Español English French Kwéyol

AMD-Haïti / Défendre le Droit à la Communication dans la Société de l’Information

Compte-rendu par Vario Sérant

P-au-P., 1 déc. 03 [AlterPresse] --- L’Association des Amis du Monde Diplomatique, branche Haïti (AMD-Haïti), a organisé sa causerie de novembre 2003, à l’auditorium de la Faculté des Sciences Humaines, à Port-au-Prince, autour du thème « Le Droit à la
Communication dans la Société de l’Information ».

Le premier conférencier, le professeur de communication sociale, Ary Régis, a planché sur la société de l’information alors que le second, le journaliste Gotson Pierre, coordonnateur du Groupe Médialternatif, a abordé le droit à la communication.

Les deux exposés se sont déroulés dans une logique de complémentarité.

Ary Régis a commencé par parler de la difficulté de débattre du secteur de l’information et de la communication en Haïti en raison notamment de la forte polarisation de la société.

Selon lui, pour bien poser et approfondir le thème en débat, il convient d’aller au-delà de la conjoncture (politique) haïtienne.

Le professeur Régis a entre autres justifié la nécessité du droit à la communication par le fait que la disponibilité ou l’abondance d’informations ne garantit pas forcément la jouissance du droit à la communication dans la société de l’information.

Ary Régis a retracé la genèse de la société de l’information (SI), précisé ses caractéristiques et les informations circulant à travers la SI.

Dans son survol, le professeur Régis a passé en revue la thèse de certains théoriciens fonctionnalistes qui parlaient d’une information neutre sans rapport avec les luttes sociales, l’ère de la modernité occidentale axée sur la raison, les louanges du cybernéticien américain Norbert Wiener (1874-1964), un des premiers tenants de la théorie de l’information, sur les technologies artificielles dans la foulée de la deuxième guerre mondiale, la période post-guerre froide qui serait marquée, selon certains théoriciens, par la mort des idéologies, la fin des luttes de classes et des intellectuels contestataires.

Le professeur Régis a aussi effleuré l’idée de la société de connaissance qu’on associe généralement à la société de l’information avant d’en venir à une date charnière dans la mise en place et la consolidation de la société de l’information. Il s’agit de l’année 1995 qui a vu la tenue d’une importante réunion du G-7 à laquelle était présente une quarantaine de représentants des secteurs de l’informatique et de l’aviation.

Tout ce survol pour dire que la charte de la société globale de l’information est née d’un petit groupe qui décide de ce qu’il doive faire du ou pour le monde.

Parmi les caractéristiques de la société de l’information ainsi mise en place, Ary Régis cite l’élimination des barrières géographiques (« informations sans frontières ») et l’occultation des identités culturelles nationales, l’avènement d’un nouveau type de citoyen, celui qui peut consommer, l’affirmation des médias comme principal espace public et d’intermédiation.

Quant à la nature des informations circulant dans ce cadre, le professeur Régis relève qu’elles sont d’ordre journalistique, historique et scientifique.

Il a situé l’information journalistique dans une logique marchande où sa valeur est estimée en fonction de la demande. Ce n’est pas, a-t-il dit, l’esprit du journalisme des années 60-70 où celui-ci était perçu plus comme une mission qu’une carrière.

Ary Régis note par ailleurs des changements au niveau de la conception de l’histoire. « Les médias apparaissent comme seule source d’histoire ». Ce qui crée, à son avis, une confusion entre ce qu’on écoute, ce qu’on voit et ce qu’on connaît véritablement sur l’histoire.

S’agissant des informations scientifiques et celles porteuses de connaissances, le conférencier juge leur circulation limitée et restrictive.

Selon le professeur Régis, le droit à la communication dans la société de l’information suppose un droit de participation des citoyens au débat public, un processus interactif et une organisation sociale où les citoyens sont acteurs et non sujets des informations véhiculées à travers les NTIC.

Pour sa part, le coordonnateur du Groupe Médialternatif a commencé son intervention par une analyse comparative des phénomènes de concentration médiatique existant dans les grandes démocraties libérales et des processus embryonnaires de concentration en cours en Haïti.

Pour marquer l’importance stratégique du droit à la communication dans la société d’aujourd’hui, Gotson Pierre a mis l’accent sur le changement d’une certaine donne. « Avant, on disait je pense, donc je suis. Aujourd’hui, on semble dire je communique, donc je suis ».

Vu l’importance de la visibilité médiatique, le journaliste estime que les mouvements sociaux et tous ceux-là et toutes celles qui militent pour la démocratie auraient dû avoir un agenda par rapport au secteur de la communication. Ce qu’il désigne en reprenant le thème d’ « agenda social de la communication »

Le journaliste a présenté le droit à la communication comme une revendication qui a été mise en avant à divers moments de l’histoire.

Il a cité entre autres exemples la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) qui garantit la liberté d’expression, la déclaration universelle des droits de l’homme (1948) qui, en son article 19, protège le droit à l’information, la vie privée et le droit des médias de fonctionner librement sans être inquiétés.

Le journaliste de l’Agence AlterPresse a souligné plusieurs dates charnières comme 1969, quand le français Jean D’Arcy (Versailles, 1913-Paris, 1983) a fait figure d’initiateur de l’expression « droit à communiquer ». Cet ancien membre du Haut Conseil de l’audiovisuel (en France) est l’auteur de l’ouvrage « Les Droits de l’homme à communiquer » publié par l’UNESCO en 1978.

Gotson Pierre a également mentionné l’année 1980 marquée par la publication du rapport Mac Bride sur les relations Nord/Sud en matière d’information et de communication, l’année 1998 marquée par la tenue de plusieurs forums internationaux sur les droits humains, la communication et la citoyenneté.

Parmi les éléments caractéristiques du droit à la communication, Gotson Pierre a cité la liberté d’opinion, la liberté d’expression, par n’importe quel canal, la liberté de diffusion, la liberté d’information impliquant à la fois l’accès à l’information et la production d’informations pour l’ensemble des citoyens, les droits d’accès aux médias et aux NTIC.

Selon le journaliste, la démocratisation de la communication ne peut pas être réduite à la propriété des moyens d’information et à la question des transferts technologiques. Elle doit prendre en compte plusieurs autres aspects liés à la vie politique, économique, sociale et culturelle.

Les exposés du professeur Ary Régis et du journaliste Gotson Pierre ont été suivis d’échanges animés parmi l’assistance composée en majorité d’étudiants.

Cette causerie de l’AMD-Haïti se tenait dans la foulée du sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) prévu à Genève en décembre 2003 et à Tunis en 2005. Officiellement, ce sommet vise au développement d’une vision et d’une compréhension communes de la société de l’information et à l’élaboration d’un plan d’action stratégique pour s’adapter avec succès à la nouvelle société.

Ce samedi 29 novembre à l’auditorium de la Faculté des Sciences Humaines, les discussions ayant suivi les exposés s’articulaient pour une bonne part autour de deux visions qui s’affrontent dans le cadre de la société mondiale de l’information, savoir une vision humaniste, culturelle face à une vision marchande voire mercantiliste. [vs apr 01/12/2003 22:45]