Débat
Par Jude Piquant*
Soumis à AlterPresse le 5 octobre 2009
La crise à l’Université d’État d’Haïti rentre dans une phase cruciale au point de devenir une menace pour la sécurité nationale, selon le communiqué émanant du palais national signé par le président de la République, son excellence Monsieur Gracia René Préval. L’adresse du palais national annonçant une commission présidentielle pour trouver une issue à la crise, est arrivée après sept mois de perturbations des cours au sein de la faculté de Médecine, ponctuées de grèves, des manifestations violentes, de négociations non abouties avec les responsables du rectorat, l’exclusion d’une dizaine d’étudiants en médecine, la mise à l’écart d’une trentaine d’autres pour deux ans à l’extérieur de l’Université et l’intervention de la police nationale pour évacuer des étudiants grévistes à l’intérieur de la faculté. Voilà, c’est ce dernier scénario qui a renversé le verre. Ainsi le constat sur le plan social est devenu vraiment lamentable dans un pays aussi fragile comme Haïti où les problèmes sont interdépendants et les crises sont en spirale. Il y a un besoin impératif de mettre un terme à ce conflit.
A bien considérer les éléments fondateurs de la crise, il revêt que le problème se situe entre le droit des étudiants réclamant des conditions d’études adéquates aux fins de poursuivre leur formation et la difficulté de formulation d’une réponse assurée, convaincante de la part des dirigeants du rectorat face à l’obligation de leur devoir. Car en analysant bien les demandes, le problème dans son contenu s’avère fondamentalement structurel ; même si les éléments de l’actualité portent à faire croire qu’il s’agit là d’un problème conjoncturel. Au delà des éléments structurels, la crise dans sa forme, il faut le souligner avec raison, dégage un problème de leadership, d’éthique, de communication dans l’adresse et la gestion des demandes et des réponses. C’est cet aspect qui attire notre attention ; s’agissant de voir la manière dont le rectorat en prenant fait et juste cause pour le décanat a perdu son devoir de leadership par un jeu de corporatisme. Nous avançons l’hypothèse en effet, si, prenant ses responsabilités, le rectorat avait mis à la disposition des entités en conflit, les canaux de communication dont il dispose et joué correctement le rôle de facilitateur que lui confèrent son autorité et le sens du leadership, il aurait peut être obtenu l’apaisement presque immédiat des étudiants.
Nous fonderons, en effet, notre réflexion sur la qualité de l’exercice du leadership du rectorat de l’Université d’État, du décanat de la faculté de médecine et de pharmacie (FMP) dans la crise communément appelée crise de l’Université d’État d’Haïti. Notre démarche de réflexion se veut qualitative. Elle entend prendre en compte de la valeur de l’engagement du rectorat et le mode de son intervention eu égard à sa mission qui est celle d’organiser la gestion de la formation de l’enseignement supérieur. De ce fait, nous tiendrons pour l’essentiel la nature, le genre des discours, les gestes, les actions symboliques, la position de pouvoir et la fonction normative, ou régulatrice du rectorat dans cette crise.
Objectivement nous voulons savoir si le rectorat a failli à sa mission de garantir le bon fonctionnement des cours au sein de l’université. Si c’est le cas, comment et pourquoi ? Pour asseoir cette démarche d’interprétation nous avons choisi le concept de leadership comme outil opérationnel de pensée, du moins comme cadre théorique devant nous guider. Car nous pensons que le leadership est un élément non moins important dans la conduite de toute institution qu’elle que soit sa nature. Et, il est d’autant plus pertinent, s’il s’agit d’institution d’enseignement supérieur et universitaire, dont la vocation est de promouvoir l’instruction des cadres, de construire des stratégies de réussite pour faire face aux défis de la société en particulier et du monde changeant en général. L’Université est le reflet de ce que devra être le monde de demain.
Quelle devrait donc être la qualité ou la nature de leadership du rectorat ?
Dans le cadre de la gestion de l’Université d’État d’Haïti, un tel leadership ne peut vivre sans culture de vision, d’assomption, de négociation, de collaboration, de coopération et d’action. Cette culture est la condition primordiale de sa viabilité dans l’espace et dans le temps. Il n’existe pas de leadership effectif sans la présence ou la manifestation du maintien d’un haut niveau de crédibilité et d’intégrité. Un leadership qu’il soit individuel ou collectif, en temps de crise doit pouvoir construire une vision de sortie de crise ; en emmenant cette vision à la réalité avec des indicateurs de performance, de résultat et de transformation ; en développant des réseaux de relation, nouant des alliances et des compromis avec des partenaires. C’est sa raison d’être. Un leadership efficient doit pouvoir dans une crise produire des effets de changement, de solidarité objective au sein de son organisation et de sa communauté.
