Débat
Par Leslie Péan
Soumis à AlterPresse le 19 novembre 2009
La fin du deuxième mandat du président René Préval en février 2011 donne lieu à des luttes de pouvoir sans précédent dans les annales historiques haïtiennes. Michèle Pierre-Louis en est la première grande victime. Ce n’est pas souvent que la personne ayant bien des atouts pour être dauphin soit sacrifiée sur l’autel des luttes intestines pour le pouvoir suprême. Les conflits dans les luttes de pouvoir deviennent des contradictions antagoniques. On l’a vu aux Etats-Unis d’Amérique en 1974 avec le scandale du Watergate, comment le président Richard Nixon est devenu un bouc émissaire pour sauver les centaines plus grandes firmes de la Corporate America engagées jusqu’au cou dans la corruption, à travers les paiements illégaux, les fausses déclarations fiscales et les comptes dans des banques offshore, pour financer sa réélection en 1972. Ce dernier sera obligé de démissionner et l’empire américain s’en sortira avec le Foreign Corrupt Practice Act (FCPA) de 1977 pour tenter de juguler la multiplication du phénomène de corruption. En effet, l’État avec les riches et puissants qui le soutiennent, voyait d’un mauvais œil le monopole de la corruption lui échapper dans la conduite des affaires humaines.
Les avertissements de Raoul Peck et de Jean-Robert Sabalat
En liquidant Michèle Pierre-Louis comme il l’a fait, le président Préval se cache derrière un faux nationalisme pour défendre ses propres intérêts. Il révèle son inhumanité, comme dirait Spinoza. Le gouvernement Préval prend toutes les dispositions pour faire d’Haïti un camp de concentration avec ses miradors et ses barbelés électrifiés. Ce faisant Préval est lui-même son pire ennemi comme le disait Diogène au roi Alexandre. Il prétend ne pas vouloir que des Blancs lui dictent son comportement quotidien. Il veut être le charbonnier d’Haïti, c’est-à-dire être maitre chez lui, en dirigeant le pays comme son petit royaume. On se rappelle comment Raoul Peck, [1] ex ministre de la culture, explique la corruption financière au cours du premier mandat de Préval. L’ouvrage de Raoul Peck peut étourdir tant il décrit avec précision comment le gouvernement de Préval baigne dans l’huile de la corruption. Cela va des entreprises publiques privatisées et données à des copains, aux postes budgétaires fictifs dont les allocations disparaissaient dans l’escarcelle de la présidence et de la mafia du sérail. Peck donna sa démission en octobre 1997 et ne manqua pas des années plus tard à la veille des élections de 2006, dans une note satirique, d’appeler à voter Préval pour qu’Haïti ait le meilleur gouvernement du monde dépassant les prouesses des pays scandinaves en la matière. Préval méritait cet excès d’honneur satirique de la part de Peck.
Le sénateur Jean-Robert Sabalat dans une lettre au président Préval en date du 25 Mars 1998 indique comment la politique de la caverne d’Ali Baba continuera sans relâche après le départ de Raoul Peck du cabinet ministériel. Après avoir mentionné les 30 millions de gourdes dépensés dans les petits projets de la présidence, le sénateur Sabalat écrit :
« Aucune explication ne nous a été fournie jusqu’à date pour justifier l’utilisation de l’argent sus-mentionné. Où sont passés les 370 millions de gourdes du Budget national alloués par le Sénat au secteur de la production agricole, valeur qui a été soustraite du paiement de la dette interne de l’Etat.
Nous attendons toujours les explications du ministre des Finances sur la destination de cette rondelette somme.
M. le président de la République, je n’en finirais pas si je me mettais à citer tous les scandales dont l’Exécutif fait l’objet, certains d’entre eux ont d’ailleurs été dénoncés par les collègues sénateurs et par moi-même au cours de ces inutiles convocations de ministres. Aucun suivi n’a été donné à nos multiples requêtes d’explications. » [2]
Voici comment 20 millions de dollars ont disparu par les pratiques d’une dictature fragmentée et d’un despotisme mou ayant pour mission de corrompre le corps social. Préval n’est donc pas un novice. Sa capacité de désintégration des partis politiques et de décomposition de la société civile est remarquable. Avec lui, le naufrage de la démocratie est programmé.
Comme on peut le voir, la machinerie fatale de la corruption a été rodée. Il est donc normal que les 197 millions de dollars de la PetroCaribe s’évanouissent. De la bêtise à l’imbécilité, il y a un enchainement logique. Mais ce qui est plus grave, c’est quand des quidams s’agglutinant à d’autres dans ce haut-lieu où siégeait Jean-Robert Sabalat en 1998, décident d’accuser de corruption Mme Pierre-Louis et de la démettre. En demandant avec impassibilité des audits croisés sur sa gestion, Michèle Pierre-Louis fait du tumulte. Le gouvernement Préval ne peut s’y soumettre sans risquer cette fatalité de la découverte du pot aux roses.
