire parce qu’ils protestaient, à juste titre, contre l’augmentation des frais. Il s’agit donc d’une attaque globale contre le secteur de l’enseignement et la jeunesse dans son ensemble. La destruction d’un segment important de l’enseignement supérieur et la déstructuration du monde de l’enseignement sont des éléments qui prennent place dans un projet plus global de domestication de la nation. A bon entendeur salut. Les Universités privées doivent se mobiliser aux côtés de l’UEH et l’ensemble du monde de l’éducation doit fournir une riposte à ces agressions. Il nous faut au plus vite arrêter ce processus de destruction de la nation.
Le Pouvoir Lavalas a toujours affirmé son mépris de l’intelligence et de la réflexion critique. L’expression de la pensée libre et toute contestation sont bannies. C’est peut être cette peur de la réflexion qui est à la base d’une politique incohérente, insensée et suicidaire qui contribue activement à détruire notre pays.
3.- Solidarité avec le combat des étudiants / Mobilisation générale et permanente contre l’obscurantisme et le despotisme
Nous exprimons ici notre solidarité avec les étudiants de l’UEH et avec leur mouvement de contestation. Ils ont le droit de s’exprimer. Les citoyens haïtiens partagent leur indignation face à la dégradation de la situation économique et sociale et l’effondrement moral de la communauté nationale conséquences d’une gestion médiocre qui prolonge les souffrances de la population notamment par son entière soumission à la logique de la mafia internationale aux dictats les plus aberrants des Institutions financières internationales (IFIs) et du Département d’Etat. La conscience nationale se reconnaît dans les cris de ces étudiants qui proclament l’échec total de la politique actuelle et la nécessité du départ immédiat du Chef de l’Etat. Nous appuyons donc la décision des étudiants de poursuivre leur mobilisation et demandons à tous les autres secteurs de la nation de s’associer activement à leurs revendications.
Les responsables de l’Etat doivent, prendre les dispositions pour que tous les coupables, auteurs, co-auteurs directs et indirects des atrocités du vendredi 5 Décembre soient poursuivis et reçoivent un châtiment exemplaire.
Les étudiants injustement appréhendés doivent être remis en liberté immédiatement et sans conditions, leurs bourreaux doivent recevoir les châtiments prévus par la Loi.
L’ensemble du secteur de l’enseignement est aujourd’hui menacé et nous demandons aux enseignants, étudiants et élèves de tous les niveaux de se solidariser au NON exprimé par le mouvement des étudiants depuis plus d’une année.
Nous demandons à tous les secteurs d’exprimer de façon visible et concrète leur solidarité avec les Recteurs Pierre Marie Paquiot et Wilson Laleau, avec les instances de direction de l’UEH et en particulier avec les Professeurs et les étudiants de l’INAGHEI et de la FASCH qui ont subi dans leur chair les actes barbares du vendredi 5 décembre.
Il faut aujourd’hui tout mettre en œuvre pour défendre le pain de l’instruction menacé par un pouvoir despotique et obscurantiste. Le massacre de nos enfants doit cesser !! Notre pays ne peut accepter d’être dirigé de cette manière. Tous les fils et filles de la nation doivent se mobiliser contre l’obscurantisme et contre le despotisme !!
Port-au-Prince, le 7 Décembre 2003
Camille Chalmers, Directeur Exécutif
Yves-André Wainright, Responsable de Programme