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Haïti-Patrimoine : Fort Mercredi, défunt de forfaits à la petite semaine

P-au-P, 16 sept. 09 [AlterPresse] --- Grignoté par les vols, les déchets, les constructions, les animaux, les activités commerciales comme sportives et le désintérêt, le Fort Mercredi, patrimoine historique juché sur le morne l’Hôpital à Carrefour-Feuilles, grande agglomération au sud-est de la capitale de Port-au-Prince, n’existe plus que par indices, relève l’agence en ligne AlterPresse.

Pour qui veut se rendre au site du Fort Mercredi, le parcours n’est pas de tout repos.

Juché sur un monticule au cœur du quartier qui porte le même nom, le Fort Mercredi est accessible par une route très pentue, dont l’entrée n’est plus gardée que par des échoppes de commerce informel.

Une fois au sommet, la surprise est de taille. Aucune pierre, aucun canon, aucun boulet, rien : le Fort Mercredi n’est plus.

Seul un pan du mur d’entrée est resté debout. Terrain de football, lieu de pâturage pour les cabris, les porcs, les poulets, décharge publique… le Fort Mercredi, squatté et vandalisé, remplit tous ces rôles, sauf celui de patrimoine et de lieu de mémoire.

« Il y a quelques temps, un homme est venu au fort, accompagné de quelques individus armés. Il s’est emparé d’un des deux derniers canons restants et est parti sans demander de comptes à personne », rapporte un habitant.

Au cours des ans, briques, clôture et vestiges militaires ont ainsi été emportés par des inconnus qui n’ont jamais eu à répondre de ces actes.

Rêve, réalité et défi

Plus qu’un bâtiment qui a disparu, le Fort Mercredi reste un site avec un potentiel archéologique indéniable, croit un habitant, interrogé par AlterPresse et qui songe aux boulets et canons encore à l’abri dans son sous-sol.

« Il y avait des canons ici, il n’y a pas longtemps. Le dernier, on a du l’enfouir sous terre quelque part, parce qu’il pouvait nous faire tomber lorsqu’on joue ici », explique un adolescent.

Beaucoup disent ne pas ignorer la valeur historique du site, mais se plaignent que « l’Etat n’investisse jamais pour donner aux gens d’autres alternatives, qui protègent également l’environnement ».

Le gouvernement actuel a pourtant affiché sa volonté d’inscrire son passage dans les travaux de construction, en mettant l’accent sur le potentiel d’attraction touristique des lieux de patrimoine à réhabiliter.

Ces projets de réhabilitation comportent néanmoins certains enjeux. Car, il s’agit d’intervenir dans des endroits désormais habités. Dès lors, l’État doit pouvoir traiter avec ces habitants.

De plus, il y a le réseau de solidarité typique de ces zones qui sous-tend un ensemble de mécanismes socio-économiques. En plus de discuter avec ces personnes, il faut pouvoir leur offrir des perspectives sociales et économiques.

Et cette nécessité s’accroit naturellement quand il s’agit de population vivant en situation précaire. Demeure également la question des moyens d’interventions.

Pour le Fort Mercredi, il s’agit d’un site intégré dans un espace, bâti de façon anarchique et fragilisé par la dégradation de l’environnement. Les problèmes de logement et de protection de l’environnement se trouvent imbriqués dans cette question de réhabilitation.

Fantôme du passé

C’est durant la guerre de 1778 avec les Anglais que les Français ont établi, dans ce qui s’appelait à l’époque l’habitation Piémont, une batterie de 4 pièces de canons pour défendre l’entrée sud de la capitale de St Domingue.

Plus tard, ils y construiront un fort qu’ils nommeront Fort Bagatelle. Les travaux de construction se déroulant le mercredi, Fort Bagatelle devint vite Fort Mercredi.

Réduit à l’état de ruine après les guerres d’indépendance, le Fort Mercredi fera face aux premières interventions de la population vers les années 1986.

Le départ de Jean Claude Duvalier et le chaos qui l’accompagna permirent aux habitants de s’installer progressivement dans le site, pris dans la dynamique de bidonvilisation du morne l’hôpital.

Le Fort Bizoton, construit en support au Fort Mercredi, connait le même sort. C’est aujourd’hui un amas de briques presqu’invisibles sous le bidonville qui a pris sa place.

Il servait, pour sa part, de dépotoir pour les déchets ménagers, jusqu’à ce que les jeunes du voisinage, « en quête d’activités plus saines pour rentrer un peu d’argent, ont aménagé son enceinte en terrain de foot, repoussant les déchets un peu plus loin ».

Ce « travail de réaménagement » a bien entendu changé totalement le visage du fort, qui déjà disparaissait sous la pression urbaine des constructions anarchiques.

On estime à 150 000 le nombre de personnes qui vivent dans la vaste agglomération de Carrefour Feuilles dont Fort Mercredi est l’un des quartiers.

Mais il semble qu’au-delà du réaménagement arbitraire se cache un esprit qui traduit l’émergence d’une zone jadis enclavée dans la violence.

Rendu célèbre par ses gangs armés durant les trois dernières années, le quartier demeure connu pour avoir servi de repaire aux bandits, délogés par la police nationale dans les quartiers dits de non droit.

Aujourd’hui, c’est un chantier timide. Des associations ont pris l’initiative d’aménager la route qui traverse leur quartier.

« Avant, il y avait de la boue partout ici. Il était impossible de marcher à certains endroits, tant le sol était glissant. », raconte un riverain.

Un comité s’occupe de la gestion d’eau et un autre de l’électricité, améliorant l’accès de la population à ces services.

A Descayettes, quartier limitrophe, les mêmes efforts peuvent être observés. Un marché est en construction près de Savane Pistache.

Un centre de gestion des déchets, s’occupant de l’assainissement de la zone de Carrefour Feuilles et de la transformation des déchets en briquettes de charbon, emploie plus de 300 personnes et contribue à la propreté de la zone.

Certains se demandent alors s’il va être trop tard pour le Fort Mercredi.

L’Institut national pour la sauvegarde du patrimoine (Ispan), contacté par AlterPresse pour donner sa lecture du problème de Fort Mercredi en particulier et celui du patrimoine en général, a promis maintes fois de fixer un rendez-vous depuis bientôt un mois (aout 2009).

En attendant, le Fort Mercredi, haut lieu de l’Histoire du pays, est en passe aujourd’hui de devenir de l’histoire ancienne. [kft mm apr 16/09/2009 12:00]