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Réponse à mon ami Jhon Picard Byron

Quand l’orgueil obscurcit la pensée...

Soumis à AlterPresse le 24 novembre 2003

Mon cher Professeur Byron,

En lisant ton texte intitulé "Quelques précisions sur la prise de position concernant les élections au Rectorat", j’ai vite compris que tu m’as rejeté comme interlocuteur ; la référence à "Monsieur Anil Louis-Juste", en dit long. Mais, ce n’est pas là , l’objet de ma réponse. Mon point de vue, c’est que ta pensée semble être obscurcie par l’orgueil.

J’avoue que je n’ai pas compris comment est-ce que la nature de ta prise de position aurait limité une quelconque précision sur ton combat démocratique au sein du Conseil de l’Université. La noble lutte démocratique que tu y mènes, ne saurait ne pas avoir de contenu universitaire bien précis. Tes lecteurs attendent encore que tu précises ce projet universitaire !

Mon cher Byron, tu as choisi le procédé de l’amalgame pour cacher ta vraie position. En identifiant ma critique à une sorte de "ressentiment", à des "attaques personnelles" et à une "défense des conservateurs", tu as donné la preuve de toute ta capacité à déplacer l’objet d’une polémique. Ma critique portait seulement sur le rapport de ta démocratie avec la dictature du marché ou le développement intégral de l’homme, avec la globalisation du capital ou le développement durable,... Alors, je ne vois pas pourquoi tu as noté que je me suis "livré avec force arrogance, à des attaques personnelles" contre toi. Mon texte concernait seulement une prise de position publique, qui manquait, à mon sens, de congruence.

D’abord, tu as écrit de nouveau : "je pense encore que les élections au Rectorat étaient libres, régulières et démocratiques, mais n’obéissaient pas aux valeurs républicaines fondamentales". Mais, moi-même, je reste toujours convaincu que la liberté et la démocratie sont des valeurs républicaines fondamentales, car ton texte n’as pas défait jusqu’à présent ma conviction. Tu as donc le devoir pédagogique de m’apprendre à comprendre ce qu’est essentiellement la République.

Tu fais de moi, mon cher Byron, un défenseur de conservateurs tout en me haussant au niveau de révolutionnaire. Les deux qualificatifs sont indignes de moi, car je n’ai rien encore fait pour conserver ou révolutionner l’ordre sur lequel tu n’as pas voulu t’exprimer explicitement. Seulement, je crois qu’il est de mon devoir universitaire de participer à une polémique que tu as ouverte à l’issue de la réélection du professeur Pierre Marie PAQUIOT au Rectorat de l’UEH. Par ainsi, j’estime que nous aurons tous deux contribué à briser le silence complice qui gèle le développement de l’Université en Haïti. Je n’ai jamais nourri l’intention de défense des positions contraires à ma vision du monde. Tu te souviens sans doute, de la polémique que je voulais initier avec le professeur jacques ABRAHAM ?

Mon ami Byron, tu as écrit : "Monsieur Anil Louis-Juste a soutenu dans et avec le Front que les élections étaient inopportunes. Selon lui, les élections ne doivent pas être séparées de la réforme". S’il te plaît, dis-moi quelles sont tes sources ? Pourquoi as-tu jugé bon de ne pas citer les textes que j’avais écrits à propos des élections rectorales ? Je ne veux pas croire que tu privilégies, mon ami Byron, des racontars au détriment de la recherche documentaire comme technique d’investigation. Pour ta gouverne, je dois reprendre ma thèse de l’inséparabilité de la réforme universitaire et des élections rectorales : le prétexte de la crise du 27 juillet 2002, fut l’absence de loi-cadre à l’UEH. J’avais répondu aux proches du pouvoir : "La raison technique de Célestion-Saurel, Guichard et Paul-Austin n’est pas étrangère à la conception de l’"université-entreprise qui fonctionne à l’intérieur de la logique de générer ses propres ressources, de mettre en pratique des projets qui soient rentables, de penser à la productivité." C’est vrai que le Rectorat de la Réforme n’a pas accompli sa mission, mais la loi portant réforme de l’UEH ne doit pas se fonder sur l’efficience, l’efficacité et la productivité de l’enseignement supérieur en Haïti, parce que nous devons assumer l’héritage de la lutte de nos ancêtres pour la LIBERTE PLEINE. En ce sens, la question de la réforme doit être au centre du processus électoral au Rectorat, surtout que nous nous approchons du Bicentenaire de l’Indépendance. Autant dire que les élections devaient constituer une démarche pour discuter de projets de réforme à l’UEH. A propos, c’est maintenant que j’ai pu comprendre la thèse par toi, soutenue dans le texte daté d’avril 2003 : ce n’était pas une motion sur l’opportunité des élections, mais bien "un projet de résolution fixant, en dehors du processus électoral, les modalités de la re-constitution de la Commission de Réforme et de la formation des Etats Généraux devant adopter le plan de la Réforme" (c’est moi qui ai souligné le membre de phrase) Depuis longtemps, tu avais séparé le processus électoral du processus de réforme, alors que je ne l’apercevais même pas. Mais, tu sais tr bien, mon cher Byron, que le procédé relève d’une logique identitaire : les élections, c’est une chose ; la réforme, c’en est une autre. De manière absolue, tu as ainsi autonomisé deux processus qui participent, à mon sens, d’une même finalité : la formation d’universitaires autonomes capables de penser et d’agir pour l’émancipation réelle des secteurs majoritaires de la population

