Par Jean-Claude Bajeux [1]
Soumis à AlterPresse le 24 janvier 2010
Ce plaidoyer, pour un deuil national,
je voulais l’adresser à ceux qui nous gouvernent,
non pas pour leur dire de sortir de leur silence mais
au contraire
pour pénétrer tous ensemble dans un monde de silence
affronter le monumental défi de la mort.
Les trois cent petites filles de Saint Gérard
elles sont toutes parties, dansant, chantant
dans un adieu de pieds nus et de jupe longue,
et tant de milliers d’autres sous le béton concassé,
le 21 janvier, en un jour, en un seul voyage,
dix mille personnes basculées dans les terres de Titanyen.
En cet état de mort nous n’aurions que faire de discours
de ceux qu’on débite comme des pensums,
vides comme vent, plus solennels que des draps mortuaires.
La mort elle ne mâche pas ses mots : elle fait ce qu’elle fait
avec une efficacité qui pétrifie.
regardant danser les écolières de Saint-Gérard,
nous revoyons ce spectacle qu’elles nous laissent
victoire sur un deuil de mort
quand dans nos yeux elles revivent,
par la mémoire par notre regard et notre silence
elles dansent une danse de vie
survivant à tout instant,
par leur naturelle grâce
défiant l’immobile grimace de la mort
cette subite avalanche si brutalement infligée
si cruellement, à la face du monde
sachant que nous n’aurions
jamais assez de fleurs pour les embaumer,
jamais assez d’encens pour leur offrir,
ni de mots pour dire seulement la litanie de leurs prénoms,
et encore moins
assez de larmes pour les pleurer
au terrible grondement de la terre
répond notre silence,
dans une persistante existence
d’une autre nature et d’un autre monde
silence du regard et de la mémoire
évocation reconnaissance de ces cinq minutes de danse
qui réveillent les disparus
par la mort même devenus capsules d’éternité.
Imaginons le pays couvert d’un deuil de trois fois cent jours
nos regards devenant le défi que nous dédions aux dieux du malheur
inventant répétant
intemporels
gestes et rituels, les chants et les danses,
les récits souvenirs et rêves
les promesses les parfums et les pardons
offrandes
à tant d’âmes qui flottent parmi nous.
[1] Directeur Éxécutif du
Centre Oecuménique des Droits Humains (CEDH)