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Haiti-Rép. Dominicaine : Le « blow back » de la rencontre de Santo domingo

Débat

Par Edwin Paraison

Soumis à AlterPresse le 5 octobre 2009

Leslie Péan, dans son intervention à la rencontre dite de « Sauvetage National » organisée à la fin du mois d´août par l´ancien sénateur Rudolph Boulos [1] à Santo Domingo, a fait allusion à la notion du « blow back » qu´il a décrite comme étant un concept défini par la Central intelligence Agency (CIA) pour se référer aux « conséquences non intentionnelles » de la politique des États Unis au Moyen –Orient [2].

Cette définition, qui nous permet d´éviter l´usage du terme « trahison » brandi par certains, tombe à point pour une analyse des retombées négatives sur la communauté haïtienne locale, d´une initiative à l´origine positive, mais qui s´est révélée incompatible avec les intérêts et la cause des Haïtiens et des Dominicains d´origine haïtienne en République Dominicaine.

Ce dossier a fait l´objet de multiples échanges entre internautes, intellectuels et politiciens sur le web haïtien pendant près d´un mois, sans pour autant attirer l´attention de la presse commerciale sur les questionnements valides de la diaspora haïtienne installée en terre voisine. L´on pourrait même parler d´un « traitement complaisant ».

Les interventions, majoritairement négatives, sous des titres tels que « Rencontre de Santo : un lancement raté », « Coup de maitre des Dominicains », « La disgrâce de Santo Domingo », « Character Assasination », ont choqué avec une défense irrationnelle et arrogante assumée par certains. Évidemment, ces réactions sont contraires au succès médiatique de la rencontre, spécialement dans le pays hôte.

Prés de 20 articles de presse des principaux quotidiens locaux ainsi qu´environ 6 heures d´antenne à la radio et la télévision ont été consacrés a cette réunion, en mettant en relief ce qui, pour l´opinion publique, était important : l´annonce d´une probable candidature aux élections de 2010 de Boulos [3], un entrepreneur et politicien haïtien ayant d´importantes attaches dans la capitale dominicaine ; la négation des violations des droits humains de nos compatriotes [4] dans un contexte de relance des dénonciations internationales à ce sujet ; et la participation du député Pelegrin Castillo et de l´intellectuel Manuel Nuñez -considérés comme les fers de lance de l´anti-haitianisme- à des assises « patriotiques » haïtiennes. En bref, des faits et une gestion médiatique globalement favorables aux intérêts dominicains (secteur nationaliste anti-haïtien) et contraires aux objectifs stratégiques de la communauté haïtienne.

Lorsqu´on croyait terminés les débats, Péan, utilisant ses connaissances théoriques du sujet et son tact pour faire la différence avec les bas recours de ses prédécesseurs dans la défense des aspects dénoncés, dans un texte publié sous le titre « La réunion de Santo Domingo et la question haitiano-dominicaine » pose, entre autres, cette question tendancieuse « … faut-il considérer la position exprimée par Pellegrin Castillo et consorts comme une avancée allant au-delà des relations d’État à État pour jeter les bases d’une alliance objective dans une relation pour le moins difficile et complexe ? »

C´est le cas de le dire, le « coup de maitre » des nationalistes dominicains, c´est d´avoir obtenu l´adhésion d´un secteur de l´intelligentsia haïtienne sur certains aspects de leur discours qui n´ont d´autres motifs que de dissimuler leur haitianophobie, laquelle ne dérange pas trop dans certains milieux haïtiens où des intérêts divers peuvent justifier certaines alliances même les plus macabres et indécentes.

Il faut commencer par établir très clairement que la rencontre ne portait aucunement sur les relations entre nos deux pays, ni sur l´épineux dossier de la migration. Ces thèmes n´ont pas été, par ailleurs, abordés par le député dominicain.

Non plus, il ne s´agissait d´un quelconque dialogue haïtiano-dominicain où la partie haïtienne aurait eu la possibilité d´affronter et même de « noyer » les ultranationalistes dominicains. Des arguments tels que « l´on connaissait déjà la position des amis d´Haïti en RD », « l´on devait écouter un élu qui a une vision différente de la problématique » ne font aucun poids, en considérant que le discours de Castillo est aussi connu des intellectuels et politiciens haïtiens branchés sur la question.

