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Honduras, pays soumis par des élections illégitimes

Par Adolfo Pérez Esquivel

Repris par AlterPresse le 16 décembre 2009 du site du CADTM [1]

Ce putsch contre le président Manuel Zelaya organisé par l’armée et commandité par « les douze familles » qui dirigent le Honduras survient à un moment où plusieurs pays de l’Amérique latine réclament leur droit à l’autonomie et à un développement centré sur les besoins de leur peuple. Pour plusieurs, l’avenir de la démocratie semblait assuré dans le continent ibérique et on assistait à une prise en charge inéluctable des peuples latino-américains de leur destin. C’était mal comprendre et sous-estimer les forces répressives, réactionnaires en présence et réduire la politique extérieure américaine aux déclarations de bonnes intentions du président Obama.
ASV

La communauté internationale ainsi que les gouvernements et les peuples latino-américains ne peuvent avaliser les élections immorales et illégitimes qui ont lieu aujourd’hui au Honduras.

Le gouvernement des États-Unis ne peut être que complice dans l’organisation du coup d’État dans ce pays ; un coup d’État réalisé pour soumettre le peuple hondurien et imposer dans la région une politique de domination et de saccage. Le soutien manifeste apporté par le gouvernement d’Obama, qui a demandé que ces élections soient organisées par la dictature, essaye de justifier l’injustifiable, de cacher et de méconnaître la souveraineté de tout un peuple et la légitimité du président Manuel Zelaya qui se trouve pratiquement emprisonné depuis déjà deux mois dans l’Ambassade du Brésil de Tegucigalpa, en supportant l’agression permanente de ceux qui ont fait le coup d’État. Tout cela est très dommageable pour toutes les démocraties du continent mais cela empêche aussi les États-Unis de construire des relations de respect avec leurs voisins et laisse plutôt présager que d’autres pays, dont les intérêts ne correspondent pas à ceux des États-Unis, pourraient aussi subir des situations semblables.

Je ne peux m’empêcher de signaler aussi la lamentable soumission du président du Costa Rica, Oscar Arias, (Prix Nobel de la Paix), devant les propositions du département d’État. Il a soutenu l’appel à des élections illégitimes de la part de ceux qui ont fait le coup d’état et a gardé le silence sur toutes les violations des droits humains subies par le peuple hondurien. Cela ne peut que desservir la construction d’un chemin vers la Paix.

Aujourd’hui 29 novembre, au Honduras, ont été détenus notre compagnon Gustavo Cabrera, Coordinateur Général du Service Paix et Justice en Amérique Latine et le Pasteur Ménonite César Càrcamo. Tous les deux font partie d’une Mission d’observation internationale des églises. Bien qu’à présent ils aient été libérés, cela montre bien que la dictature hondurienne cherche à empêcher le monde de savoir la vérité sur ce qui se passe dans le pays, en cachant les graves violations des droits humains et, tout spécialement, les conditions répressives dans lesquelles s’est déroulée la préparation de ces élections.

C’est avec cette farce électorale qu’on essaye de cacher le véritable motif du coup d’État au Honduras qui est de maintenir les peuples dans la misère et dans l’oppression pour que quelques-uns puissent continuer à s’enrichir sur le dos de la nature elle-même. D’un côté, on cherche à freiner le plus possible l’augmentation du salaire minimum pour garantir des gains plus élevés aux propriétaires des “maquilas” (ces usines où les plus pauvres sont obligés de travailler pour pouvoir survivre). D’un autre côté, on cherche à rouvrir le pays aux concessions minières et forestières, à promouvoir les privatisations et les profits du libre commerce pour les transnationales des États-Unis et de l’Europe, Tous cherchent à éviter les accords solidaires entre les pays latino-américains, le réinvestissement des revenus du Honduras dans les pays de l’Alba (l’Alliance Bolivarienne des Amériques), et enfin l’approfondissement et l’amarrage du pays en accord avec ses propres intérêts économiques, politiques et militaires.

