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Quelques précisions sur la prise de position concernant les élections au Rectorat

Par Jhon Picard Byron, Membre du Conseil de l’Université d’Etat d’Haiti

Soumis à AlterPresse le 24 novembre 2003

Des collègues enseignants, des étudiants ont porté des jugements critiques à propos de ma prise de position sur les élections au Rectorat de l’UEH [1]. J’en ai pris acte. J’aurais pu en rester là . Mais non. Je veux profiter de ces quelques remarques pertinentes, qui recoupent en partie la lettre de Monsieur Anil Louis Juste, pour préciser certains points. Avant tout, je dois remercier ces professeurs et étudiants en particulier Monsieur Anil Louis Juste pour leurs critiques.

Toutefois, je pense qu’à cause de certaines limites du texte liées à sa nature de « prise de position », je ne pouvais ni y faire des analyses de la situation à l’Université, ni même y faire des propositions. Si on veut retrouver des éléments d’analyse et des propositions, il faut lire : « La nouvelle phase de la lutte pour l’indépendance et pour la réforme de l’UEH [2] Â… », le « projet de résolution [3] » sur la Réforme soumise au Conseil de l’Université.

Ces textes et d’autres prouvent, si nécessaire, que, quelques autres conseillers, des universitaires consciencieux et moi, nous avons voulu porter le Conseil à poser et à résoudre certains problèmes. En tant que conseiller, la démarche à entreprendre au prime abord n’était pas de critiquer le silence du Conseil, mais plutôt de prendre des initiatives pour lancer les débats. Maintenant que nous n’avons pas réussi à rompre ce silence, il a fallu et il faut encore demander à la communauté universitaire d’agir pour sortir le conseil de son immobilisme. Tout autre comportement serait démagogique et même incorrect.

J’admets en outre que ma position peut paraître paradoxale, mais elle n’est pas incohérente. Je pense encore que les élections au Rectorat étaient libres, régulières et démocratiques, mais n’obéissaient pas pourtant aux valeurs républicaines fondamentales.

En considérant les critiques, je n’ai pu m’empêcher de demander pourquoi Monsieur Anil Louis Juste [4] s’est livré, avec force arrogance, à des attaques personnelles contre moi. Plus d’un peuvent être surpris de voir que les attaques ne viennent pas du Conseil. Moi, je comprends bien l’attitude de notre « majorité silencieuse ».

Je m’attendais tout de même à quelques réactions de certains membres du Conseil quand j’ai vite constaté que je n’avais pas pris le soin de préciser que je n’étais pas le seul à avoir voulu un meilleur fonctionnement de cette assemblée, à avoir voulu provoquer le débat et poser la question de la réforme. Mon erreur est d’autant plus grave que ceux qui me sont proches au Conseil envisageaient de faire mieux que moi. Ils n’ont pas voulu prendre de position pour l’histoire, mais préféraient déjà la re-faire. C’est ainsi du moins que je comprends une proposition récente de Christian Rousseau, membre du Conseil, visant à rendre cette instance plus dynamique.

Mais ce qui était complètement imprévisible et surprenant, c’est cette réaction de Monsieur Anil Louis Juste. Encore une fois, pourquoi s’est-il ainsi attaqué à moi ? « Structuré », l’« adulte » Anil Louis Juste doit bien l’être. Mais, comment l’est-il ? Pourquoi ce "révolutionnaire", ce représentant « de la gauche universitaire » a-t-il cru bon de répondre à une prise de position d’un « technocrate » à l’encontre de « conservateurs » ?

C’est impossible ! Un révolutionnaire ne saurait défendre des conservateurs. A moins qu’il ne s’agisse d’un révolutionnaire-conservateur. C’est inimaginable ! Mais une telle espèce a existé dans l’histoire. Les révolutionnaires-conservateurs, ce sont ces fêlés de la République de Weimar (en Allemagne) qui se sont transformés en membres du parti National-socialisme (Nazi) ou en hitlériens purs et durs.

J’avais voulu saluer le courage de Monsieur Anil Louis Juste pour différents « comportements solidaires » par rapport aux groupes dans lesquels il a évolué. Cependant qu’est-ce qui garantirait qu’il est un homme de parole, qu’il respecte ses engagements ? Ses menées au sein du Collectif des Professeurs de l’UEH (CPUEH) et du Front de Résistance pour l’Autonomie de l’Université ? J’en doute.