Par ailleurs, tu veux m’enseigner que le rapport d’un "texte cité au "texte citant" n’est pas mécanique ; je suis pleinement d’accord avec toi, mais il te faut prouver que ta pensée saisit de manière dialectique, la relation entre l’acte et la parole dans tes textes. Ainsi, tu offriras à tes jeunes étudiants, l’opportunité de distinguer la logique dialectique de la logique formelle. En tout cas, je te concède que ta logique n’est pas mécaniciste, mais, s’il te plaît, tu m’enseigneras sur sa nature à la prochaine parution.

Mon cher Byron, j’ai toujours appris que la pratique et la théorie entretiennent des rapports dialectiques. J’ai pensé que la question de la réforme ne devait pas être laissée au Conseil de l’échec ; les élections m’étaient apparues comme un contexte idéal pour inscrire la nécessité de la réforme à l’agenda politico-universitaire du Conseil de l’Université. C’est en ce sens que j’avais manifesté le désir me porter candidat au poste de Vice-Recteur aux Affaires Académiques. Ton refus de m’appuyer n’a jamais été vécu comme une déception, mais bien comme le témoignage clair et net de ta nouvelle "insertion au monde". L’argument majeur qui fut évoqué à l’occasion, je dois te le rappeler, était mon cheminement politique ; on prenait aussi soin d’y ajouter, bien sûr, celui de ma démission à l’INAGHEI Comme tu as cru bon de verser cette pièce aux débats, il t’incombe la responsabilité de qualifier mes "pratiques à la Faculté des Sciences Humaines et à l’INAGHEI". Je sais que tu as beaucoup de respect pour tes lecteurs, mais tu ne peux pas te contenter d’écrire : "En toute franchise (...), on lui avait dit qu’on ne peut lui assurer un appui, tenant compte de ses pratiques à la Faculté des Sciences Humaines et à l’INAGHEI". Tu sais, mon cher ami Byron, les lecteurs ont le droit d’être totalement informés, et ceci, sans tour ni détour !

Par ailleurs, tu m’as reproché de ne pas informer mes "amis du Front" de mon intention de me porter candidat. Mais, il semble que tu as eu une lecture partielle de la plate-forme. Elle était composée de diverses organisations qui luttèrent, à un moment déterminé, contre la tentative de mainmise du régime sur l’UEH. Deux fractions internes ouvraient l’offensive contre d’autres secteurs du Front, une fois que les luttes avaient porté le pouvoir à retirer son communiqué d’invasion de l’espace universitaire. Il aurait semblé que ta source d’information se situe dans les fractions rivales. Quelque soit le cas, en bon démocrate rationnel, tu devais tester la véracité des informations collectées.