Les enjeux politiques dans les relations avec la diaspora locale et dans la gestion de l´opinion publique haïtienne, sont trop importants pour nous faire avaler la thèse d´une session d´écoute anodine et docile de nos « patriotes » réunis à Santo Domingo, quoiqu´ils admettent, sans mauvaise conscience, que « le discours nationaliste sert de catalyseur aux épisodes de violence dont sont victimes les haïtiens » y compris la décapitation sur la voie publique de Carlo Meriuls [5]

Quelle a été donc la contribution du député dominicain à la rencontre de Santo Domingo ? Dans son intervention sur la conjoncture haïtienne, aucune.

Selon une grille analytique faite par un membre des forums haïtiens ayant pris part à l´évènement, qui a considéré de façon positive l´intervention en question pour son « pesant d´or », Castillo n´a fait cependant que répéter ce que nos intellectuels, analystes et acteurs politiques disent fréquemment. Voyons :

1) Castillo offre une vision systémique, c’est-à-dire de la totalité, du problème haïtien (High-level) ; L´exagération est évidente, de toutes façons, le professeur Leslie Manigat –comparaison inadmissible- va plus loin que lui dans ses réflexions.

2) Il situe le problème dans le contexte international ; Georges Michel l´a déjà fait en plusieurs occasions.

3) Il renforce ce que nous ne cessons de marteler depuis des années : "Mais c’est à Haïti de trouver elle-même la solution. « Personne ne peut le faire pour vous. Personne ne doit le
faire pour vous » ; Contradictoire avec ses postures traditionnelles, et ceci pour montrer un peu d´égard envers son auditoire, tenant compte qu´il est un communicateur inné, en donneur de leçons, il a repris la position de certains diplomates a leur départ d´Haiti

4) Il critique la communauté internationale comme nous la critiquons sans cesse : « Les grandes puissances promettent, mais ne tiennent pas leur parole. Elles croient que l’on peut résoudre un problème aussi complexe uniquement par la tenue d’élections. » ; Voyez les analyses du chevronné journaliste Marcus Garcia dans « Haiti en Marche ».

5) Il décrit pour nous l’attitude de la communauté internationale : « La communauté internationale n’a pas une attitude sérieuse, cohérente, ni respectueuse du destin d’Haïti » ; critiques formulées en maintes occasions par Leslie Péan

6) Il dénonce le rôle qu’attribue la communauté internationale à la Dominicanie dans la crise haïtienne : "Nous Dominicains devons crier face aux Etats-Unis, au Canada et à l’Union européenne qu’il n’y a pas une solution dominicaine aux problèmes d’Haïti."

Aucune demande de tutelle de l´ile par la communauté internationale n´a été faite à la République Dominicaine en 2005 ni Jamais. C’est totalement faux ! C´est une ineptie qui sert de camouflage au discours anti-haïtien dont l´origine est de feu Joaquim Balaguer, repris en 1996, dans un premier temps contre feu Pena Gomez, et dans un deuxième temps, pour essayer d´empêcher l´éruption d´une minorité nationale formée de dominicains d´origine haïtienne.

L´Union Nationaliste, le Front Patriotique, le Comité de Solidarité Internationale avec Haïti et la Force Nationaliste Progressiste (FNP) [6] à travers d´une campagne intitulée « Haïti est une responsabilité de la communauté internationale » mettent en avant le spectre d´une fusion imaginaire des deux pays en une seule nation sous les auspices des États Unis, du Canada et de la France, pour rallier des adeptes a des fin politiques-électoralistes [7].

Des intellectuels dominicains de la taille de l´historien Franklin Franco et le sociologue Carlos Dore Cabral ont totalement prouve l´inconsistance de cette fallacieuse affirmation [8] sur la base, d´une part, de l´influence dans l´ile des pays mentionnes, s´ils l´auraient vraiment voulu, ils l´auraient déjà obtenu et d´autre part, le rejet unanime dans les deux peuples d´une telle éventualité.

