Débat
Par Leslie Péan
Soumis à AlterPresse le 4 décembre 2009
Les dernières mesures du Conseil Electoral de Préval (CEP) définissent la volonté de puissance de son chef Ti René. Les abdications et les lâchetés montrent la couleur de néant qui menace la classe politique. On sait comment la quête démesurée de pouvoir conduit à des horreurs. Relisons le poète qui a toujours refusé de déclarer le forfait de l’intelligence. En effet, après le coup d’état contre le président Estimé du 10 mai 1950, Fritz Basquiat, ouvrier linotypiste et membre du Bureau Politique du Parti Socialiste Populaire (PSP) donna sa démission de ce parti, parce que le colonel Paul-Eugène Magloire lui avait donné un job et une voiture. A cette occasion, Anthony Lespès écrivit :
« le temps coule et nous voyageons dans la nuit
Ça et là, le train dépose un passager
Ça et là, il en monte d’autres
Et ceux-ci ont le visage de la vie nouvelle
Et avec eux, nous ferons le voyage » [1]
Il y a donc des précédents dans l’abominable à ne pas mettre en valeur. Le roi est nu et le bateau coule. Les rats se jettent à l’eau y compris au sein du CEP-bidon. Pour contourner l’absolutisme de Préval, nombre de parlementaires regagnent le parti INITE sur la base du coup fourré. Dans ce contexte de corruption généralisée, certains refusent la dangereuse pureté du noir et du blanc. Ils préfèrent comme Paul Denis choisir le gris dans l’espoir de continuer à mener leur action politique. On connaît le cas de certains députés populaires dans leurs circonscriptions qui ont rejoint INITE afin que leurs victoires inéluctables ne leur soient pas volées. A offre corruptrice, adhésion à entreprise frauduleuse.
Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine
Par contre ce qu’il faut souligner, c’est la position du sénateur Maxime Roumer du Comité de Relèvement de la Grand’Anse (sigle créole KOREGA) – Effort et Solidarité pour Construire une Alternative Populaire (ESCAMP). Maxime Roumer a montré qu’on pouvait avoir froid dans certains coins de l’enfer. Se démarquant de sa position originale au sein de la coalition électorale qui avait porté le président Préval au pouvoir en 2006 dans les conditions que l’on sait, Maxime Roumer introduit la dissidence. C’est un commencement qui n’est pas réductible à une cause ou à une intention. Quelle que soit la pertinence de la situation initiale qui l’a provoquée, l’action de Roumer garde sa responsabilité historique. En rompant le mutisme qu’il a longtemps gardé au Sénat, il amène cette étincelle qui peut mettre le feu à toute la plaine. En demandant le respect de la conquête du suffrage universel, Maxime Roumer attaque le problème de la corruption au cœur du nomadisme politique. Il montre la possibilité pour ceux qui ont longtemps courbé l’échine de se relever. La politique est faite de luttes de factions, de tractations, de motivations conflictuelles et d’alliances. A ceux qui lui disent « c’est notre tour aujourd’hui comme ce fut ton cas hier pour devenir sénateur », il importe de nuancer en restant à la dimension sociale de son action de dénonciation de la politique de Préval. Les effets de sa prise de position le dépassent et contribuent à mettre des forces sociales en mouvement afin de faire avancer le combat politique. C’est ça l’important et non les conditions dans lesquelles il est devenu sénateur ou son soutien à Préval en 2006. Tout ce qui peut déclencher une autre dynamique est bienvenu pour faire appel à la multitude, à ce peuple qui, quand il est vraiment peuple, est Prométhée.
Préférer les aveugles aux borgnes
Dans la route sur laquelle il s’est engagé, Préval a les deux mains fermes sur le volant. Il se dirige tout droit les yeux fermés et les oreilles bouchées vers son objectif d’un troisième mandat de fait, comme président ou premier ministre (à la Poutine). Il n’est pas à son coup d’essai. On se rappelle comment il avait refusé en 1995 d’accepter que Gérard Pierre-Charles soit premier ministre.
