Notes de lecture
Par Vario Sérant
P-au-P., 28 nov. 03 [AlterPresse] --- Claude A. Rosier a vécu l’enfer des geôles duvaliériennes pendant onze ans, de 1966 à 1977.
Dans un ouvrage poignant de 310 pages, il conte, avec force détails, son mal vivre quotidien et celui de ses compagnons d’infortune. La vente signature a eu lieu ce 28 novembre 2003, à Port-au-Prince, au local de la Plateforme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (P.O.H.D.H).
Son odyssée a commencé un 2 novembre 1966 à Saint Marc quand il a été arrêté, ainsi que son frère, par un officier, accompagné d’un soldat, et conduit dans une cellule de la prison de la ville où se dégageait « une odeur de chair pourrie mélangée à de la matière fécale ». Il militait alors au sein d’un des comités régionaux d’un parti politique d’inspiration marxiste, le PPLN (Parti Populaire de Libération Nationale).
Dans cette cellule qui mesurait environ vingt mètres carrés, se trouvaient « quatorze épaves humaines étendues à plat ventre », ses vieilles connaissances pour la plupart, avec la plante des pieds, les fesses, le dos et le visage tuméfiés.
Mais la prison de Saint Marc représentait un « paradis » en regard de ce que Claude Rosier allait vivre à Fort Dimanche, à Port-au-Prince. A l’entrée de son cachot qui mesurait 1m80 de long et 0m70 de large, « était placée une marmite de cinq livres qui servait pour les besoins physiologiques ».
Pour les différentes prisons qu’il a fréquentées (Saint Marc, Fort Dimanche, Pénitencier National), l’auteur décrit l’angoisse permanente qui habitait les détenus.
La bastonnade, la fusillade et l’élargissement constituaient la toile de fond des « auto-questionnements » des prisonniers à chaque fois qu’ils étaient demandés. « Nous vivions dans une ambiance tissée de désespoir, chaque fois renforcée à l’annonce d’un nouvel échec politique », lit-on à la page 63.
Aux pages 129 et 130, l’auteur rapporte une de ces scènes insolites qui dit long sur l’univers carcéral inique sous Duvalier. C’est celui d’un chien bien portant, propriété du cuisinier de la prison, qui livrait bataille à un prisonnier de droit commun, squelettique, pour une « tâche de rapadou ».
Une autre scène révoltante racontée par l’auteur est le drame d’André Louis Jacques. C’est ce prisonnier de Fort Dimanche assailli par une armée bizarre issue de son « atè miyò » (paillasson en feuilles de latanier qui servait de couche aux prisonniers). Alors que ses compagnons de prison l’aidaient à se relever, ils apercevaient que les fourmis avaient creusé, dans son dos, « un trou de deux à trois centimètres de profondeur ». Louis-Jacques n’allait pas tarder à rendre l’âme.
Dans son livre-témoignage, Claude Rosier met non seulement à nu les conditions carcérales infra humaines, mais édifie aussi sur l’atmosphère de délation et suspicion installé par le tyran, François Duvalier, au sein même de ses suppôts, les « tontons macoutes ».
L’ouvrage survole plusieurs temps forts de la période Duvalier en passant par la naissance de son pouvoir répressif, sa parodie de politique d’unité nationale, sa campagne de dépolitisation l’opposition face au tyran et la chasse aux communistes.
Claude A. Rozier met à la disposition de ses lecteurs, en annexe, une liste fournie des bourreaux - dont la plupart sont encore en vie - du régime des Duvalier ainsi qu’une liste des victimes. Des photos (de tortionnaires et de victimes) illustrent plusieurs chapitres.
Dans cet ouvrage qui - à l’instar de plusieurs autres - dont celui de Patrick Lemoine paru quelques années auparavant - délivre de toute amnésie par rapport au macoutisme qui a fait trembler le pays pendant plus de trois décennies, l’auteur ne fait pas de clin d’oeil sur la conjoncture actuelle.
Mais à un moment où plusieurs vieux démons de ce passé honni resurgissent en Haïti, on peut dire que quelques phrases glanées dans l’introduction du livre brûlent d’actualité.
« L’erreur de tous les dictateurs et apprentis dictateurs, malgré les leçons de plusieurs siècles d’histoire, c’est l’entêtement dans la croyance que la violence permanente est la meilleure solution pour dompter les peuples ».
L’auteur souligne plus loin que « les peuples, même ceux qu’on qualifie d’arriérés, peuvent supporter pendant un certain temps la violence des autres, mais ils finissent toujours par se révolter pour mettre en pièce la machine infernale de la dictature ». [vs apr 28/11/2003 15:20]