Par Zo/ KSIL
Soumis à AlterPresse le 5 février 2010
Commençons par une mise au point. Contrairement à ce que le titre de cet article semble suggérer, le séisme du 12 janvier n’a frappé que quelques villes de la République d’Haïti dont principalement la capitale Port-au-Prince et Léogane, située à une trentaine de kilomètres de celle-ci. Il est vrai cependant que toute une certaine conception d’Haïti a été ensevelie sous les décombres, en l’espace de quelques secondes. Celle qui a prévalu depuis l’ère postcoloniale, sous l’impulsion de l’élite créole après l’assassinat de Dessalines, au détriment de la vision du monde animiste du paysan haïtien.
Un modèle de civilisation recraché
Haïti vient de payer un lourd tribut à l’effondrement d’un modèle de civilisation qui s’est construit sur le génocide et l’esclavage de ses habitants, alimenté du sang de ses générations successives, de l’exploitation de ses ressources sans qu’il ait jamais su en tirer le moindre bienfait. Des centaines de milliers de victimes, tous les symboles d’une modernisation au rabais anéantis. Ce signal de la caducité d’un mode de vie a été répercuté sur toute la planète, grâce à la magie des technologies de la communication afin que nul n’en prétexte ignorance. Haïti a été touchée dans sa partie « moderne » : à travers ses banques, ses palais, ses cathédrales, ses universités, ses buildings en fer et béton, sa MINUSTAH, ses ministères, ses commissariats de police, ses prisons, son parlement, son état de droit. La partie arriérée, traditionnelle, non moderne, la campagne historiquement délaissée, livrée à elle-même a servi de refuge aux milliers de sans-abris fuyant l’enfer de la civilisation. Quelle magistrale leçon, quoique douloureuse, pour l’après Copenhague ! Un avant-gout de ce qui est annoncé pour l’ensemble de la planète.
Au-delà du nombre des victimes et des dégâts matériels, le séisme qui a secoué Haïti a une concordance symbolique à bien saisir avec la catastrophe du 11 Septembre aux États-Unis. Deux événements majeurs qui ont bouleversé les deux pôles extrêmes de la civilisation occidentale dans le nouveau monde. Les deux faces d’un monde en décomposition accélérée ont laissé transparaitre les signes évidents de la fin d’un cycle. 2001-2010, La première décennie du vingt et unième siècle a vu le système atteint dans son maillon le plus faible et le plus fort : Haïti le pays le plus pauvre, symbole d’une modernité sous développée, rachitique et son envers, les États-Unis, emblème de sa gloire ; tous deux solidaires dans l’effondrement, la manifestation de la fin d’une civilisation. Les drames du 11 septembre et du 12 Janvier invitent à une profonde réflexion, au-delà de toute polémique, pour en tirer les véritables leçons qui permettraient d’aborder le nouveau cycle avec moins d’appréhension et éviter plus de malheurs. Deux catastrophes qui ont bouleversé la conscience de l’humanité. Comme pour le 11 Septembre, les représentants de diverses nationalités ont péri le 12 janvier sous les yeux impuissants des grands de ce monde. Pire, en Haiti, à travers la MINUSTAH, c’est l’ensemble de la communauté internationale qui s’est effondré sous les décombres d’un État failli qu’il s’entêtait à rafistoler.
11 septembre et 12 janvier, deux œuvres apocalyptiques de l’homme moderne
L’homme moderne s’est peu à peu spécialisé en faiseur de catastrophes. Soit à travers ses technologies de destruction massive qui a franchi une étape décisive depuis Hiroshima, soit, d’une manière générale, par son mode de vie qui a rompu l’équilibre de son biothrope. Les deux ont concouru à produire respectivement le 11 Septembre aux États-Unis et le 12 Janvier en Haïti. On a cru identifier les auteurs du 11 Septembre qui serait œuvre humaine, tandis que la catastrophe en Haïti serait plutôt d’origine naturelle. Rien ne permet de fonder une telle affirmation. D’abord Il n’existe pas à proprement parler de catastrophe naturelle. Il y a des phénomènes naturels transformés en drames humanitaires à cause d’une occupation inappropriée de l’espace. Le tremblement de terre en lui-même n’a fait aucune victime. Nos compatriotes et nos bienfaiteurs ou amis internationaux ont été ensevelis sous des tonnes de bétons et de ferrailles, victimes de la modernisation dans sa version la plus hideuse.