En effet, la prise de conscience du devoir de l’obligation et de la nécessité d’user des qualités idoines pour accompagner, promouvoir les intérêts et revendications de nature académiques de l’Université, a été remplacée par des diatribes entre les responsables et les étudiants. L’inventaire du champ lexical des discours en témoigne. On s’attendait que les autorités universitaires agissent conformément à ce qui semblait être leur devoir de rassembler et de faire connaître la vérité en tant que leaders. Cependant, à l’insatisfaction et à la déception de la nation et du monde international, c’était le chaos, en donnant l’ordre à la police de réprimer les étudiants.
A partir de ces considérations qui précèdent, le rectorat n’a pas répondu à son devoir de leadership en invitant la Police nationale à investir l’enceinte de la FMP. Ne s’agit-il pas d’un transfert de pouvoir à la police nationale ? Dans cette perspective, nous nous posons la question est-ce l’incapacité du rectorat à penser à des stratégies gagnantes ? Est-ce la faillite de l’intelligence, démission ou manifestation de l’incompétence ? De ce fait, serait-ce mal aisé de dire que le rectorat est passé dans l’exercice de sa fonction de noblesse à la déchéance. Quoiqu’il en soit, ce qui nous pousse à nous engager dans cette réflexion est notre conscience citoyenne, mais au fond c’est l’avenir de la jeunesse qui se mêle avec le destin du pays. Doit-on rester dans cet imbroglio ? Comment sortir de cette impasse ? Y- a-t-il encore une opportunité de trouver une solution à la crise ?
A notre avis, il est possible sur le plan de l’urgence et de l’éthique communicationnelle de créer des conditions pour faciliter une reprise des cours. Il faut sauver l’Université en gardant la police dans ses commissariats. Il faut revenir au dialogue par la convocation du conseil de 33 membres de l’université. Dans ce contexte, que faire ? Tout d’abord nous plaidons donc pour une amnistie générale. Nous proposons le retour de tous les étudiants protestataires qui sont exclus de la faculté de médecine. Cela ne veut pas dire que nous acceptons l’impunité ou la violence comme culture. Il faut comprendre aussi que c’est l’extrémisme des dirigeants et l’absence de leadership qui a conduit à cet état de fait, soit à la violence des étudiants. Il n’y a pas d’effet sans cause. Le rectorat n’a pas su jouer son rôle d’arbitre dans la contention de cette affaire. Les étudiants étaient des laissés-pour compte et n’ont pas pu bénéficier des encadrements de leadership. Cependant, nous pensons que le pardon des offenses des étudiants est le prix à payer pour la paix. Les étudiants sont « fichés » par la police nationale selon le mot du porte-parole avec tout ce que cela veut dire dans le jargon policier. Leur empreinte a été prélevée. Hélas ! C’est déjà une peine morale payée par ces étudiants. Nous devons nous entendre là-dessus.
Alors créer les alternatives à cette paix est la seule condition favorable pour la reprise des cours dans les facultés. Même si le comportement de certains étudiants est répréhensible dans l’utilisation de la violence ; il faut tenir compte de l’impact que cette exclusion académique provoquera au niveau de la communauté estudiantine. La solidarité entre les étudiants n’est pas seulement organique, idéologique, mais elle est grandement psycho socio -affective. Les étudiants dans leur grande majorité viennent d’origine sociale commune. Faut-il considérer qu’il y a une passion de la jeunesse qui s’investit dans cette crise. Il faut éviter tout embrasement de la crise. En ce sens, l’appui des étudiants de la faculté des sciences humaines et de l’ethnologie à ceux de la faculté de médecine, n’est pas sans moindre signification. Haïti est un pays où tous les problèmes sont reliés.
