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Haïti-Société : Luttes paysannes ou luttes pour la dignité humaine…

en vue d’une autonomie et d’un changement véritables

Par Karenine Francesca Théosmy

P-au-P, 3 nov. 09 [AlterPresse] --- La plateforme des organisations haïtiennes de droits humains (Pohdh) a tenu, le vendredi 30 octobre 2009, un débat autour du thème Luttes paysannes et droits humains, avec comme intervenant le directeur général de l’Institut culturel Karl Lévêque (Ickl), Marc Arthur Fils-Aîmé, dans le cadre de son rendez-vous mensuel, dénommé « les vendredis de la plateforme », auquel a assisté l’agence en ligne AlterPresse.

« Les luttes paysannes ont toujours eu comme moteur essentiel le partage des richesses disponibles et la dignité humaine », rappelle Fils-Aîmé qui, à travers une démarche historique, établit les formes et l’intérêt des luttes paysannes dans le pays.

Cette dignité, la paysannerie haïtienne a cherché à l’atteindre par la propriété de la terre, mais, d’une époque à une autre, son combat a été soit détourné, soit écrasé par une classe dominante favorisée par un modèle de société inégalitaire.

Luttes pour la dignité humaine…

Les luttes paysannes en Haïti revêtent plusieurs formes et s’inscrivent dans deux grands moments, aux yeux du directeur de l’Ickl.
Le premier moment coïncide avec l’époque coloniale et la lutte pour l’indépendance nationale (1er janvier 1804).

C’est le temps des marrons, du combat individuel pour échapper au joug inhumain des colons, suivi de l’heure des premières tentatives d’organisation que le congrès grandiose du Bois Caïman consacrera.

Dès cette période, un ordre fondateur de la structure sociale haïtienne s’instaure. Avec l’ascension de Toussaint Louverture, une classe sociale, constituée de noirs et de mulâtres libres, s’érige, imposant un travail féodal aux masses, affranchies par la liberté générale nouvellement proclamée.

La paysannerie dût alors se battre contre ce système qui lui refusa la propriété de la terre qu’elle-même valorise par son labeur. Par la suite, « la classe dominante fera alliance avec les commerçants pour forcer les paysannes et paysans à planter pour l’exportation ».

« La paysannerie haïtienne s’est constituée dans la lutte. Ce n’était pas seulement une lutte pour la liberté, mais aussi pour la dignité humaine. », explique Fils-Aîmé.

Le directeur de l’Ickl retrace ainsi cette « naissance de la paysannerie haïtienne dans la douleur », en relatant l’acharnement des généraux, parmi eux Jean Jacques Dessalines (fondateur la nation), à massacrer, sur ordre des Blancs, les opposants anciens esclaves noirs sans terre, dont les groupes étaient appelés péjorativement « bandes » à l’époque.

Cependant, à l’annonce de la restauration de l’esclavage en Martinique et en Guadeloupe, les bourreaux récupéreront le mouvement de leurs victimes et feront une alliance historique qui conduira à 1804.

...Luttes perverties

A partir de là, les luttes paysannes entrent dans un second moment. Elles prendront différentes formes, mais garderont la même racine, souligne Marc Arthur Fils-Aîmé.

Luttant successivement contre les colons étrangers et contre les membres de « la classe dominante », la paysannerie sera, à de nombreuses reprises, utilisée par les politiciens qui lui feront miroiter des avantages par le biais de discours mensongers.

Par exemple, après le mouvement des Goman et Acaau, le mouvement des Cacos perdra de son autonomie. Cette autonomie sera regagnée à la faveur de l’émergence de Charlemagne Péralte autour de 1916-1917, puis disparaitra de nouveau, signale Fils Aimé.

Puis, la lutte paysanne sera, tour à tour, attaquée par des procédés subtils, comme l’octroi systématique de visas américains aux familles paysannes durant la période post-1990, et par la violence, à l’image du massacre de Jean Rabel (23 juillet 1987).

Dans ce contexte, de grands mouvements paysans arrivent, néanmoins, à se distinguer avec la vision d’une autre société qui passe, entre autres, par une reforme agraire et des crédits agricoles.

Perspectives de luttes globales

Une récente initiative a été prise par le réseau du mouvement social haïtien (Remosa) avec comme objectif, pour les organisations membres, d’intégrer et de développer une coopération alternative avec l’Alliance bolivarienne des Amériques (Alba).

Pour certains, le gouvernement haïtien, robotisé, demeure télécommandé par les agences internationales et, de ce fait, est incapable d’envisager une telle coopération.

Aussi, l’initiative du Remosa pourrait-elle être un nouveau tournant dans l’autonomie des luttes paysannes ou, mieux, signer un changement prometteur dans son organisation.

« Je souhaite qu’il ne s’agisse pas d’un feu de paille et que ce soient des mouvements qui ont étudié et qui connaissent l’Alba, qu’ils essayent de se structurer pour l’intégrer », opine simplement Marc Arthur Fils-Aîmé.

Plusieurs représentants d’organisations ont interagi et offert leurs points de vue sur les idées émises par le panéliste.

L’une des remarques a concerné le mode d’accompagnement possible (aujourd’hui) aux paysannes et paysans.

« Il n’y a pas de recette magique. Le mode d’accompagnement peut varier, en fonction de la conjoncture nationale et internationale », de l’avis de Marc Arthur Fils-Aîmé.

En 2009, le secteur paysan, quelque peu délaissé par l’État qui ne lui accorde qu’un mince budget et des crédits n’atteignant pas 2% dans les banques, doit également se battre contre les nouveaux défis environnementaux, comme le projet de culture de Jatropha et les changements climatiques. [kft rc apr 3/11/2009 0:00]