Arrêtons-nous un moment à ce qui s’est passé au Front. Monsieur Anil Louis Juste a soutenu dans et avec le Front que les élections au Rectorat étaient inopportunes. Selon lui, les élections ne doivent pas être séparées de la réforme. Or, quand on a relancé le processus électoral, sans en parler à ses amis du Front, il voulait se présenter à ces élections. Il a téléphoné et rencontré à ce sujet certains membres du Conseil pendant qu’il montait son dossier. En toute franchise et sans hésitations aucunes, on lui avait dit qu’on ne peut lui assurer un appui, tenant compte de ses pratiques à la Faculté des Sciences Humaines et à l’INAGHEI. J’ai participé à ces entretiens.

En s’attaquant à moi, si Monsieur Anil Louis Juste n’exprime pas ses ressentiments, il a fait un choix théorique clair qui n’est pas sans lien avec ses pratiques. Critiquer quelqu’un qui « fustige » des « conservateurs » « pour avoir choisi l’acte comme mode de communication » ; quelqu’un qui veut donner trop d’importance à la parole (donnée ou instituée) en politique ; quelqu’un qui veut donner trop d’importance à la « dimension discursive », à l’espace public, tout cela doit avoir un sens pour Monsieur Anil Louis Juste. C’est même absolument plus déterminant, pour lui, que critiquer des « conservateurs ».

Le vécu de Monsieur Anil Louis Juste, du moins les attitudes que nous avons soulignées au début, doit nous permettre de comprendre cela. En vérité, c’est ce vécu qui nous montre que la parole n’a aucune importance pour lui. Ses positions ne se révèlent que dans ses actes qui peuvent bien transformer en chiffons des propos tenus antérieurement. Il peut tout aussi bien dire n’importe quoi, car il n’est pas tenu de les faire.

A la différence de Monsieur Anil Louis Juste, les « conservateurs » en question n’assument pas le principe de la primauté de l’acte sur la parole. Ce principe reste en soubassement de leurs méthodes de gestion de l’université. Voilà tout le mérite de Monsieur Anil Louis Juste, lui, il assume sa position et on peut la discuter. Mais, est-il conscient de toute la mesure de son choix ?

L’in-distinction de la parole et de l’acte, autrement l’acte qui ne se révèle que dans l’agir ou l’acte perçu comme « mode de communication » Â… a conduit et peut conduire à des monstruosités politiques. L’acte qui n’intègre pas le moment de sa légitimation dans la parole ne se réalise qu’en tant qu’ordre. Une telle philosophie ne peut être assumée que par des régimes ou par des mouvements politiques de type autoritaire ou encore des dirigeants, dictateurs potentiels qui, n’étant pas au pouvoir, ne donnent pas encore toute la mesure de leur autoritarisme.

Ici n’est peut-être pas le lieu pour engager le débat sur cette question. Signalons tout de même que ce que Monsieur Anil Louis Juste a en commun avec les conservateurs en général (qui peut se résumer en cette formule : l’acte doit toujours avoir le premier et dernier mot), son activisme, ce refus dédaigneux de la discussion, Staline l’a eu en commun avec Hitler et avec Mussolini et sa philosophie fasciste.

Monsieur Anil Louis Juste a bien compris ma position. Un acte qui n’est pas le produit d’un processus discursif, un acte qui ne se légitime pas par la communication et qui engage une communauté donnée est un acte inscrit dans un système despotique. Des acteurs qui sont dans l’incapacité de déterminer (définir et fonder) leur acte, d’éclairer leur acte par la discussion, sont nécessairement portés à agir suivant des intérêts sur lesquels ils n’ont aucune prise. Ils sont manipulés. Et les manipulateurs sont toujours enclins à éviter toute discussion pour passer à l’acte, à écourter celle-ci.

L’acte n’a pas plus de réalité que la communication. La communication entre acteurs se fait à partir d’une réalité commune. Comment imaginer une communication qui n’aurait rien à voir avec la réalité ? Comment imaginer une communication sans contenu ? Une communication qui ferait abstraction des conditions socio-économiques de ceux qui communiquent ? Cela n’existe que dans les phantasmes de Monsieur Anil Louis Juste. Tout comme ces phantasmes semblent le porter à croire que la communication doit suivre l’acte. D’où l’acte tire-t-il alors son objectif, ses orientations ?