Pour connaitre la vraie position de Castillo sur Haiti, il faut absolument lire sa publication « Geopolitica de la Isla de Santo Domingo : Migracion Haitiana y seguridad nacional » et visionner ses fréquentes interventions a la télévision dominicaine. Il sera facile de comprendre pourquoi celui qui dénonce la fusion, ne voit aucun danger dans « l´occupation » de la partie occidentale de l´ile selon le terme utilise par le « camp patriotique » apparemment forme lors de la rencontre.

Selon Castillo « le principe cardinal d´une politique dominicaine face à Haïti, et particulièrement vis-à-vis de la communauté internationale en relation à Haïti, est de maintenir la responsabilité de cette dernière, pour le traitement et la solution des problèmes graves et complexes découlant de la désintégration de cette nation ». [9] Dans cette optique, la campagne « Haiti est une responsabilité de la communauté internationale » vise le renforcement de la présence étrangère, qu´elle soit technique ou militaire.

La présence militaire internationale en Haïti est acceptée et appuyée par les deux courants [10] qui coexistent au sein du pouvoir dominicain. Le gouvernement a toujours plaidé en faveur du maintien de la MINUSTHA, et dans ce sens offre son appui aux autorités haïtiennes, ce qui n´a jamais dérangé les objectifs de ses alliés, particulièrement la FNP. L´une des rares protestataires est une journaliste du nom de Liliam Oviedo, de « El Nacional ».

Sous pression des nationalistes et la combinaison d´autres facteurs, la diplomatie dominicaine a obtenu, au renouvellement du mandat de la MINUSTHA en octobre 2008, par la résolution 1780 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, une clause spéciale qui élargit la mission de l´organe militaire multinationale à une surveillance de la frontière haitiano-dominicaine, pour contribuer à la lutte contre les trafics illicites d´armes et de drogues. Des relations d´étroite collaboration se sont forgées entre la force onusienne et le CESFRONT (cuerpo especializado de seguridad fronteriza), un corps spécialisé dans la lutte contre l´immigration irrégulière, mis en place du coté dominicain, avec l´aide des Etats Unis, dont la création et le maintien est défendu par le député Castillo.

De façon logique, un mouvement politique haïtien pour le départ de la MINUSTHA ne saurait compter sur le secteur nationaliste dominicain.

Les organisateurs de la rencontre, avaient d´autres objectifs. Ils ont été à la recherche et ont obtenu, une approbation –limitée- externe pour consommation locale, de leur ligne d´action (radicale) contre le pouvoir en place à Port- au –Prince. Ce n´est pas sans raison que malgré les critiques formulées contre leur présence, les interventions de Castillo et Nuñez ont été largement diffusés en Haiti. Les deux parties se retrouvent sur deux questions clés : la supposée faillite de l´Etat haïtien et l´absence évident de leadership dans la direction du pays.

En échange, ils (les organisateurs) ont offert un appui à un secteur politiquement en déclin. La FNP n´a obtenu que 1.19 % de votes lors des dernières élections présidentielles en 2008 et, malgré un lobby fortement appuyé financièrement, a perdu deux grandes batailles politiques dans le cadre de la réforme constitutionnelle actuellement en cours a Santo Domingo, avec le maintien du droit a l´éducation des enfants nés d´Haïtiens et l´adoption d´une combinaison du « jus soli » et du « jus sanguini » sur la question de la nationalité.

De même, ils ont défendu « intelligemment » l´industrie sucrière dominicaine, face aux dénonciations internationales, en s’en prenant directement au père Christopher Hartley [11] pour démentir les violations de droits humains des coupeurs de canne haïtiens dans les bateys, ce qui a eu des effets « positifs » immédiats en ce qui a trait à l´image publique de l´ancien sénateur et très probablement des effets sonnants dans l’éventualité d´une candidature présidentielle confirmée. Dans le fond, le coordonnateur de l´évènement a démontré aux secteurs dominicains intéressés une certaine capacité de convocation et une ligne politique face a la République Dominicaine qui lui seront utiles, dans le cas de n´importe quel autre candidat de ce beau monde qu´il a pu attirer chez le voisin.

Le décryptage des faits et déclarations liés à la rencontre permet de voir qu´il s´agit d´un rapprochement méthodique entre des éléments de la droite des deux pays qui semble mener vers une alliance à double volet : l´ idéologique qui serait totalement naturel, allant même jusqu´à une sorte de solidarité sur la base d´une origine commune, et le politique, à partir des éléments analysés.

