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UEH / Election

Entre la parole et l’acte : la nécessaire position de la liberté

Lettre ouverte du Professeur Anil Louis Juste au Professeur Jhon Picard BYRON, suite à son texte « La réélection du recteur sortant, un vote honteux », publié sur AlterPresse

11 novembre 2003

J’ai reçu, par courrier électronique, ta prise de position post-électorale comme celle d’un individu qui n’a pas su choisir à temps, les mécanismes de prévention de la crise psychologique que traverse ton mode de pensée et d’action. Avec courage, tu as su assumer tes comportements solidaires à l’égard de tes camarades de conseil qui se sont toujours renfermés dans leurs tours de compétence, méprisant ainsi la vision pédagogico-politique d’étudiants et professeurs sur les enjeux électoraux au Rectorat, mais tu t’es laissé succomber aux amères expériences du 31 octobre 2003. En fait, ta vision démocratique de l’Université ne s’est pas traduite en acte, malgré ta référence explicite à 
l’insertion arendtienne au monde, comme conditonnalité de la modernité.

A mon avis, tu n’as pas été libre de choisir entre le conservatisme à l’UEH et la vision technocratique de l’UEH. Du moins, as-tu manqué de coeur pour affronter publiquement le secteur conservateur, pour ne pas rejoindre les critiques de la gauche universitaire à propos de la bureaucratie universitaire, ou tout simplement de peur d’être dépassé par la gauche. Je veux croire que l’opportunisme politique n’est pas une culture démocratique !

Dès le développement de l’humain, la parole s’est toujours associée à l’acte. Même si l’acte précède la parole chez l’enfant, - comme l’ont reconnu de grands psychologues Piaget, Vygostky, etc.-, ces deux activités deviennent indissociables au cours du développement intellectuel, à telle enseigne que la parole sert souvent à tracer des projets pour la résolution de problèmes pratiques chez des enfants. La parole est donc à la fois un processus et un produit de l’activité humaine ; il en est de même pour l’action. Alors, il m’est difficile de croire que, chez un adulte, cette structuration tarde encore à se réaliser.

Mon cher Byron, je ne comprends pas du tout, le retard que tu as pris à écrire : "Les membres du Conseil (...) se sont enfermés dans un mutisme ou ont feint d’avoir des positions contraires au vote qu’ils exprimeront." Or, tu en as déjà fait l’expérience lors de l’expression de ta motion sur l’opportunité des élections, d’une part, et l’organisation d’un forum sur la réforme universitaire, d’autre part. La Lutte Etudiante et le Front de Résistance ont été aussi méprisé par tes collègues. J’ai alors exprimé ma révolte de la façon suivante : "Le refus d’écouter les autres a renfermé le Conseil de l’Université dans ses prétentions de savoir absolu. Ainsi se croit-il investi du pouvoir de féchitiser la démocratie universitaire sous forme d’élections rectorales, en niant superbement le contenu de l’autonomie universitaire. Quand il a refusé de dialoguer avec des étudiants qui mettent en question l’organisation d’élections viciées à la base, c’est encore l’esprit de séparation qui agit au détriment de la participation qui prône la coopération entre les composantes de l’UEH." (In L’autonomie universitaire en mouvement : Elections rectorales contre Réforme de la Participation, Alterpresse du 27 avril 2003)

Notre conseiller Byron n’avait pas réagi à cette mise en question, parce que, comme tout bon démocrate, il ne s’agissait pas alors d’associer la forme au contenu, de rechercher au sein du Conseil, l’existence de l’espèce rare que sont "ces êtres parlants et agissants" qui choisiront la "confrontation franche des positions divergentes". Le moment ne s’y prêtait pas, parce que la démocratie de notre Conseiller Byron n’était pas menacée.

Aujourd’hui, la menace qui pèse sur sa démocratie, a troublé sa pratique d’écriture cohérente : le "processus électoral" est "libre, démocratique et régulier", mais il "a manqué quelque chose de fondamental : la confrontation franche des positions divergentes (...)". Si la discussion est le fondement de l’alternance démocratique, le processus électoral du 31 octobre 2003 ne peut être à la fois libre, démocratique et régulier sans dialogue. Par ailleurs, ce processus perd de sa liberté, de sa démocratie et de sa régularité si l’isoloir lui-même est ténébreux. Alors, Démocratie électorale, où est ta lumière à rayons libres ?