De plus, un autre facteur aussi important qu’il importe de considérer, c’est le besoin de couverture du pays en soins de santé. Un pays sans couverture sanitaire ne peut se permettre le luxe, en raison d’une crise mal gérée, de s’engager dans une décision d’exclusion motivée par l’autoritarisme et l’incompétence, en mettant des étudiants de faculté de médecine à la porte de l’U E H. La formation d’un médecin exige plus de sept ans d’études. Vu du point de vue des besoins et de la planification sanitaire et au regard atténuant des fautes reprochées aux étudiants, demandons- nous si une telle exclusion s’impose ? Autrement dit ne serait-elle pas une perte pour le pays en raison de l’investissement fait par l’État ? Des étudiants qui n’ont qu’un seul désir, celui de recevoir une formation adéquate pour contribuer aux besoins de politique de santé d’un pays qui ne dispose que d’un médecin pour chaque mille habitants alors que la santé et l’éducation sont classées comme parmi les grands axes de développement d’un pays. Ensuite, pire encore, pendant que nous demandons à Cuba de prendre en mains la préparation de nos futurs médecins, que faisons-nous ? Nous nous amusons à les renvoyer comme pour signifier qu’ils ne sont pas vraiment importants. Mais quelle est donc, demandons- nous l’économie de cette exclusion ? Ne pourrait t- on pas dire que cette décision est incohérente par rapport aux besoins de notre système de santé si précaire ? Mise à part ces considérations si nous vivions dans un pays normal avec des gouvernements responsables verrait t- on des étudiants dans les rues chaque jour devant des forces policières armées de bâtons, de fusils et de gaz lacrymogènes passant toute une année à réclamer de leurs dirigeants une bibliothèque, une salle d’ordinateurs avec support d’Internet, et un laboratoire. Soyons sérieux ! Ce n’est ni un acte de grandeur, de popularité, ni une marque de prestige pour aucun gouvernement.
Faut-il changer le Conseil du rectorat de l’Université ?
Un changement à la direction du conseil de (l’U.E.H) et de la (F.M.P) ne viendra pas changer le fond des problèmes. La crise de l’université est en réalité structurelle. En effet, les responsables en question n’ont pas vraiment de responsabilité directe. Il s’agit de la mise en place par l’Etat des moyens d’atteindre les objectifs de sa politique publique au niveau de la formation universitaire et professionnelle. Cette volonté doit être inscrite dans un plan budgétaire voté par le parlement. On ne peut pas atteindre des objectifs politiques sans les moyens de cette politique. L’on peut avoir de la bonne volonté ou de l’intérêt à bâtir des infrastructures universitaires pour la recherche et l’enseignement mais s’il n’y a aucun budget alloué spécifiquement à ces champs comme moyen, c’est impossible de les réaliser.
Ce problème ne date pas d’aujourd’hui et on ne peut non plus faire porter la responsabilité de cette problématique aux responsables actuels. Ces dirigeants sont tout simplement des boucs émissaires. Alors qu’à la vérité les vrais responsables de la dégradation de l’Université, c’est l’Etat haïtien au premier chef, les parlementaires qui se sont succédés et les partis politiques nés de la mouvance démocratique de 1986. Depuis cette date, il serait utile de voir le budget accordé à l’université. C’est par le budget qu’un gouvernement accorde à des projets qu’il exprime, définit et manifeste sa politique publique ; c’est-à-dire ses priorités et ses ambitions. En aucun cas, les gouvernements précédents ont témoigné de leur ambition de moderniser l’Université. Un témoignage qui s’engagerait dans une approche d’une politique d’enseignement supérieur et professionnel qui soit réaliste, novateur tenant compte de la multiplicité des nécessités et des ambitions de la jeunesse du pays.
Donc de ce point de vue, il faut éviter l’écueil de condamner les membres du rectorat et du décanat. Ces femmes et ces hommes ne sont pas des politiciens dans leur état ; ce sont des techniciens. Ils sont avant tout des professeurs qui aiment leur métier de transmission du savoir ; et qui travaillent aussi dans des conditions difficiles que nous connaissons en Haïti. Ils sont des braves. Il ne faut pas oublier cela dans notre approche du problème. Aussi l’Université d’État d’Haïti est un patrimoine ; c’est un bien commun. Comme institution publique elle n’appartient pas seulement qu’aux étudiants. C’est également l’Université des professeurs ; bref de tous les haïtiens, riches comme pauvres, gens de la ville comme gens de la campagne ; alphabétisés comme non alphabétisés qui ont besoin de l’assistance des jeunes universitaires aussi. L’université en ce sens est un lieu de service social et communautaire. Faut-il retenir qu’il n’y a pas non plus d’école sans maitre ? Les professeurs méritent du respect, de la compréhension, de la reconnaissance de la part des étudiants et de la nation. Ceux qui n’ont aucun respect pour les autres n’ont aucun respect pour soi. Il faudrait peut être dans ce pays pour garantir le respect de tous penser à redynamiser une culture de la moralité civique et publique pour réconcilier les valeurs citoyennes. Ce n’est pas sans raison que le philosophe espagnol Jose Ortega y Grasset écrit : « Si je protège mon environnement, je protège moi-même. » Il est temps de mettre fin à ces querelles de clocher.