L´illustration la plus indiquée pour cette affirmation est la suivante. Le journal « El Nacional » du 17 Janvier 2009 rapportait ces propos de Boulos avec comme image une photo de Castillo : « Le Dominicain où qu´il soit défend son orgueil, sa dominicanite, mais l´Haïtien ne peut le faire parce qu´il n´a pas d´identité nationale à cause des erreurs des gouvernants ». Faites attention :ce n´est pas une erreur, c´est bien Boulos qui parle. Selon le journaliste Jose Miguel Montero, l´ancien sénateur affirme également « partager la thèse du législateur dominicain sur la nécessité de refonder Haïti » et a insisté « qu´il est d´accord avec ses critiques à propos des relations haïtiano-dominicaines » [12]

Qu´ils se retrouvent publiquement 7 mois après, dans le cadre de ces assises haïtiennes, n´est pas une simple coïncidence. L´alliance, qui ne serait jamais « objective » dont parlait Péan, vu que d´un cote elle est viciée par l´antihaitianisme, s´est tissée sur une longue période… pour le malheur non seulement de la communauté haïtienne mais aussi pour le malheur d´Haïti.

Alors qu´ici, tenant compte de la conjoncture politique, les haïtiens et dominicains d´origine priorisent des alliances stratégiques avec des acteurs politiques et des secteurs qui cherchent à isoler les nationalistes, les intellectuels du terroir et de la diaspora, contribuent à ce qu´ils renforcent leur position contre la communauté.

Si pour évader à la stigmatisation, nous avons décidé en République Dominicaine de soigner l´image d´Haiti, les responsables de la rencontre de Santo Domingo, « disposés à se rendre même en enfer » [13] pour atteindre leurs objectifs politiques, ne voient aucun mal dans le dénigrement national.

Quand nous essayons de démonter la thèse de « l´invasion pacifique » [14] en utilisant des chiffres d´organismes compétents, les responsables de la rencontre de Santo Domingo, affirment qu´il y aurait prés de 2 millions d´haïtiens dans ce pays. La relance de la campagne médiatique anti-haïtienne n´a pas tardé, des familles militaires seront bientôt envoyées à la frontière et les rapatriements se font beaucoup plus intenses.

Ces prises de positions ne sont pas gratuites. Néanmoins, elles mettent en évidence des approches antagoniques et des intérêts contradictoires. Sans aucun sarcasme, le « blow back », si vous voulez, de la rencontre. Dans le langage militaire, on parlerait de « dommages collatéraux », dans ce cas, pour les deux parties ; ils semblent cependant irréparables pour ce nouveau projet politique électoraliste.

Santo Domingo, RD, 03/10/09


[1Destitué par ses pairs en mars 2008 pour cause de double nationalité (haïtienne et américaine) non admise par la constitution, un tribunal de Fort Liberté avait par la suite rejeté la décision du sénat sans aucun succès en ce qui a trait à la réintégration de l´intéressé.

[2Le Matin Extra Vol 2, 18/09/09, La communauté internationale et Haïti

[3Listin Diario 29/08/09 Viviano de Leon (paragraphes 14, 17-18)

[5L. Péan, La réunion de Santo Domingo et la question haïtiano-dominicaine (1ère partie)
http://www.alterpresse.org/spip.php?article8807

[6Mouvements et parti politiques sous le leadership ou avec la participation active de Castillo

[7Castillo est l´un des députés ayant obtenu plus de votes, capital politique construit sur l´anti-haitianisme

[9P. Castillo, Geopolítica de la Isla de Santo Domingo : Migracion haitiana y seguridad nacional” p.20

[13Pean, Ídem, (2e partie)

[14Référence à l´immigration haïtienne en RD par le secteur nationaliste (y compris certains medias). Selon des études menées sous la coordination de l´Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) en 2002 et 2006, les haïtiens et leurs descendants en RD seraient autour de 750,000. Des rapports du Département d´Etat, du PNUD reprennent le chiffre de prés d´un million –de certaines sources gouvernementales- n´ayant aucune base méthodologique.