Le bicentenaire de la dernière grande bataille qui conduisit à l’indépendance d’Haïti (Vertières, 18 novembre 1803) a été célébré dans une atmosphère de confrontation. La cérémonie officielle n’a pas permis aux divers secteurs de la vie nationale de se rencontrer et a été boudée par un large pan du corps diplomatique. A Port-au-Prince, des secteurs alternatifs ont opté pour une remise en question.
1] ARISTIDE A VERTIERES
200 ans après la victoire de l’armée indigène contre les troupes françaises à Vertieres (Cap-Haitien, nord) le 18 novembre 1803, le président haïtien, Jean Bertrand Aristide, a lancé un appel à une « guerre pacifique contre la pauvreté ». La stratégie, les forces, les armes et les alliés dans cette « guerre » n’ont pas été mentionnées.
Devant plusieurs milliers de personnes Aristide a déclaré qu’ « il nous faudra un jour transformer l’acte de naissance de la misère en acte de décès de la misère ». Il a souligné que « la misère d’aujourd’hui est le résultat de l’esclavage » d’hier et du « complot des 200 ans ».
Aristide a comparé l’esclavage au blocage de l’aide internationale depuis les élections contestées de l’année 2000. « Qu’il s’agisse de l’esclavage, qu’il s’agisse de l’embargo, c’est le même complot », a-t-il affirmé.
La France a été le dernier pays colonisateur d’Haïti, après l’Espagne et l’Angleterre. La bataille de Vertières a été la dernière grande offensive menée par l’armée indigène pour repousser définitivement les troupes françaises.
Aristide a présenté le triomphe de Vertières comme une victoire « contre l’exclusion, le racisme » et le « sommet du sommet des victoires de liberté ».
Sans faire allusion directe à l’argent payé par Haïti à la France au 19ème siècle pour la reconnaissance son indépendance, Aristide a affirmé : « nous allons remporter la victoire de la restitution ».
Des représentants de tous les grands corps de l’Etat et les autorités religieuses ont pris part à la cérémonie de Vertières. Les membres de l’opposition étaient absents de même que les représentants du secteur privé.
Les associations avaient annoncé leur refus de prendre part a cette cérémonie aux cotés du Chef de l’Etat afin de protester contre l’arrestation de 25 membres du Groupe 184, lors d’un rassemblement avorté le 14 novembre dernier. 21 d’entre eux ont été libérés en fin de soirée du 17 novembre et 4 ont été gardés en prison, dont l’industriel Charles Baker, vice-président de l’Association des Industries d’Haïti.
A cause de ces récents évènements, les ambassadeurs des Etats-Unis et des pays de l’Union Européenne ont été absents à Vertières. Ils avaient annoncé leur décision le 17 novembre.
Toutefois, les ambassadeurs du Vatican, Monseigneur Luigi Bonnazi, du Canada, Kenneth Cooke, et les représentants des pays de la Caraïbe et de l’Amérique latine ont accompagné le Chef de l’Etat haïtien à Vertières.
Un imposant dispositif de sécurité, avec des dizaines d’agents étrangers de la sécurité rapprochée de Jean Bertrand Aristide, a été déployé sur le site historique où s’est déroulée la cérémonie.
2] « LE 18 NOVEMBRE DEVAIT ETRE UN MOMENT D’UNITE »
Un des dirigeants de la Convergence Démocratique (opposition), Evans Paul, a critiqué la présence d’agents étrangers ce 18 novembre à Vertières, ce qui, selon lui, représente un affront aux héros de cette bataille.
Evans Paul a déclaré que Aristide "a raté l’occasion de démontrer sa dimension de chef d’Etat". Il a qualifié le discours du président de "mic mac", truffé de menaces.
Evans Paul a regretté que le bicentenaire de la bataille de Vertières soit célébré dans la confrontation. « Le 18 novembre devait être un moment d’unité », a-t-il indiqué.
L’Initiative Citoyenne du Cap Haïtien, n’a pas pu effectuer une série d’activités prévues la fin de la semaine dernière dans le cadre des 200 ans de la bataille de Vertières et pour rappeler une grande marche de plusieurs milliers de personnes, réalisée le 17 novembre de l’année dernière.
Pour question de « sécurité », l’Initiative Citoyenne a du laisser passer la date du 17 novembre sans réaliser une autre marche prévue. Tandis que la veille, des milliers de partisans de lavalas ont pu effectuer une marche au flambeau au monument de Vertières.
3] RELEVER LE « SENS REEL » DU BICENTENAIRE
A l’occasion du bicentenaire de la bataille de Vertières, le « Comité 2004 Populaire », formé de plusieurs organisations et institutions des secteurs alternatifs, a organisé une conférence-débat à Port-au-Prince sur le thème : « domination et résistance dans les luttes populaires ». L’accent a été porté sur la participation des masses dans les multiples batailles qui ont aboutit à l’offensive de Vertières.
Contrairement aux initiatives du pouvoir de « célébrer, fêter » le bicentenaire en mettant en avant les généraux Toussaint, Dessalines, etc., « nous pensons qu’il faut trouver le vrai sens de cette indépendance », a déclaré un des responsables du comité, Guy Numa, à Radio Kiskeya.
Il importe, selon Guy Numa, de profiter du bicentenaire pour « relancer les luttes populaires afin de parvenir à une indépendance réelle, pour en finir avec la domination et l’exploitation ».
Aujourd’hui, a ajouté Guy Numa, en plus de l’exploitation et la domination, l’impunité règne, les libertés d’expression et de manifestation sont bafouées. D’où la nécessité, selon lui, de trouver d’autres formes de célébration.