Le gouvernement Préval feint de combattre la corruption sachant qu’il peut tout se permettre car il bénéficie de l’assistance militaire étrangère. Tout est là, dans cette présence militaire des Nations Unies qui tient le couvercle sur la marmite afin qu’elle n’explose pas. Devant la montée des contradictions des luttes des peuples pour leur émancipation, l’empire a créé des structures pour obliger les dominés à accepter l’oppression des dominants sous le fallacieux prétexte qu’il faut maintenir la paix. Ainsi les luttes des peuples pour un nouvel ordre sont congédiées quand elles ne sont pas tout simplement vaincues par les casques bleus sous les ordres des zouazo méchan qui les manipulent. Mais tôt ou tard les peuples prennent leur marque et reviennent à l’assaut pour exiger leur libération des oiseaux de malheur qui croient qu’ils peuvent décréter la fin de l’histoire.
Le CONAJEC de Préval
Les dernières manœuvres du président Préval pour créer un parti gouvernemental regroupant toutes les tendances politiques ressemblent étrangement à celles de Jean-Claude Duvalier. Le Comité National d’Action Jean-Claudiste (CONAJEC) est une sorte de grand parti créé le 13 Avril 1978 par Jean-Claude Duvalier pour contourner les demandes du président Carter d’appliquer une politique de respect des droits humains en Haïti. A l’époque, la construction démocratique s’articule autour de Gérard Gourgue avec le Comité Haïtien des Droits de l’Homme. La dictature de Duvalier avait coupé le fil des partis politiques. Grégoire Eugène va renouer le fil avec la création du PSCH (Parti Social Chrétien d’Haïti) suite à la publication de son pamphlet "Plaidoyer pour les partis politiques". Sylvio Claude prendra le relais de ce réveil de conscience avec le PDCH (Parti Démocrate Chrétien d’Haïti) suivi de Victor Benoit avec la création du CONACOM. Le CONAJEC a disparu en 1985 et fut remplacé par le Parti National Progressiste (PNP), également mort-né. Le CONAJEC s’est voulu une drogue pour plonger le pays dans une léthargie afin de réaliser le projet de la communauté internationale de destruction de l’agriculture vivrière et de promotion des industries d’assemblage.
Le CONAJEC de Préval propose de replonger le peuple haïtien dans une sorte de coma en renouvelant la dose de zombification. En cachant le projet de sa propre réélection dans l’ombre de la proposition d’amendement de la Constitution de 1987 présentée à la Chambre des Députés la veille de la fin de la session ordinaire. Les militants du CONAJEC de Préval parcourent le pays en disant : « nous avons une chance historique et l’opportunité de nous retrouver ensemble à gauche pour garder le pouvoir pour 50 ans ». Les mesures sociales prises par Préval n’autorisent aucun appui à ce projet. Son gouvernement n’est ni démocratique ni progressiste. Il est issu des élections présidentielles frauduleuses de 2006. Depuis lors, toutes les élections législatives et sénatoriales qu’il a organisées sont entachées d’irrégularités majeures. Ses mesures économiques dont le refus du salaire minimum de 200 gourdes pour les industries d’assemblage ne sont pas en faveur des ouvriers. Ses alliances avec les gangsters maintiennent la population dans l’inquiétude. La blessure irréparable, toujours à vif, qu’il a infligée à Michèle Pierre-Louis est l’ultime preuve qu’on ne peut se fier à sa parole. La campagne de dénigrement menée contre Michèle Pierre-Louis l’accusant de corruption dans l’utilisation des 197 millions de dollars du fonds PetroCaribe indique le cynisme de Préval et sa volonté de régler ses comptes dans la bonne tradition des procès staliniens. Le président Préval n’est pas crédible. Il faut lui donner la réponse de Giordano Bruno aux tortures des hiérarques de l’église. Même sur le bûcher, Bruno refusa de regarder la croix qu’on lui montrait et tourna la tête. Préval a pris ce qu’il y a de pire dans le duvaliérisme et son projet ne peut que mal finir.
