Débat
Par Leslie Péan
Soumis à AlterPresse le 25 octobre 2009
La pétition lancée pour exiger un calendrier de départ de troupes de la MINUSTAH est une bonne chose. La collecte de signatures doit continuer sans se laisser distraire par ceux qui ne comprennent pas ou feignent de ne pas comprendre les enjeux. Ils vont se retrouver soit dans un isolement grandissant, ou encore partageant le sort que l’histoire ne manquera pas de réserver au gouvernement de Préval, ou enfin ils prendront le train en marche. « La politique c’est la guerre continuée par d’autres moyens » dit Michel Foucault. [1] Il faut donc être des stratèges. La pétition est une forme de lutte importante surtout pour donner du courage à des individus qui ne peuvent pas, pour diverses raisons, participer aux autres formes de luttes. À ce carrefour, les patriotes se doivent de ménager leur monture et de ne pas perdre de temps à traiter des diversions car le pire est encore devant nous. Toutefois, ils doivent accepter les critiques et n’avoir pas peur de se remettre en cause. Mais la préoccupation essentielle doit rester la désoccupation du pays par la MINUSTAH et l’avancement du mouvement pour la libération d’Haïti. Dans ce combat, il n’y a pas de propriétaires et c’est important de laisser d’autres s’approprier l’initiative. À leur propre rythme. C’est la meilleure façon de les aider à prendre en main leurs propres vies.
Avec une fièvre obsidionale
Pour gagner la guerre contre les gangsters intégrés dans l’appareil d’Etat, il importe de scruter l’horizon pour faire les alliances nécessaires. Cela conduit à parler de la prégnance de la division dans le milieu. C’est un élément très important dans les luttes politiques haïtiennes et qui a été négligé par la critique scientifique : notre psychologie de peuple. Bien sûr, il y a les travaux de Jean Price-Mars, Louis Mars, Michelson Hyppolite et ceux incontournables du Dr. Legrand Bijoux. Tous ces travaux abordent la question de la mentalité haïtienne. Le mal persiste tant à la base qu’au sommet. C’est le chen manje chen. Les hordes de pillards pratiquant les déchouquages ne se recrutent pas seulement dans les masses mais aussi dans les élites expertes en dévoration. Au sommet, c’est la dévoration du tigre. Le sérail politique est nourri par cet ordre cannibale. Comme l’explique le Dr. Legrand Bijoux, “le tigre ne manque jamais de manifester sa supériorité en massacrant l’autre, des fois pour sa survie personnelle, d’autres fois par vengeance et souvent pour aucune raison sérieuse « rien que pour l’ordre » ”. [2]
Au fait, ce comportement émane de la mentalité d’esclave transmise de génération en génération. Nul n’y échappe. Comme le dit Goethe « Nul n’est plus désespérément esclave que celui qui se croit libre à tort ». Dans notre cas, cette mentalité d’esclave s’est développée et se renforce du fait même que notre peuple a toujours vécu comme les habitants d’une ville assiégée. Avec une fièvre obsidionale. Ce qui explique nos délires, nos folies et notre complexe de persécution. Il y a parmi nous ceux qui combattent quelques soient les conditions, ceux qui s’accommodent de toute situation pour vivoter, et enfin ceux qui s’associent aux maitres esclavagistes pour les défendre. C’est le cas avec Georges Biassou dans le Nord mais c’est aussi le cas avec Jean Kina dans le Sud. Il ne faut pas se tromper. Les archives d’une trentaine de notaires de la Grande Anse révèlent que non seulement l’esclavage a continué dans cette région jusqu’en 1798, longtemps après l’émancipation de 1793, mais aussi que les esclaves se sont battus pour défendre leurs maitres avec les armes données par ces derniers. [3] Ce n’est donc pas aujourd’hui que la peur du lendemain, la peur tout court, pousse des esclaves à appuyer la politique de leurs maitres !
Une vérité de la Palice
Les patriotes ne doivent afficher aucune agressivité contre ceux qui ne comprennent pas encore que la politique c’est la guerre et qui donnent, malgré eux, des arguments boiteux au président Préval pour le maintien de la MINUSTAH. Leur défense des Nations Unies ne s’explique que par leur ignorance du rôle réel de ce genre d’institutions dans le maintien d’un ordre international injuste. De l’assassinat de Patrice Lumumba au Congo en 1961 au massacre de plus de six millions de Congolais en République Démocratique du Congo qui se poursuit actuellement, et en passant par le génocide rwandais de 1994, la réputation de l’ONU est bien faite sur ces millions de cadavres. Cela ne signifie nullement que les voix de la conscience universelle ne se lèvent pas régulièrement pour dire NON au système de droit de veto qui confisque l’ONU et annihile les votes de l’Assemblée Générale au bénéfice du gouvernement américain. C’est une vérité de la Palice que le gouvernement américain détient le record dans le nombre de résolutions qui ont été bloquées à cause de leur veto. C’est aussi une autre vérité de la Palice que la plus grande concentration de corruption et de chantage est aux Nations Unies.
Revenons à nos moutons et essayons de comprendre le comportement des Haïtiens dans leur combat séculaire contre le reste du monde. Les grandes puissances ont toujours manifesté leur hostilité vis-à-vis d’Haïti depuis 1804. Le traumatisme fondateur de l’embargo de la communauté internationale contre Haïti à sa naissance s’est accompagné de la trahison des élites sous Pétion et Boyer. Dès lors, les masses populaires ont appris à ne plus faire confiance à leurs dirigeants. Voilà la source de cette méfiance ancestrale que nous charrions et qui bloque tout développement. En effet, comme le souligne Pierre-Marie Boisson, économiste de la SOGEBANK, [4] les attitudes mentales consacrent une attitude de méfiance généralisée dans la population. Un manque de confiance qui bloque toute compétitivité. Cela fait plus de deux siècles que cela dure. L’abandon de la majorité de la population par les élites et la répression féroce aident à expliquer pourquoi certains n’ont d’autre horizon que la fuite sur les mers ou dans les bateyes. Mais plus que cela, la mentalité d’esclave alimentant la méfiance permet de comprendre l’imperméabilité d’autres aux appels à la raison. Face à cette situation de dressage comportemental, les patriotes doivent faire de la libération du pays des forces étrangères leur profondeur stratégique.
[1] Michel Foucault, Il faut défendre la société, Gallimard/Seuil, Paris, France, 1997, p. 41.
[2] Dr. Legrand Bijoux, Des Mœurs qui blessent un pays (Haïti), Media Texte, P-a-P, Haïti 1997, p. 10.
[3] Keith A. Manuel et. al., “A Guide to the Jérémie Papers”, Smathers Libraries, University of Florida, Gainesville, Florida, October 2007.
[4] Dieudonné Joachim, “Haiti : Le manque de confiance rend les Haïtiens peu compétitifs”, Le Nouvelliste, 22 octobre 2009.