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Haiti : La production des sous-hommes et la MINUSTAH

Débat

Par Leslie Péan

Soumis à AlterPresse le 17 octobre 2009

Le titre est une inversion des termes « MINUSTAH » et « production des sous-hommes » repris d’un autre papier publié sur un forum de la toile et destiné à un public plus restreint. L’objectif est de donner une plus grande diffusion à des idées concernant la pétition appelant à la présentation du calendrier de retrait des troupes de la MINUSTAH du sol haïtien. C’est aussi un appel contre les tentatives d’abêtissements orchestrés par le pouvoir en place contre les institutions. C’est enfin une façon de rendre un hommage à ce vaillant combattant que fut Dessalines, assassiné le 17 octobre 1806.

Le système politique servile et dictatorial qui existe en Haïti pense pouvoir émasculer toute la population. Ce système diabolique croit pouvoir contraindre tout le monde à baisser l’échine et à être soumis. A éliminer ce que Platon dans La République appelle le thymos, c’est-à-dire la fierté et l’amour-propre. Le président de la République s’évertue à mettre ce maudit système en valeur en faisant alliance avec flatteurs et béni oui-oui. Sa lettre aux Corps et Organisations devant former le Conseil Electoral Provisoire (CEP) leur demandant de lui envoyer deux noms afin qu’il en choisisse un pour le nommer au CEP est la dernière indication qu’il persiste dans la déréliction et la fourberie. Ce n’est pas au président de choisir mais aux Secteurs de le faire comme le dit l’article 289 de la Constitution de 1987. Les Secteurs ne doivent envoyer qu’un seul nom au Président.

L’article 289.1 de la Constitution est formel là-dessus. Il y est dit « Dans la quinzaine qui suivra la ratification de la Présente Constitution, les Corps ou Organisations concernés font parvenir à l’Exécutif le nom de leur représentant. » En leur demandant de faire autrement, le président Préval encourage la veulerie et donne le mauvais exemple. En bon autocrate, il décide ce qu’est la loi et tout le reste de la société doit le suivre ou encore feindre de le suivre. Il n’encourage pas la droiture, la franchise et la vérité. Il continue avec les vieilles pratiques d’élections truquées depuis son premier mandat en contrôlant le CEP. Avec lui, plus on est lâche, plus on accepte des postures humiliantes, mieux on est récompensé. En négligeant ainsi les valeurs humaines fondamentales, le président donne un très mauvais exemple aux jeunes qui constituent la majeure partie de la population. Goya disait comment “le sommeil de la raison engendre des monstres”.

Cette manière de faire présidentielle va plus loin qu’un simple sommeil de la raison. Elle organise une vraie éclipse de celle-ci avec pour résultats la production de sous-hommes aux frustrations mesquines. Les élections antérieures ont prouvé que la mise en commun de personnes ayant des allégeances présidentielles partisanes ne peut déboucher sur une aucune addition salutaire. En voulant jongler avec le temps, le président Préval est rattrapé par la fin de son mandat qui approche. Il s’énerve et ne peut plus tromper en masquant son jeu. Il est obligé de révéler le cristal de sa sauvagerie et de ses exigences de pouvoir. Face aux partis politiques qui contestent son ukase de donner les deux noms qu’il réclame aux Secteurs pour former son CEP bidon au plus tard le 13 octobre, il sort de son chapeau une entité dénommée Fédérations Nationales des CASEC et ASEC d’Haïti et lui écrit pour lui demander de soumettre deux noms afin de remplacer ceux que la Convention des partis politiques haïtiens a refusé. Ce surgissement de Préval pour produire des sous-hommes relève de sa conviction profonde qu’on trouvera toujours des lâches et des gens sans caractère pour faire les basses besognes. Le côté irruptif de l’intervention du président dans la formation de énième CEP bidon le rétablit dans sa fonction de président des vies et des biens et vient confirmer qu’il n’est pas insignifiant comme certains le prétendent. Il a le pouvoir de faire et de défaire au milieu d’une population d’ombres qu’il peut humilier comme il veut et qui lui servent essentiellement à confirmer qu’il est le chef.

En demandant la reconduction pour une année des troupes de la MINUSTAH en Haïti le 15 octobre dernier, le président Préval pense qu’il joue gagnant. Peu lui importe le traumatisme que la présence de la MINUSTAH crée dans la population. Il n’a pas de problèmes avec le sentiment du gâchis collectif de ces soldats étrangers dans l’inconscient collectif haïtien. C’est le cadet de ses soucis. Il n’est pas gêné par le développement des comportements nihilistes chez nos jeunes qui ne se sentent plus fiers sur ce coin de terre. Ils n’ont plus d’ordre symbolique auquel s’identifier. Le président Préval a bien rempli sa tâche de brouiller tous les repères identificatoires. Comme d’autres, il ne peut entendre les échos de gémissement du silence de la multitude.