La complicité de la MINUSTAH
L’appui militaire au pouvoir de Préval est au cœur de la mission de la MINUSTAH. Cet appui se fait de multiples façons. D’abord c’est l’imposition de Préval lors des élections frauduleuses de 2006. On connaît les pressions exercées par les ambassadeurs latino-américains sur les dirigeants du parti RDNP afin qu’ils acceptent la fraude électorale. Le gouvernement américain en premier lieu veut la stabilité et n’est pas prêt à dénoncer la fraude électorale quand ses intérêts ne sont pas menacés. Aussi, la réponse des Américains est nuancée même quand il y a des milliers de gens protestant dans les rues comme ce fut le cas en Iran lors des dernières élections présidentielles. Ensuite, la MINUSTAH détient les dossiers et connaît les vendeurs, les intermédiaires et les acheteurs de l’asphalte vénézuélien donné à Haïti en 2007 et vendu en République Dominicaine. Rien n’a été fait contre les corrompus et le trafic continue, cette fois avec le détournement de l’engrais vénézuélien vendu à Haïti à des prix préférentiels.
Enfin, le trafic de la drogue atteint des sommets. On se rappelle du scandale des 32 millions de dollars de Lavau à Port-de-Paix. La MINUSTAH n’a pas fait la lumière sur la question, mais son personnel impliqué a été dispensé de paraitre devant les enquêteurs de la justice haïtienne. Depuis l’arrivée de la MINUSTAH, les pistes d’atterrissages clandestins poussent comme des champignons après la pluie. Plus d’une douzaine dans le Plateau central. Plus de vingt-trois dans la presqu’ile du Sud et la Grand-Anse. Certains se demandent si les soldats latino-américains en Haïti émargent au budget des cartels de la drogue sud-américaine.
Les aristocrates du 4 août
Les forces patriotiques et démocratiques doivent s’inspirer des aristocrates du 4 août, c’est-à-dire des bénéficiaires traditionnels de privilèges qui décident de laisser tomber le statu quo pour se joindre aux forces nouvelles qui demandent un autre pays. Comme cela se fit en France le 4 août 1789. A l’annonce que des châteaux commençaient à être brulés par les paysans révoltés, les représentants de la noblesse et du clergé décidèrent d’abandonner leurs privilèges. Les appareils politiques doivent trouver leurs aristocrates du 4 août pour provoquer le déclic nécessaire au changement que le pays attend depuis 1986. Il faut trouver un chiffre supérieur à 184. Pour cela, les patriotes et démocrates ne doivent faire fuir personne car tous les bras sont nécessaires pour mettre leur pierre à la construction de l’édifice national. Face à des malfaiteurs qui agitent aujourd’hui un discours de gauche pour se perpétuer au pouvoir, la classe politique doit choisir le moindre mal. Quand la gauche installe le goulag, alors les militants sérieux doivent réfléchir. Le socialiste François Mitterrand n’a-t-il pas neutralisé l’ultra-conservateur Ronald Reagan en juillet 1981 en lui donnant de précieuses informations fournies par les services secrets français sur l’URSS, précipitant ainsi la chute du mur quelques années plus tard ? Devant la sanglante sottise d’un pouvoir qui s’allie aux gangsters, chacun doit prendre ses responsabilités. Le lévé kampé collectif est à l’ordre du jour pour remettre à l’heure les pendules qui se sont arrêtées.
Préval subordonne la vertu au pouvoir
Dans les limites imposées par la réalité internationale, le président Préval s’est débarrassé de Michèle Pierre-Louis parce que cette dernière était encombrante et gênante pour son projet politique de se succéder à lui-même. Ayant réalisé cet impératif, il ne s’embarrasse plus de prudence pour passer avec la vitesse d’un bolide aux autres étapes. Il ne fait pas ce qu’on doit faire dans une société qui cherche la démocratie mais ce que font tous ceux qui ont une soif inextinguible de pouvoir. C’est-à-dire, il concocte un mélange explosif incluant la force armée des baïonnettes de la MINUSTAH, les simulacres électoraux, l’apparence du dialogue et les intérêts mesquins de ses adversaires.
Le président Préval avait testé le terrain avec les élections sénatoriales frauduleuses, au cours desquelles il s’est donné une majorité de deux-tiers au Sénat de la République en Avril et Juin 2009. Ce fut la première étape dans son projet d’amendement de la Constitution afin qu’il puisse briguer un troisième mandat. Comme on le sait, pour pouvoir amender la Constitution de 1987, il faut avoir les deux-tiers du Sénat et de la Chambre des Députés. A partir du socle de la corruption électorale il construit son édifice pour se perpétuer au pouvoir. Il utilise pour cela un CEP entièrement sous son contrôle afin que ce soit les candidats qu’il choisit qui soient élus. Pour les anarcho-populistes, la vertu en politique est subordonnée aux nécessités de la lutte pour le pouvoir. En sirotant son bweson, Préval applique ce principe rigoureusement en riant de ceux qui pensent pouvoir faire la politique sans être des salauds.
