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Bresil : La lutte pour la terre des descendants d’esclaves

Par Clémence Petit-Perrot

Repris par AlterPresse le 14 novembre 2009

(Syfia Brésil) À l’époque de la colonisation portugaise du Brésil, les esclaves africains
échappés des plantations ou libérés par leurs maîtres se regroupaient en communautés
clandestines, les quilombos. Certains de ces villages existent encore, mais pour les
descendants des esclaves, la lutte pour la terre a remplacé celle pour la liberté.

À première vue, rien ne distingue le quilombo de Campinho da Independência des villages alentour.
Une route de latérite abrupte, ponctuée de quelques maisons de tôle ondulée, ouvre sur une vallée
couverte de petites parcelles cultivées. Au-delà s’étend la mata atlantica, la forêt primaire, qui
recouvrait jadis tout l’État de Rio de Janeiro. "Nous sommes dans un lieu très spécial" prévient
Claudio Amancio, un lieu d’histoire et de résistance." "À l’origine, il y avait Antonica, Marcelina et
Luiza, trois esclaves arrivées d’Angola vers 1850, à qui leur maître a rendu par la suite la liberté et
donné une parcelle de terre. C’est elles qui ont fondé Campinho. Depuis, leurs descendants vivent ici
"
, poursuit Claudio, 35 ans, qui tient une pousada (auberge) à Campinho et se veut le garant de
l’histoire du lieu. De la fin du 17e siècle jusqu’au 19e, les quilombos, ces communautés créées par
des esclaves africains échappés des plantations de canne à sucre ou libérés par leurs maîtres, se
sont multipliées à travers le Brésil. Après la colonisation, leurs descendants sont souvent restés sur
place et ont continué à cultiver les terres.

Lutte pour la terre

Jusqu’en 1988, leur présence sur ces terres ancestrales n’était pas garantie. Sous la pression de la société civile, notamment des mouvements qui ont exigé des compensations pour les descendants des victimes de l’esclavage, l’Etat brésilien a finalement décidé d’agir. La Constitution de 1988, promulguée à l’occasion du centenaire de l’abolition de l’esclavage, a mis fin à ce vide juridique en reconnaissant le droit à la terre pour les descendants des habitants des quilombos. En 1999, ceux de Campinho ont été les premiers dans l’État de Rio de Janeiro à obtenir un titre de propriété collectif sur 289 hectares de terre. Mais la plupart des autres communautés n’ont jusqu’alors pas été aussi chanceuses. Le processus juridique est en effet long et fastidieux. Il commence par une démarche volontaire et collective des habitants. Ensuite, l’Etat évalue la demande selon des critères d’ "authenticité de l’héritage culturel" et de généalogie de chacun des habitants. À Campinho, les 93 familles descendent des trois fondatrices. "C’est un critère non négociable pour pouvoir vivre ici", explique Claudio. Une fois ce test passé, la procédure peut prendre des années. Les demandes se heurtent souvent à la lenteur administrative ou à des intérêts privés, notamment touristiques. Selon des chiffres officiels de mai 2008, seuls 87 des quelque 3 000 quilombos recensés à travers le pays ont obtenu un titre de propriété. La possibilité ouverte par la Constitution de 1988 a suscité des milliers de requêtes aux quatre coins du pays, révélant les conditions d’extrême pauvreté dans lesquelles vit la majeure partie de la population rurale noire.

Selon un rapport du Programme des Nations unies pour le développement, les communes sur
lesquelles sont situés les quilombos sont parmi celles ayant l’indice développement humain le plus
bas du pays.

Revendication d’une identité noire

Pour l’État brésilien, reconnaître ces villages participe également d’un plus large mouvement actuel de préservation et de promotion et de la culture afro-brésilienne dans le pays. Les quilombos sont ainsi vus comme des lieux de mémoire et de patrimoine à valoriser. Les murs des cinq chambres de l’auberge de Claudio sont couverts de fresques naïves qui racontent le mythe fondateur des trois esclaves. Chaque 20 novembre, tous les habitants de Campinho se retrouvent pour une grande parade en l’honneur de Zumbi, héros légendaire fondateur du plus célèbre quilombo du Brésil, Palmares, où plus de 30 000 esclaves en fuite ont trouvé refuge avant qu’il ne soit pris par l’armée portugaise en 1694. Pour Silvia, qui travaille au petit centre artisanal, la reconnaissance de Campinho a ravivé l’identité culturelle des habitants : "Nous avons commencé à promouvoir l’artisanat pour les touristes de passage. Nous créons des spectacles de danse traditionnelle comme le jongo que nous ne pratiquions presque plus." Ici la plupart des habitants dépendent d’une agriculture de subsistance. Ils cultivent l’ananas, le manioc, les haricots, le maïs et récoltent les baies de palmiers açaï. "L’idéal serait que nous soyons complètement auto-suffisants. C’est qui a permis aux quilombos de préserver leur culture jusqu’à présent", estime Claudio. Mais depuis une vingtaine d’années environ, beaucoup d’habitants ont été obligés de chercher un emploi à l’extérieur. Claudio lui-même a travaillé pendant huit ans dans le tourisme avant de revenir à Campinho pour y monter son auberge. Un choix qu’il dit ne pas regretter : "Désormais à travers mes clients, j’informe le monde sur notre culture, mais aussi sur nos combats."