En Afrique, neuf malades sur dix qui ont la chance d’avoir accès aux trithérapies suivent le traitement alors qu’en Europe quatre sur dix décrochent au bout d’un certain temps, rebutées par les effets secondaires. Or cette négligence favorise les mutations du virus qui pourrait devenir incontrôlable. Comment généraliser au Sud l’accès indispensable aux trithérapies en limitant ce risque ?
Par Carole Vann
InfoSud - Syfia
« Lorsque ce médicament est arrivé sur le marché, ça a été un miracle pour moi. La vie reprenait le dessus. ». Josiane, suissesse, est séropositive depuis 18 ans, sous trithérapie depuis 12. Sans le soutien du milieu médical, confie-t-elle sous anonymat, elle aurait abandonné le traitement dès les premiers mois, tant les effets secondaires étaient pénibles : nausées épouvantables, diarrhées, épuisement constant. Mais autour d’elle, beaucoup de ses amis séropositifs ont cessé le traitement. Ce qui est le cas en Europe de près de 40 % des personnes porteuses du virus alors que, dans les pays du Sud, les trithérapies sont suivies à 90 %. Pourquoi une telle différence ?
En Europe, les personnes sont traitées au stade de la séropositivité alors qu’elles n’ont encore aucun symptôme, explique Josiane, si bien qu’elles se focalisent sur les désagréments du traitement : « C’est un peu comme les antibiotiques. On a souvent de la peine à se motiver à les prendre vers la fin lorsque tout va mieux. Sauf que là , c’est à vie ». Il en va tout autrement dans les pays du Sud, où le traitement est administré aux malades avancés qui parfois ne peuvent même plus se lever pour aller travailler. « En quelques semaines, ces personnes, lorsqu’elles peuvent être soignées, voient leur état s’améliorer, explique Elisabeth Le Saoût, directrice médicale de Médecins Sans Frontières (Msf) Suisse. Quand les gens sont à l’article de la mort, ils savent d’où ils viennent. » Les traitements sont aussi mieux suivis dans le Sud parce que pour l’instant, l’accès aux antirétroviraux se fait dans le cadre de projets pilotes à petite échelle.
Le danger des traitements mal suivis
Mais au Nord comme au Sud, le suivi correct des traitements, l’adhérence, comme disent les spécialistes, est indispensable pour éviter les mutations du Vih qui le rendraient incontrôlable. Il s’en suivrait la mise au point de nouvelles thérapies de plus en plus ciblées et chères et donc inaccessibles aux pays les plus pauvres.
« Au Mozambique, Médecins sans Frontières traite 2000 malades. Le gouvernement vient d’accepter de généraliser l’accès aux médicaments sur le plan national. D’ici 2005, 100 000 personnes devraient pouvoir être soignées aux antirétroviraux , explique Gérard Bedock, responsable de Msf dans ce pays. Nous travaillons beaucoup à ce que des cadres et des règles législatives soient établis parallèlement ». Le souci là encore est d’éviter qu’un accès plus large aux antirétroviraux ne favorise la mutation du Vih faute d’un encadrement efficace des patients par des personnes formées. Cet argument avait d’ailleurs été mis en avant par les industries pharmaceutiques pour s’opposer à la fabrication de médicaments génériques destinés aux pays pauvres.
Le Sud peut-il tirer des leçons du Nord où le virus mute constamment ? Elisabeth Le Saoût, de Msf-Suisse, en doute car le Nord n’a pas encore assez de recul. « On n’apprend pas à nager à quelqu’un qui se noie, rétorque-t-elle. Aujourd’hui, la priorité absolue est l’accès des trithérapies au plus grand nombre de malades. C’est l’hécatombe en Afrique ». Le traitement est actuellement une question de survie pour 1,4 million d’Africains sur les 30 millions de personnes porteuses du virus sur le continent : 50 000 seulement d’entre eux y auront accès. Un raisonnement qui vaut pour l’ensemble du Sud comme l’explique Julian Fleet, responsable de la politique de santé à l’Onusida : « Aujourd’hui, 6 millions de malades avancés ont un besoin urgent du traitement dans le Sud. Fin 2002, seuls 300 000 y avaient accès dont la moitié vivent au Brésil qui produit ses propres génériques ».
« Nous n’avons pas de recette »
« Le débat actuel qui oppose traitement et prévention est une fausse dichotomie. poursuit Julian Fleet. La possibilité de traitement constitue un espoir pour les gens et une motivation à faire le test, occasion pour les sensibiliser et les informer. Cela donne au sida un caractère de maladie chronique moins effrayante, donc elle est moins stigmatisée. »
« Aujourd’hui, la meilleure garantie à l’adhérence (le suivi sérieux) aux médicaments est l’accès gratuit aux traitements », affirme Elisabeth Le Saoût. Cette gratuité éviterait des dérapages comme récemment en Ouganda qui a par ailleurs une politique exemplaire de prévention. L’année passée, le gouvernement avait permis l’accès de 10 000 malades à des traitements antirétroviraux pour 30 dollars par mois. Un an plus tard, la moitié cessaient le traitement faute d’argent..
« L’adhérence aux médicaments reste un souci important, conclut la responsable de Msf. Car nous ne voulons pas nous retrouver sans solution dans 10 ans à la même phase épidémique que maintenant. Mais nous n’avons pas de recette. Nous sommes obligés d’avancer au jour le jour et de parer au plus urgent : sauver coûte que coûte des vies. Jamais, on n’a été en face d’un phénomène d’une telle ampleur. »
Carole Vann
Courtoisie de InfoSud - Syfia