Mon cher ami Byron, j’ai réellement fait un choix théorico-pratique ; il consiste à tenter la réalisation de l’unité de la communication et de l’acte. La médiation reste la lutte contre l’exploitation économique, la domination politique et la discrimination culturelle que subissent les classes subalternes de la société haïtienne. C’est en ce sens seulement que j’avais tenté de discuter de ta métaphysique communicationnelle. Mon point de départ a été que toute communication suppose une intentionnalité. Dans ta prise de position, j’ai décelé un certain refus de communiquer réellement le projet que tu as le droit de nourrir pour l’Université Publique de notre pays. Alors, je me suis dit que ta polémique m’offre l’opportunité de te porter à t’affirmer clairement. En réalité, des démocrates de l’UEH, comme toi, pensent que la modernisation technologique reste l’enjeu majeur de la réforme universitaire, mais tu ne t’es jamais prononcé sur la question. C’est en ce sens que j’ai écrit "Entre la parole et l’acte : la nécessaire position de la liberté". Il n’y a été nullement question d’ériger une quelconque primauté de l’acte sur la parole, en principe politique, mais seulement de souligner que tout acte est un geste et que la communication gestuelle constitue aussi un mode de communication. Dans le cas qui nous concerne, l’acte et la parole doivent continuellement se nourrir dans nos pratiques pédagocio-politiques en faveur de la Liberté Pleine.

Contrairement à la thèse de l’"indistinction de la parole et de l’acte" que tu as cru relever dans mon texte, j’ai avancé celle de l’unité de l’acte et de la parole, laquelle unité est assurée par le parti pris pour la LIBERTE. C’est en ce sens que je n’avais pas réduit la démocratie à l’existence de la parole libre ; la liberté d’expression ne saurait se suffire à elle-même. Elle participe, je crois, d’un processus de dépassement de l’ordre établi. Dans le cas qui nous préoccupe, le mépris du Conseil de l’Université pour des revendications démocratiques et populaires, fait partie de cet ordre. Alors, la communication ne peut fonder sa légitimité que dans le dialogue pour transformer cet état de choses, qui est toujours métabolisé par le capital. Le travail de transformation est ici fondateur. Si tu rencontres, mon cher ami, une quelconque parenté de cette position avec les actes de Mussolini, Hitler et Staline, tu as le droit de le prouver avant de le dénoncer, et non d’opérer par amalgame comme méthode de démonstration.

Je n’ai jamais tenu une parole manipulatrice ; mon franc-parler a toujours été un problème pour ceux qui m’ont côtoyé. Nos interlocuteurs dans l’entretien auquel tu as fait référence, l’avaient franchement exprimé, tu ne t’en souviens pas ? Ma parole exprime ma conception d’une université publique qui doit former des femmes et des hommes engagés dans le processus de reconquête de la LIBERTE forgée par les marrons et esclaves de Saint-Domingue. Ce ne sont pas là des phantasmes ; ce sont plutôt des paroles concrètes prononcées dans des situations concrètes. Si tu n’expérimentes pas cette concrétude à l’heure dramatique que nous vivons actuellement chez nous, c’est que tu crois, comme Von Hayeck et Fukuyama, que l’histoire est naturelle et que la civilisation du capital reste la dernière que l’homme ait connue.

Mon cher Byron, l’auteur de "l’Institution imaginaire de la société" avait tenté de démontrer le principe de la connexion intrinsèque de la méthode et du contenu ; le Grec devenu Français, l’avait fait pour dénoncer le marxisme-léninisme qui, selon lui, fécondait les pratiques de Staline. Toi, tu le feras pour annoncer le contenu universitaire de ton procédé discursif et, ainsi, dénoncer ce que tu as appelé la "gauche universitaire". En bon exégète de la pensée de Cornelius Castoriadis, tu as sûrement appris que la communication comme méthode, porte toujours sur une substance qui est son contenu. Alors, la communauté universitaire d’Haïti attend plutôt des précisions sur le projet universitaire que tu symbolises au sein du Conseil de l’Université. Dans l’attente, je te conseillerais d’être moins orgueilleux dans une polémique, car quand la pensée se laisse obscurcie par la colère, elle perd terriblement de sa congruence.

Enfin, mon cher Byron, j’ai appris d’Antonio Gramsci, que la vérité est la chose la plus révolutionnaire qui soit ; de Karl Marx, que la démocratie représente un pas vers l’émancipation humaine ; de Rosa Luxembourg, que la subjectivité est essentielle dans le processus d’organisation pour la désaliénation. Ces leçons m’ont porté à ne pas travestir ta pensée (c’est pourquoi d’ailleurs j’attends que tu dises sans ambage, le projet universitaire que tu nourris dans tes pensées !), à ne pas haïr la démocratie et à exercer ma capacité de jugement. Si ces comportements nuisent, je regrette ; je veux, comme dirait Paulo Freire, jouir de ma vocation à me réaliser pleinement.

A demain, Jhon !

Jn Anil Louis-Juste

21 novembre 2003.