A la question de savoir s’il faut changer la direction du conseil du rectorat et du décanat ? En dépit de nos considérations précédentes nous répondons que nous plaidons en faveur de l’émission d’un nouveau conseil de direction à la faculté de médecine et du rectorat. Nous nous expliquons. En gardant en vue la notion de leadership que nous avons décrite plus haut comme grille de notre analyse nous réclamons ce changement en raison du fait de l’absence de crédibilité morale et de l’inventivité des dirigeants. N’oublions pas que le problème relève de l’ordre de l’éthique communicationnelle et de leadership. Aussi faut-il envisager par là, des conditions pour éviter l’affaissement de la crise et toute solution caricaturale. On ne peut pas diriger une institution sans leadership ; sans avoir la confiance de ses partenaires ou sans la capacité de communiquer avec ses alliés. Ces éléments sont inhérents à tout leadership individuel. Un leader ne dirige pas pour lui-même. Son charisme doit être reconnu et accepté. La question qu’il faut se poser est comment rendre la vie universitaire possible dans le présent ? Au nom de l’intérêt de la collectivité, une remise en question de la qualité du leadership du rectorat s’impose quand même si l’on admet que la crise doit être résolue avec intelligence et pragmatisme. Il y a une différence entre pouvoir et autorité. Le pouvoir c’est la force ; et l’autorité c’est la morale, autrement dit la confiance. Ces dirigeants ont le pouvoir mais ils ont perdu l’autorité.
Dans le cas qui concerne le leadership de l’Université la crise a trop duré. Il faut désemprisonner l’avenir ; c’est le statu quo qui a gagné et non le changement. Le Rectorat et la Faculté de Médecine n’ont pas donné de résultat en dépit de l’emploi de la force pour mettre en retraite la revendication des étudiants. De plus la décision des autorités universitaires de faire investir la FMP par la police a de préférence enfoncé l’Université dans la crise et attisé davantage des contestations, des critiques de toute part dans les medias et dans la société civile en général, jusqu’à permettre la création d’une commission présidentielle devant travailler à faciliter la reprise des cours et les examens d’admission de rentrée. Constatons- nous alors, la faillite de l’autorité de l’Université. Dans cette ligne l’autorité de l’Université doit être restaurée indépendamment des personnalités qui composent le rectorat et le décanat. Il s’ensuit que les dirigeants du Rectorat et de la FMP ne peuvent pas continuer à diriger. Ils ont failli à leur devoir d’autorité en la substituant à la force policière ; élément cœrcitif, symbole de l’ordre et de contrôle social. Le changement à la tête de la direction de ces institutions est impératif pour faire sortir les ressentiments ; ne pas reconduire les incompréhensions, les accusations réciproques pour créer ce que Hannah Arendt appelle, « la condition essentielle de l’action humaine ».
Qui profite du drame de l’Université ?
La crise n’est au profit de personne. Les dirigeants de l’université ont perdu leur honneur de se faire traiter d’agents de Cimo ; les étudiants sont passés pour des casseurs ; les partis politiques sont vus comme des opportunistes, les politiciens comme des hypocrites, le secteur des affaires comme des indifférents ou mieux des ingrats se référant à leur utilisation dans le départ du pouvoir Lavalas ; et l’État comme irresponsable. Mais en fait, dans cette crise les vrais perdants ce sont les étudiants et les parents qui ont davantage de craintes de voir perdre leur investissement humain en termes d’argent, d’énergie et de temps. Certainement, ce ne sont pas non plus les dirigeants du Rectorat et de la Faculté de médecine qui apparaissent plus soucieux du pouvoir que de l’exercice de leur autorité avec devoir de résultat qui sont les profiteurs de la crise. Nous avons déjà un pays en retard de développement, bref en lambeau. L’université doit pouvoir remplir son rôle dans la planification d’un curriculum qui charpente les perspectives de développement du pays. Les étudiants ont le droit à une formation éprouvée, pointue et éclairée pour pouvoir accéder au marché du travail et bâtir l’économie du pays. Il est inexcusable de bloquer l’université et d’entraver l’avenir de la nation dont les étudiants représentent. Car l’économie du pays est déjà stagnante contrairement aux autres pays de la Caraïbe.