Mon cher ami Byron, tu t’es auto-proclamé démocrate, mais tu fustiges le camp adverse pour avoir choisi l’acte comme mode de communication et de réponse au problème que représente pour les conservateurs, l’avènement de la technocratie au Rectorat. Il semblerait que le fait par ces derniers de ne pas partager ta vision du Conseil de l’Université comme espace public, réduit à sa simple dimension discursive, les a automatiquement transformés en despotes. Dans ces conditons, la théorie de l’agir communicationnel dont tu as ici revendiqué l’application, serait le seul horizon de la démocratie. Comme quoi la communication n’aurait rien à voir avec la réalité dans laquelle l’acte poursuit son objectif !

Il est intéressant de noter que même dans le contexte de l’avènement du Bicentenaire de l’Indépendance d’Haïti, notre conseiller critique par moment, n’a situé sa démocratie universitaire que dans l’exercice formel de la parole au sein de son "institution républicaine" qu’est, "par excellence", l’université. Il semble qu’il a déjà oublié que la Révolution de 1804 porte une conception de la nature et de la culture, étrangère à la modernité : c’est l’équilibre écologico-humain. Comme objet culturel qui a été perverti au bénéfice de l’aristocratie haïtienne et du capital français, il devait être une préoccupation pour des esprits universitaires. La restitution de son sens sera hautement démocratique, dans la mesure où le verbe et l’action tendent vers la conscientisation et la transformation de la crise sociale et écologique que le Conseil de l’Université a ignorée durant 5 années de cautionnement de gestion peu transparente d’affaires courantes.

Cher Professeur Byron, la Réforme n’a pas d’autre sens que celui de la constitution d’une université publique qui existera pour étudier surtout les problématiques sociales, écologiques, technologiques, etc., de la société haïtienne dans laquelle elle s’est insituée.

A vrai dire, il est honteux d’accompagner le processus de "réélection du recteur sortant" par sa complicité agissante et de feindre que, par ces agissements, on n’avait pas participé au sacrifice du verbe pour l’acte, car comme tout sacrifice, ce comportement traduit le choix d’une autre valeur jugée suprême : la séparation des élections rectorales, de la réforme universitaire nécessaire à l’enseignement/apprentissage des questions sociales de logement, de transport, de santé, d’éducation, etc., dans nos facultés publiques. Mais, la honte déshonore davantage quand la conscience philosophique régresse jusqu’à se ravaler au niveau du sens commun, en ignorant que la démocratie n’est pas la liberté. L’illusion d’une existence démocratique par la seule pratique discursive, disparaît à l’observation de l’institution des inégalités sociales, économiques, culturelles et politiques qu’ont expérimentées ceux qui vivent de leur travail, il y a deux siècles. Mon cher ami Byron, Marx a déjà montré l’horizon de la démocratie à laquelle tu es charnellement attaché : c’est l’émancipation politique. Tandis que la Liberté signifie la réalisation de toutes les dimensions humaines, c’est-à -dire l’émancipation humaine. Tu n’es pas sans savoir que la conscience émancipatrice ne peut se former que dans des pratiques sociales librement choisies et qui tentent d’apporter des solutions individuelles et collectives aux problèmes de l’homme concret.

La thèse instrumentaliste du verbe et de l’acte, comme conditions d’insertion à la modernité, a oublié peut-être que les situations contemporaines rivalisent avec l’existence barbare. C’est la modernité qui a créé sa propre barbarie ; c’est la suggestion contenue dans la formule de Rosa Luxembourg : Socialisme ou Barbarie, que Michael Lowy a reprise par le concept de "barbarie civilisée" (voir Barbárie e Modernidade no Século XX". Cette allusion nous sert à questionner ta démocratie universitaire qui ne dénonce pas le massacre des indiens, le trafic négrier et le pillage systématique des ressources naturelles d’Haïti. Tu veux instituer ta démocratie universitaire sans référence aucune à la réalité inhumaine que représentent aujourd’hui les politiques d’ajustement structurel et de coopération à la dette. A mon avis, la "crise institutionnelle et morale qui secoue le pays dans son entièreté" ne peut être bien comprise que dans le contexte moderne de discrimination culturelle, d’oppression politique et d’exploitation é conomique que vivent des femmes, des paysans, des ouvriers, etc. La crise intellectuelle haïtienne est dans le mépris pour la philosophie contenue dans les pratiques culturelles du pays qui ont tenté d’instituer le respect de la nature.

Enfin, Mon Cher Byron, ton initiative est quand même louable, car la lecture de ton texte donne, de plus, la possiblité de réfléchir sur les enjeux de la réforme universitaire.

Bien à toi !

Jn Anil Louis-Juste

11 novembre 2003