Le coup d’État au Honduras est en fait un coup d’État contre tous les peuples de la région. On ne peut y imposer des élections sans auparavant rétablir l’ordre constitutionnel et le gouvernement légitime du président Manuel Zelaya. Tout cela n’a pu se faire sans l’accord du département d’État, du Pentagone et de la CIA. En réalité, tout cela se fait en accord avec les grands projets d’infrastructure qui aboutissent au saccage des pays latino-américains. Ces projets sont “le Plan Puebla – Panama” pour le Mexique et l’Amérique Centrale, “le Plan Colombia” et la remilitarisation du continent avec les sept bases militaires des États-Unis en Colombie, les bases prévues au Panama et au Pérou, la présence militaire à la Triple Frontière (Argentine, Brésil, Paraguay) et la 4ème flotte dans les mers du sud : tout cela met bien en évidence les mécanismes de domination qui se mettent en place. On continue dans la même ligne des dictatures militaires des années 70 qui avaient été imposées dans tout le continent au nom de “la Doctrine de la Sécurité Nationale”. Elles ont eu un terrible coût en vies humaines avec des milliers de morts, des torturés, des emprisonnés des disparus et, en plus, avec la destruction des capacités productives des peuples et la mise en place du néo-libéralisme qui a provoqué l’endettement avec toutes les conséquences qui ont suivi : les ajustements structuraux, les privatisations et la dérégulation généralisée.

Les grands moyens de communication, véritables monopoles au service des intérêts de domination imposés, se déchaînent dans des campagnes nationales et internationales contre les gouvernements qui veulent avoir leur propre façon de penser et qui recherchent l’indépendance et la souveraineté de leurs peuples. Lorsque le bombardement culturel et les règles du marché n’ont pas les résultats escomptés, c’est alors que surviennent les agressions et les coups d’état soutenus par la CIA et le Département d’État. C’est ce qui est arrivé au Venezuela, en Bolivie et lors de l’agression de la Colombie contre l’Équateur.

Il est clair cependant que le chemin choisi par tous les organisateurs de coups d’État ne peut pas continuer longtemps. Le peuple du Honduras s’est dressé pour défendre sa liberté et ses droits. Après 150 jours de résistance non-violente dans les rues et dans toutes les régions du pays, aujourd’hui même, dans leur grande majorité, ils sont retournés dans leurs maisons (pour boycotter les élections) et donner une réponse digne et sans équivoque à la frauduleuse convocation électorale. Les gouvernements du continent et du monde entier sont très nombreux à avoir refusé de reconnaître le gouvernement issu du coup d’État et à ne pas vouloir donner leur accord à l’organisation de ces élections.

Nous demandons instamment aux gouvernements de la région et aux organismes internationaux comme l’Organisation des États Américains (Oea), l’ONU, le Parlement Européen et l’Union Européenne, de ne pas reconnaître aussi cet essai de blanchiment du coup d’État par des élections. Ils doivent insister pour obtenir le rétablissement de l’ordre constitutionnel et la restitution du pouvoir au Président Zelaya, et ils doivent suspendre toute forme de soutien au gouvernement du Honduras, qu’il soit financier, commercial et militaire, tant que cela dure.

Nous appelons les organisations de défense des droits humains et les organismes sociaux, culturels et religieux à assumer de façon solidaire la défense de la souveraineté et de l’État de Droit du peuple hondurien et de rejeter toute forme de complicité qui rendrait bâtard l’exercice de la démocratie.

La Paix est le fruit de la Justice ; il n’existe pas d’autre chemin possible. Pour cela, il faut écouter la voix du peuple hondurien qui continue à réclamer la mise en place d’une Assemblée Constituante Nationale afin de remettre le pays sur pied sur des bases d’égalité et d’inclusion. Alors seulement, il sera possible de gouverner. (Traduction Francis Gély)

Buenos Aires, le 29 novembre 2009.


[1Source : http://www.cadtm.org/