Avec sa sécheresse de cœur, il fait accuser Michèle Pierre-Louis de corruption par ses Sénateurs élus frauduleusement et la fait destituer. Il nomme un nouveau gouvernement et convie les membres d’autres partis politiques à en devenir membres afin de les neutraliser sinon de les corrompre. Devant la résistance de certains comme Micha Gaillard, il fait courir le bruit dans la presse que certains de son sérail politique ne voulaient pas de lui et c’est la raison pour laquelle il n’a pas été nommé. Il s’agit de faire accréditer l’idée que personne ne peut dire NON aux offres du président. Une façon de dire que les Haïtiens n’ont pas de couilles et acceptent de vivre dans la fange.
Préval planifie la deuxième étape qui est l’organisation des élections législatives le 28 février 2010 afin de faire le même coup qu’il a orchestré pour les élections sénatoriales d’Avril et Juin 2009. A cet effet, Préval examine les noms de tous les candidats à la députation pour s’assurer qu’il aura les deux-tiers des députés acquis à sa cause. A l’exception du parti Organisation du Peuple en Lutte (OPL), on assiste à des défections de tous les autres partis dont les militants abandonnent leur formation politique d’origine pour s’inscrire sur les listes du parti LESPWA, la formation politique présidentielle.
Le balbutiement de l’aube
Préval dit aux autres partis politiques que seuls les candidats qui seront inscrits sous la bannière de son parti LESPWA seront élus. C’est donc un vrai rouleau compresseur qui est mis en branle. Le président Préval dit aux autres partis et courants politiques d’être pragmatiques sinon ils seront écrasés. La situation est particulièrement difficile pour le parti Fusion des socio-démocrates qui a quatorze députés au parlement et cinq sénateurs. La FUSION est dans une mauvaise passe du fait même que trois de ces sénateurs dont Michel Clérié, Judnel Jean et Jean Rodolphe Joazil ont participé au complot contre Michèle Pierre-Louis. Le président Préval s’était rallié sur une base amicale certains dirigeants de cette organisation pour les neutraliser. C’est le cas avec le Ministre de la Santé Publique aidé de partisans du président Préval au sein de cette organisation qui ont pu utiliser des militants de base pour demander le renvoi de la direction actuelle. Une cinquantaine de militants ont pris d’assaut le siège central du Parti le lundi 16 novembre à Turgeau. Le prétexte trouvé : le Congrès du parti n’a pas eu lieu depuis trois ans comme cela est prévu dans les statuts. En réalité, Préval affiche sa méchanceté et se venge du refus de la direction de la FUSION de participer aux élections législatives bidon qu’il veut organiser le 28 février 2010 et dont les inscriptions sont clôturées ce vendredi 20 novembre 2009.
En réalité, le combat est entre le groupe qui veut s’allier à Préval d’un côté pour garder les postes électifs qu’ils ont actuellement (même s’ils sont malélu), et l’autre qui refuse l’ukase de Préval et préfère être dans l’opposition même sans députés et sénateurs au nom de la poursuite du combat démocratique (les malpouélu). Le premier groupe joue au « mazora » et dit « Pito nou lèd nou la ». Le second refuse la corruption électorale et défend les principes.
En flattant les intérêts de ceux et celle qui veulent être élus, le président Préval utilise l’humiliation et le mal pour tenter de réaliser son rêve d’avoir un troisième mandat. Cela provoque une dose d’indignation dans la population. Préval tient bon car il sait que la vertu publique a toujours été une denrée rare. Il a une morale de fer, de celle que les partisans de l’inquisition appliquent contre leurs contradicteurs, sans se poser trop de questions. La morale des salauds ou encore le cynisme politique à la Machiavel du Prince a toujours mis en avant la force et la puissance au détriment de la vertu et de l’éthique. On est loin de l’idéal du juste comme le voulait Platon ou encore du Machiavel des Discours sur la Première Décade de Tite-Live. Le chen manje chen nie les valeurs universelles et se rabat sur le relativisme éthique du singulier petit pays. Dans la conjoncture actuelle, en tenant compte du passé, on ne saurait afficher un optimisme béat ou un pessimisme systématique. En l’absence des agents du changement prêts à descendre dans l’arène, Préval profitera de la résignation, aussi farouche qu’elle soit, pour réaliser son agenda macabre. Si les patriotes démocrates ne font rien, il ne se passera rien. En attendant, gardons l’oreille analytique pour identifier les symptômes du lever de soleil dès qu’ils s’annoncent. Pour le moment, nous n’en sommes qu’au balbutiement de l’aube. Les oiseaux se taisent car ils n’ont pas encore aperçus la couleur du jour nouveau.