Débat
Par Gary Olius
Soumis à AlterPresse le 13 octobre 2009
La citoyenneté haïtienne est née de la résistance et elle existe encore grâce à sa capacité de résistance. Ce n’est pas une opinion, mais un fait établi. Cette réalité est telle que tout reniement de cette citoyenneté est perçu ipso facto comme abandon, résignation ou capitulation. D’ailleurs, la nation haïtienne est la preuve vivante de ce que peut une volonté de résistance à toute épreuve quand elle est alimentée par une solidarité agissante. Résistance contre l’esclavagisme, le racisme, le mépris, le néo-colonialisme et, que sais-je encore, l’impérialisme de deuxième division ou de deuxième génération. Résistance aussi contre la mauvaise presse et la médisance.
A qui ça peut faire mal, quand la presse internationale fait feu de tout bois pour convaincre le reste du monde que la pauvreté est partie intégrante de l’identité haïtienne ? Pas même aux dirigeants de l’Etat haïtien, encore moins aux dignitaires des organisations internationales ; mais uniquement aux haïtien(ne)s ou à la Nation haïtienne. Et cela en dépit des gestes de pitié-feinte et des larmes de crocodiles versées par certains de nos amis du dehors, car eux-aussi participent à leur manière à cette campagne mondiale de dénigrement. On peut les voir en action à travers la production de fausses données statistiques et d’articles dénigrants mis en ligne, pour le plaisir des internautes cultivant l’anti-haitianisme jusqu’au délire. Mais, ils oublient ou sous-estiment, peut-être, le fait que la culture haïtienne est fondamentalement une culture de résistants et qu’elle attribue aux haïtien(ne)s une résilience jusqu’alors non évaluée.
C’est déplorable que le système éducatif et universitaire haïtien n’ait pas su s’approprier de cette donnée culturelle pour en faire une idéologie de résistance et la transmettre de génération en génération afin qu’elle intègre formellement l’haïtianité et l’identité haïtienne. C’est peut-être à cause de cela que le système éducatif actuel – se basant sur un modèle colonial dépassé – dissémine une idéologie miséroïde et alimente une pauvreté idéelle qui fait du jeune haïtien non encadré un sempiternel dépaysé.
A grand renfort d’articles, de documentaires, de films, de vidéoclips ou de posters, les médias internationaux essaient d’établir, depuis des lustres, l’équation « Haïti égale Pauvreté plus corruption ». Le but étant de traquer le résistant qu’est l’haïtien jusque dans ses derniers retranchements et de le dépouiller de tout ce qu’il pourrait avoir comme fierté. Fier d’être Haïtien équivaudrait, selon cette équation, à être fier d’être extrêmement pauvre ou d’être corrompu. Or, il ne saurait y avoir de fierté dans la pauvreté ou la corruption. Ainsi, ce ne serait pas à bon droit qu’un fils d’Haïti puisse se targuer d’être fier d’être haïtien.
Quand on est contraint de ne pas être fier d’être soi-même, on est forcé soit à s’identifier aux autres du dehors, soit à vivre sans repère, dans une espèce de néant sartrien ou d’un dédoublement existentiel qui ronge sans pitié son être réel, tue à petit feu et zombifie. La seule bouée de sauvetage qui permettrait d’échapper à ce mal-être serait le système éducatif, mais hélas il est contaminé jusqu’à la moelle. Loin de constituer une alternative ou une porte de sortie, tout laisse croire qu’il a été conçu pour alimenter la mentalité d’éternel dépaysé-assisté-zombifié chez les écoliers. Et rien d’étonnant que le jeune haïtien pense son avenir en termes de fugues, de fuite, d’émigration, d’asile ou d’exil. Il n’est pas suffisamment armé psychologiquement et idéologiquement pour se positionner comme ce modèle de combattant dont Haïti a besoin pour faire face à la somme de défis qui l’attend, pour refaire son image et inspirer du respect à tous les pays du monde.
Eduqué à coup de phobies et de complexes de toute sorte, le jeune haïtien se conçoit comme un étranger sur sa propre terre natale et n’attend que l’opportunité d’un départ pour pouvoir s’affirmer et « vivre ». Rien d’étonnant que la majorité des ce jeunes– quand ils prennent l’avion pour la première fois – ils ne disent pas qu’ils voyagent, mais disent plutôt qu’ils partent. Entre Voyager et Partir il n’y a pas qu’une simple nuance de sens, le parti pris pour le verbe « partir » traduit l’idée du divorce avec la terre natale et du voyage sans espoir de retour. Le matraquage médiatique, les commentaires désobligeants et les études pseudo-scientifiques attribuant l’origine des maladies incurables et le monopole de l’insécurité ou de la violence à la terre d’Haïti ; tout est fait pour cela : arracher à l’haïtien l’amour, l’attachement et la fierté de sa culture ou de son terroir.
Face à l’idéologie mondiale de dévalorisation et du dénigrement de l’être haïtien, il faut une école digne qui lui oppose une idéologie de résistance orientée vers le constructif et le positif afin de lui permettre d’atteindre sa pleine réalisation de soi, au sens maslowien du terme. Sinon, Haïti restera encore pendant longtemps la terre de démonstration des diplomaties assoiffées de puissance et des diplomates ou politiciens en quête de tribune pour se refaire une image ou redorer leur blason.
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