Tout ce qui subsiste de sentiment humain en occident a, semble t-il, été mobilisé en élan de solidarité pour voler au secours de ces pauvres Haïtiens. Comment ne pas apprécier cette grande manifestation de générosité, malheureusement inefficace, face à ce qu’il convient d’appeler un drame de civilisation ? Car en effet, la nature est pour très peu sinon pour rien dans cette affaire. La terre pourrait continuer à trembler de tout son soul, un mode de vie mieux adapté aurait pu même y trouver occasion de célébrer un signe des temps. Nous faisons malheureusement les frais d’une civilisation, conçue en opposition à la nature, que nous persistons à embrasser, sans posséder les moyens de faire face aux désastres qu’elle provoque. Sans devoir chercher le cerveau criminel qui aurait intérêt à déclencher un tremblement de terre en Haïti en expérimentation de quelques engins apocalyptiques, il est évident que la responsabilité humaine doit être établie dans la survenance de cette catastrophe.
Depuis la guerre froide, nous avons appris à jongler avec la terreur. Personne n’a pris en compte l’impact sur l’écorce terrestre, des bombes nucléaires et de nouvelles armes expérimentées dans nos guerres récurrentes. Avec ou sans HAARP, cette civilisation est dûment à criminaliser dans la transformation des phénomènes naturels en désastres humanitaires.
L’urgence d’une rupture
Il est sans doute plus facile d’accuser la nature de terrorisme que de changer de mode de vie. De plus en plus, une confusion est savamment entretenue entre causes naturelles et anthropiques pour nous enfermer dans le cercle vicieux de la terreur. Les solutions proposées sont aussi terrifiantes que les problèmes provoqués par le système. La nature toujours militariste des réponses contribue à alimenter toute sorte d’idées folles sur l’origine du phénomène, au point que plus personne ne semble certain de l’origine humaine du 11 Septembre aux États-Unis ou naturelle du 12 Janvier en Haïti. Cependant il est évident que les milliers de victimes sont bel et bien des êtres humains broyés dans le cadre d’un système qui, après les avoir tant opposées, n’arrive plus à distinguer nature et culture. Curieux retour des choses ! Chasser le naturel, il revient au galop dans une confusion chaotique où la civilisation lui commande des désastres humanitaires à des fins inavouables. Qu’une partie de l’opinion publique, aussi infime soit elle, arrive à se questionner sur l’intention à ce point criminelle des dirigeants de ce monde est déjà en soi une horreur. Et cela suffit amplement pour nous signifier de façon impérative l’urgence d’un changement de cap.
En regard du degré d’engagement de l’international en Haiti depuis plusieurs décennies, serait-il exagéré de parler en l’espèce de non assistance à population en danger ? Cette tragédie était pronostiquée depuis belle lurette, alors qu’en est-il des principes de prévention et de précaution ? Le pays sous contrôle international s’est retrouvé totalement démuni face à ce séisme. Le monde entier, dans un sursaut de cœur, s’est porté généreusement, après coup, au secours du peuple haïtien à travers volontaires, dons humanitaires et militaires. On sait faire montre de hautes vertus en ces tragiques circonstances mais on n’a pas su concevoir un monde à la dimension de l’humain qui aurait la vertu de nous les épargner. Au contraire on persiste dans le même schéma : l’envoi de troupes militaires et le miroitement de dollars en milliards pour la reconstruction de ce qui s’est effondré. On parle d’ériger à l’avenir des murs et des bâtiments plus solides. Des dalles en béton mieux conçues par des ingénieurs plus experts. Comme s’il ne manquait que du fer et du ciment à notre modernisation ou un petit peu de technicité.
S’il faut continuer dans la même direction, il vaut mieux laisser à l’occident dans son déclin le soin de s’en charger lui-même, directement, sans paravent ni faux semblant. En ces pénibles circonstances, l’oncle Sam frappe une nouvelle fois à nos portes, avec bottes ferrées et attirails sophistiqués, prêt à nous prendre en main pour le meilleur ou pour le pire.
Puisqu’il est quelque part des nôtres, ce cher Obama, osons lui adresser cette parole de l’évangile. « Les choses anciennes sont passées, voici que toutes choses sont devenues nouvelles. » Il n’est pas nécessaire de faire sauter la serrure ; il n’y en a pas. « Frappez et on vous ouvrira. » Mieux, frappez et entrez. Avec honneur et Respect. A la bonne porte, toutefois.
Malgré l’ampleur du drame, le peuple haïtien a survécu. C’est le moment d’inviter chacun à écouter, sous l’assourdissant vacarme de ce séisme, le frémissement d’une voix d’allègement qui nous appelle à contempler l’aurore d’un jour nouveau. Entrer dans la solitude du silence et méditer l’éclosion de cette Ayiti Quisqueya qui est la manifestation d’un autre mode de vie.
Mercredi 20 janvier 2010, an 242ème de la traversée de l’Imam Makandal