Par Roger Michel*
Soumis à AlterPresse le 27 janvier 2010
La destruction de Port-au-Prince par le séisme du 12 janvier 2010 a soulevé d’innombrables questions qui sont toutes, par leur contenu, semblables et logiques. Elles se portent, d’une manière générale, sur la nécessité de décongestionner définitivement la capitale ou plus précisément de la déménager ailleurs. En effet, avant le séisme la vie y était devenue presqu’impossible tant la densité de la population était forte. Conçu pour accueillir environ 250.000 à 300.000 habitants, elle en comptait plus de 2 millions inégalement répartis sur un territoire exigu avec extension permanente de nouveaux bidonvilles et d’autres zones d’habitations non appropriées a son écosystème. Comme ce processus qui modifie en permanence la configuration de la capitale n’était pas prêt à s’arrêter, des voix s’étaient élevées de toute part pour demander de le freiner ou dans le meilleur des cas de déplacer la capitale dans un site plus approprié pour son fonctionnement.
Au lendemain du séisme, les mêmes questions se posent. De manière émotionnelle, cette fois-ci. Elles se portent sur un bilan de destruction massive des vies et des biens et en même temps sur la nécessité du retour d’une partie de la population dans les campagnes dans une perspective de la reconstruction de la capitale.
En règle générale et selon nos observations, l’abandon de cette capitale par certains de ses habitants qui sont tous des migrants n’est pas un acte courant, mais récurrent en période de crises ou de grands bouleversements. En 1993, par exemple, la mise d’Haïti sous un embargo international avait attiré plus de 500.000 habitants de la capitale vers les zones rurales. Actuellement, avant même la présentation d’une esquisse de projet de reconstruction de Port-au-Prince, on signale déjà une forte marée humaine sur la route du retour dans les campagnes et les villes de provinces non touchées par le séisme.
Pour les urbanismes, ce départ est une aubaine. Il pourrait permettre de reconstruire la capitale dans de meilleures conditions de salubrité car la multiplication des bidonvilles l’a rendu insalubre. Avec ses rues jonchées d’ordures et d’immondices de toutes sortes, des canalisations inexistantes pour l’évacuation des eaux usées, des problèmes d’insécurités croissants, de la pollution de l’air, des conditions de déplacements pénibles, d’encombrement des trottoirs par des petits commerces ambulants, Port-au-Prince avait atteint son agonie juste avant le séisme et on peut souscrire à la nécessité de sa reconstruction selon un plan d’urbanisme bien défini.
Toutefois, d’autres questions se posent encore. Elles se portent tout d’abord sur l’accueil des nouveaux réfugiés dans les villages. Même si leur retour est volontaire, compte tenu de la pauvreté en milieu rural à travers tout le territoire, ils vont constituer une charge énorme pour les personnes qui vont les accueillir et aussi pour l’environnement déjà en voie de dégradation accéléré. En fait, les zones rurales haïtiennes sont dépourvues de toute commodité. Elles sont dépourvues d’infrastructures les plus élémentaires et leurs habitants sont constamment en proie à l’exode pour assurer leur survie. Dans un tel contexte, au cas où ce retour n’est pas bien accompagné tant du point de vue d’encadrement social, financier et économique, on verra se reproduire une très forte migration vers la capitale à l’annonce même de sa reconstruction.
En fait, les personnes qui se précipitent à quitter Port-au-Prince d’une manière spontanée pour se retrancher dans les campagnes au moment d’une crise, connaissent bien les conditions de vie dans celles-ci. Il faut comprendre que ce retour est temporaire et que seul un programme de développement national, un plan Marshal, comme on se prête à le dire, peut être un motif pour l’éviter. Ce plan devra alors englober l’ensemble du territoire national et redonner à la fois au monde rural sa raison d’existence. En matière de stratégie de reconversion de la société haïtienne, ce plan est indispensable. Il pourrait sur une période de 30 ans donner une dimension acceptable à chaque entité géographique d’Haïti dont la plus grande partie reste marginalisée.
Un remodelage de ce territoire qui compte 562 entités géographiques érigées en commune doit être normalement envisagé pour qu’un projet de reconstruction de la capitale d’Haïti puisse réussir. Cela concerne également presque toutes les villes de provinces confrontant les mêmes difficultés que la capitale en matière d’urbanisme.
L’implication de la Diaspora haïtienne dans la mise en œuvre de ce plan est capitale. Il pourrait lui permettre de renouer ses relations avec Haïti sous de nouvelle base qu’elle a commencé à quitter par vague dès lès années 60. Cet exode qui continue encore et qui risque d’être amplifié à la suite de ce séisme, a sérieusement marqué l’avenir du pays. Toute l’élite intellectuelle, les médecins, les cadres professionnels engagés dans sa construction l’avaient quitté et depuis cette période le pays vit sans véritable repère socioéconomique pour continuer son développement.
Jusqu’à présent, la contribution de la Diaspora se résume à des transferts d’argent très importants qui n’entrent pas dans la promotion économique du pays mais servent de soutien à la consommation des produits importés principalement des USA, de la République Dominicaine, du Canada, de la Chine, de France, d’Allemagne, d’Italie etc..
Devenu moribond, son système éducatif ne parvient pas à assurer la relève des cadres partis à l’étranger. Dans les villes, les enseignements primaire, secondaire et supérieur sont perpétuellement en crise par manque de structure et du personnel qualifié. En effet, tous les secteurs de la vie publique et privée sont encore frappés par cette crise. Même les Fermes écoles installées dès les années 30 dans certaines zones rurales et les cadres techniques qui supervisaient la production des denrées ont disparu des campagnes.
La Diaspora haïtienne doit être consciente de cette situation pour aujourd’hui se rendre utile à la reconstruction du pays. Elle devra pour cela combiner son effort avec les Haïtiens de l’intérieur en vue de mieux réorienter le développement économique et social du pays, de mieux rééquilibrer son système politique, de mieux valoriser sa culture et de lui donner une bonne base juridique pour la protection des personnes et des biens et surtout pour assurer son avenir écologique gravement menacé par des actions anthropiques et des catastrophes naturels. Ainsi les pays riches dits Amis d’Haïti qui préconisent de mettre en œuvre ce plan Marshal doivent tenir compte du rôle moteur que doivent jouer la Diaspora et les Haïtiens de l’intérieur dans sa mise en œuvre pour une reconstruction durable de ce pays.
Genève, le 27 janvier 2010
* Dr Roger MICHEL, Agroéconomiste et géographe aménagiste
Président d’ERA-International