Dans ce contexte de crise, la communauté universitaire appelle à l’exercice du leadership. Car c’est en ces temps de malaise aigu et d’incertitude, plutôt qu’en temps de stabilité que le leadership doit pouvoir faire ses preuves. Quelles sont les attentes de la communauté universitaire envers ceux qui la dirigent ? Quelles sont les motivations de nos leaders ? Comment se définissent-ils ? Comment perçoivent-ils leur rôle au sein de la communauté ? Nous ne pouvons avancer dans la résolution de cette crise aussi longtemps que ces questions ne seront pas répondues. Le débat sur la question universitaire n’aboutira pas a grand-chose tant que l’on n’aura pas compris que le leadership n’est ni une position, ni un outil devant mener a une fin quelconque ; il est une relation d’échanges, de dialogue construite sur le sens du bien commun. Dans cette construction, nul ne devrait s’interdire de parler ; personne n’a non plus le droit de fermer la bouche de l’autre. L’exercice d’un bon leadership encourage, au contraire, le dialogue, le respect, l’écoute de la parole de l’autre. Et quand les voix s’élèvent de plus en plus fortes, au point que nul ne puisse entendre, quand on crie de part et d’autre, c’est signe que la relation de dialogue est absente. L’avenir de l’université est lié aux efforts à mener pour restaurer cet espace de dialogue nécessaire.
Que conclure ?
Chers professeurs et étudiants, nous avons beaucoup de confiance en votre éthique d’une part, comme professeurs et à la fois éducateurs ; agents d’éthique de communication et catalyseurs de pensée ; d’autre part, étudiants avenir d’Haïti ; pour votre amour du pays et votre souci pour des études adéquates. Nous savons que la négociation sociale n’est pas facile dans ce pays à cause des intérêts divergents et de notre lecture différente de la réalité, cependant nous vous demandons d’oser. Oser quoi ? Oser le dialogue et la tolérance ; oser espérer un avenir plus prometteur pour notre Université ; bref oser de penser ensemble l’avenir d’Haïti. Car nous avons pendant longtemps reproché aux politiciens de leur politicaillerie, de leur incapacité à dialoguer. Nous les faisons souvent des remarques de professeur. Nous les rendons responsables dans nos critiques très sévères de la condition dans laquelle se trouve le pays. Nous aimons souvent présenter l’Université non moins sans orgueil, comme un lieu de débats, de culture, du savoir faire et de la pensée cartésienne. Laissons en arrière toutes frustrations, toutes idées préconçues pour entamer un dialogue qui terminera avec une solution négociée.
Aujourd’hui c’est votre tour de faire preuve de cohérence ; de votre savoir-faire, savoir dire et savoir réfléchir. Cette crise doit être pour vous un lieu d’exercice non seulement de la pensée logique, mais aussi celui de la pratique de leadership et de l’éthique communicationnelle en influençant le paysage social de notre pays défiguré par des crises intermittentes. Vous avez le devoir moral et intellectuel de sortir de cette ornière pour ne pas créer une mauvaise image de l’Université ; et mettre en doute à l’étranger la formation académique des étudiants. Dans cette optique, nous saluons et applaudissons la décision du groupe des étudiants protagonistes de changer les membres de leur comité de négociation ; en faisant appel à une équipe d’étudiants experts en communication. C’est une excellente initiative qui apportera un dégèlement nous l’espérons vivement dans la stratégie de résolution de la crise.
Pour finir, autorités universitaires et étudiants, au nom de la République, nous vous pressons et convions à vous entendre et agir dans le sens des intérêts du bien commun. Agissez maintenant en toute intelligence et éthique. C’est le rôle même de l’éthique d’agir et de promouvoir le bien commun. L’université d’État d’Haïti est le visage du pays. Faisons donc un effort citoyen pour sauver l’image du pays, car l’étranger nous observe. Dirigeants et étudiants, faisons route ensemble ! Réalisons ce que Hannah Arendt appelle, « les conditions essentielles de l’action humaine ». N’attendons pas que la situation dégénère au point où l’on ne peut rien faire.
* Adjoint Professeur au Brooklyn College (CUNY)
Email :judepiquant@yahoo.com