La communication est, pour Monsieur Anil Louis Juste, inutile, car l’acte peut tout dire. Cette "communication par l’acte", selon moi, n’en est pas une. Car, on ne pourra que subir une parole-acte ou bien on sera dans un chaos où la communication sera « acte versus acte » et non « parole versus parole ».

En somme, cette approche de Monsieur Anil Louis Juste n’est autre qu’une démarche visant à ériger la manipulation en méthode politique générale. Droite conservatrice, gauche révolutionnaire seraient appelées indifféremment à mettre en application cette méthode. A l’encontre de cette approche, je pense qu’un projet progressiste doit avoir la méthode de ce qu’il vise [5].

A cette démarche qui s’articule à sa haine de la démocratie, il ne faut pas que Monsieur Anil Louis Juste associe les noms de Karl Marx, Rosa Luxembourg et Michael Là¶wy. En effet, si ces derniers ont tenté de donner un peu plus de contenu à la démocratie, ils n’ont sous aucun prétexte cherché à l’abolir. Bien mieux, ils l’ont pensée comme une des figures nécessaires, non la seule, de l’émancipation humaine [6].

Une précision pour nos jeunes étudiants qui ont lu Monsieur Anil Louis Juste. J’ai mis en exergue du texte paru dans Le Nouvelliste et sur Alter-presse une citation d’Arendt tiré de la Condition de l’homme moderne. Je n’ai pas fait pour autant de référence à une quelconque « insertion arendtienne au monde, comme conditionnalité de la modernité ».

Monsieur Anil Louis Juste doit savoir que le rapport d’un texte citant au texte cité n’est pas mécanique. Il en est de même du titre par rapport au texte intégral. Monsieur Anil Louis Juste ne devrait pas se fourvoyer de cette façon. Arendt fait partie de ces auteurs inclassables, ces auteurs pour qui le binôme Antiquité/Modernité ne fonctionne pas. D’ailleurs, la citation en question n’est autre qu’une re-formulation arendtienne de la définition aristotélicienne de l’homme. Arendt nous dit qu’on devient homme par la parole et l’acte (« c’est par le verbe et l’acte que nous nous insérons dans le monde humain »). Or, pour Aristote, l’homme, animal politique, est le seul animal qui possède le langage (logos) [7].

Jhon Picard Byron

Membre du Conseil de l’Université


[1« La Réélection du Recteur sortantÂ… » in Le Nouvelliste No. 36803, du vendredi 7 au dimanche 9 novembre 2003 et AlterPresse. (NDLR : Cette note a été référencée au niveau du titre de cet article et a été déplacée pour des raisons techniques. Nous nous en excusons auprès de l’auteur.)

[2Extrait d’une édition spéciale de "UEH en Lutte", décembre 2002, publié dans Le Nouvelliste et sur le site de Alter-presse

[3Ce document distribué aux membres du Conseil de l’Université en avril 2003 au moment de la relance du processus électoral a fait l’objet d’une diffusion relativement limitée au sein de la communauté universitaire. Ce texte n’était pas, contrairement à ce que dit Monsieur Anil Louis Juste, une « motion sur l’opportunité des élections », mais un projet de résolution fixant, en dehors du processus électoral, les modalités de la re-constitution de la Commission de Réforme et de la formation des Etats Généraux devant adopter le plan de Réforme.

[4« Entre la parole et l’acteÂ… » in Le Nouvelliste, No. 36806, mercredi 12 novembre 2003, p. 22 (NDLR : et sur le site d’AlterPresse)

[5Cf. Cornélius Castoriadis, l’Institution imaginaire de la société, éd. Du Seuil, Paris, 1975 et Jhon Picard Byron, « Castoriadis :Une invite au renouveau de notre réflexion sur la démocratie » in Itinéraires, Nos 3 et 4 juillet 2001 - juin 2002, CREHSO, FASCH.

[6Maximilien Rubel, « Marx et la démocratie » in Marx critique du Marxisme, Payot, 1974.

[7Aristote, Les politiques, Trad. De Pierre Pellegrin, Garnier-Flammarion, 1993.