Que s’était-il passé alors ? Préval avait-il peur que Pierre-Charles, avec sa capacité analytique et son envergue intellectuelle, ne prenne des initiatives qui relèvent de la compétence du président ? Etait-il conscient que Pierre-Charles n’accepterait pas humiliations et bassesses pour avoir le poste de premier ministre ? Préval tentera de masquer son manque d’élégance calculé à l’endroit de Pierre-Charles en disant vouloir un premier ministre qui ne soit pas un théoricien qui réfléchit mais un homme d’action. Pourtant Pierre-Charles a été un praticien qui a permis l’épanouissement de bien des valeurs.
On peut ne pas partager certaines de ses idées, mais on ne saurait ne pas voir en Pierre-Charles un combattant majeur dans la lutte pour les libertés. En le traitant ainsi, Préval s’est montré un fidèle représentant de la culture médiocre des chefs qui ne peuvent pas intégrer des collaborateurs plus compétents qu’eux. Des problèmes qui pourraient être réglés par une bonne psychanalyse mais que nous charrions en acceptant aux commandes des demi-marques qui s’entourent de gens qui leur arrivent à la ceinture. Le populisme phréatique porte à préférer les aveugles aux borgnes pour conduire les destinées nationales.
La volonté d’abêtissement des Haïtiens
La dévalorisation inconsciente profonde de lui-même qui semble affecter le président Préval le porte à vouloir tout détruire. On comprend sa souffrance due au fait que ses contemporains ne lui ont jamais donné la reconnaissance qu’il croit mériter. Il faut qu’il comprenne qu’Haïti n’est pas responsable de son sort. Le diminutif Ti qui est associé à son nom n’est pas nécessairement de la raillerie mais aussi un signe d’affection. Le tollé général provoqué par les actions de Préval n’est pas le résultat de la suspicion ou de la méfiance. Il ne faut pas mélanger les choses et prendre des vessies pour des lanternes. Un démocrate peut se tromper sans que cela affecte ses positions de démocrate. Ce n’est pas le cas pour Préval, car il commet des erreurs qui ont des conséquences sur un grand nombre de gens. Certains y ont perdu la vie, comme cela a été le cas avec Robert Marcello, directeur de la Commission Nationale des Marchés Publics.
Ce n’est pas de la suspicion et de la méfiance quand on assiste au combat mené par le président Préval contre le salaire minimum des 200 gourdes pour les ouvriers des industries d’assemblage. Quand on dit qu’il appuie la candidature du chef de la sécurité rapprochée d’Amaral, comme sénateur du département de l’Ouest. Quand on constate que le président Préval fait éliminer Michèle Pierre-Louis par un complot de bas étage. Quand les partis politiques sont déstabilisés par le Palais national qui corrompt leurs membres en leur promettant monts et merveilles.
Ce que le président Préval doit comprendre, c’est que les patriotes et démocrates sont prêts à lui pardonner pour le mal qu’il a fait, s’il évite à Haïti une déchéance de plus et même une guerre civile. Parce qu’ils savent que, pris dans le cadre de la volonté d’abêtissement d’Haïti et des Haïtiens planifiée par la communauté internationale, ses péchés sont des peccadilles. L’idéologie dominante internationale a choisi d’inculquer à ses marionnettes certaines valeurs négatives pour en faire des riens, sans dignité, mais capables de toutes les vilenies pour garder l’illusion du pouvoir.
Dans la conjoncture, il est urgent et nécessaire de contraindre le gouvernement Préval de changer le CEP et d’en nommer un autre en respectant les prescrits transitoires de la Constitution de 1987. Cela veut dire que chaque secteur de la société civile doit présenter un candidat et pas deux au président. La nécessité du changement est légitime. Ainsi la machine électorale deviendra alors ce qu’elle doit être : une institution productrice de légalité.
[1] Anthony Lespès, Adieu à Basquiat, P-a-P, 3 Août 1950.