Certains prétendent qu’il existerait une dichotomie entre les Haïtiens de l’intérieur et ceux de l’extérieur en ce qui concerne leur sécurité quotidienne face au terrorisme des gangsters. Ceci est une fausse bonne idée. Pour plusieurs raisons. La présence des troupes armées de la MINUSTAH est source de douleurs et de souffrances pour tous les Haïtiens qui ont une âme. Tous les malheureux qui ont une conscience patriotique souffrent, qu’ils aient l’expérience directe des troupes onusiennes en Haïti ou qu’ils soient à l’extérieur. Cette douleur, même quand elle est à distance, est insupportable.

Les forces de sécurité d’Haïti doivent être haïtiennes. Les Haïtiens ne sont pas des zombies et ont le droit de s’exprimer contre la présence de la MINUSTAH. Qu’on demande aux femmes violées par les soldats de la MINUSTAH leur opinion sur l’insécurité. Elles vous raconteraient une toute autre histoire. Qu’on demande aux partis politiques qui ont subi les pressions de la MINUSTAH pour accepter le verdict de la « baignade » à l’hôtel Montana et vous aurez un autre son de cloche. La MINUSTAH est au-dessus des lois haïtiennes et ses membres impliqués dans les affaires de drogue comme celle de Lavaud dans le Nord-Ouest ne sont pas disponibles pour comparaître devant les tribunaux haïtiens. Enfin, la liste des signataires de la pétition qui circule sur la toile depuis deux semaines donne la vérité sur l’état d’esprit du citoyen moyen par rapport à cette occupation étrangère. Des Cayes à Marigot, de Cité Soleil à Jérémie, de Cavaillon à Pont-Sondé, de Martissant à Ti Goâve, la protestation gronde. Au dernier décompte plus de 630 signataires individuels auxquels il faut ajouter 290 organisations régionales de base provenant de neuf départements géographiques. Ce sont des gens qui habitent en Haïti et qui savent les dégâts qu’une présence étrangère crée dans l’inconscient d’un peuple pour des générations. La bande des Griots de Duvalier, pour avoir subi le « choc » de l’occupation américaine, en sait quelque chose. Le pays a payé pendant près de 50 ans le résultat de l’intériorisation d’un mal accepté par une génération qui n’a pas su reprendre le flambeau de la lutte des Cacos de Charlemagne Péralte. A l’époque le prétexte de sécurité avait aussi été évoqué par les collabos des gouvernements de Dartiguenave et Borno.

L’insécurité existe parce qu’il n’y a pas d’Etat digne de ce nom. C’est le rôle premier de l’Etat d’assurer le monopole de la violence dans une société donnée. Il faut donc travailler à créer cet État. Cela fait cinq ans depuis que les forces armées de la MINUSTAH sont en Haïti. Qu’est-ce qui a changé ? C’est une vaste plaisanterie de laisser quelques centaines de chimères prendre une société de dix millions en otage au point que certaines personnes estiment acceptables d’avoir recours à une occupation étrangère pour avoir l’illusion de la sécurité. Le moment est venu d’utiliser toutes les formes de luttes pour mettre fin à l’alliance de malheur des chimères et de la MINUSTAH. Une alliance qui fait toujours monter l’insécurité à la veille du renouvellement du contrat de la MINUSTAH. Il faut demander à chacun ce qu’il peut donner. Parfois ce ne sera qu’une signature sur une pétition. En attendant le jour où nous pourrons tous reprendre le cri de Dessalines à la Crête-à-Pierrot le 24 mars 1802 :

« Nous serons attaqués ce matin »
« Je ne veux garder que des braves sous la main.
Que ceux qui veulent devenir esclaves sortent maintenant.
Que ceux qui veulent mourir en hommes vaillants,
Pour la liberté, se rangent autour de moi. »

Il faut cesser d’apprendre aux jeunes Haïtiens qu’ils doivent garder la tête basse devant l’occupation pour exister. Ces jeunes charrieront toute leur vie une conscience malheureuse. Il faut leur donner une raison de vivre et de se sentir en paix avec leur voix intérieure. En leur faisant voir le réel que certains veulent cacher. En travaillant avec eux pour une refondation d’Haïti. En faisant avec eux la déconstruction de ce système politique de malheur qui produit la pauvreté. En les appelant à organiser le LÉVÉ KAMPÉ pacifique pour exiger le départ des occupants ainsi que la neutralisation des gangsters et des kidnappeurs.

Le président Préval est en pleine dérive pour s’accrocher au pouvoir par tous les moyens. Il croit pouvoir anesthésier le peuple haïtien avec les chars et les hommes armés de la MINUSTAH. Mais il se trompe grandement. La situation de fausse sécurité qu’il a créée, suite aux négociations de son gouvernement avec les gangsters pour leur donner des postes dans son gouvernement, à la Chambre des Députés et au Sénat, est un leurre. Il donne un répit aux bandits afin que ces derniers reconstruisent leur machine de guerre à l’intérieur de l’État. Et en même temps, il veut paralyser l’action sociale à travers le renouvellement du mandat de la MINUSTAH afin d’infantiliser les forces vives de la nation.

Il faut se battre comme des hommes, de vrais, pour gagner sa liberté. La lutte pour la libération d’Haïti doit continuer sous toutes les formes. Jusqu’à la victoire finale. Contre la présence de la MINUSTAH. Pour la souveraineté et l’auto-détermination du peuple haïtien !