P-au-P, 3 septembre 09 [AlterPresse] --- La situation que vivent les citoyens et citoyennes haïtiens aux iles Turks et Caïcos est alarmante, selon le Groupe d’appui aux rapatriés et aux refugiés (Garr), de retour d’une mission dans l’archipel britannique effectuée du 19 au 24 août 2009 dernier. L’organisation plaide pour une intervention de l’État sur cette question.
Selon le rapport de mission du Garr, « de nombreux citoyens haïtiens vivent dans des conditions décevantes », et de nombreux enfants n’ont pas accès à l’éducation.
13 000 haïtiens et haïtiennes vivent dans cet archipel des Antilles situé au nord d’Haïti et formé de 40 îles, dont seulement 6 sont habitées. La population totale de l’archipel estimée par le recensement de 2006 est, elle, de 33 000 habitants.
3 000 parmi les 13 000 haïtiens qui vivent actuellement dans les îles Turks et Caïcos sont en situation irrégulière, selon les chiffres fournis par Patrick Camille, responsable de la section des droits humains et migration du Garr.
5 000 sont des résidents et les autres 5 000 sont des enfants nés de parents haïtiens et naturalisés.
Condamnés à la clandestinité
Mais de plus en plus, les résidents haïtiens et habitants de ces îles refusent de recevoir leurs compatriotes chez eux à cause des sanctions de déportation ou les amendes imposées par les autorités pour ce type d’infraction, sorte de délit de solidarité.
Les conditions de déportation des migrants haïtiens ne diffèrent pas de celles prévalant en République dominicaine, poursuit le rapport. La police d’immigration procède régulièrement à des contrôles d’identité et déporte quiconque ne dispose pas de ses papiers au moment des interpellations réalisées, indépendamment du lieu (travail, domicile, zone publique).
Les migrants haïtiens sont forcés de vivre au fond des bois inhospitaliers, dans des maisonnettes de fortune camouflées par des branches d’arbres qu’ils dérobent ainsi à la vue des autorités, rapporte l’organisation.
Vivant dans la clandestinité, ils se nourrissent des ordures dans les aires de décharges, récoltent des objets en vue de les revendre, parfois des portables ou des vêtements usagés.
Aux îles Turks et Caïcos, il n’existe aucune présence de représentant diplomatique haïtien. Le consulat le plus proche et qui a juridiction sur le territoire de ces îles britanniques se trouve à Nassau, dans l’archipel des Bahamas. Cette situation complique les procédures migratoires pour les haïtiens, souvent dépassés par le règlement des formalités de leurs passeports.
« Depuis deux ans, l’acquisition d’un permis de travail est devenu presqu’impossible pour les haïtiens. », ajoute Patrick Camille.
Le chômage est d’ailleurs l’un des plus grands maux qui frappent ces Haïtiens et Haïtiennes, qui pour la plupart travaillent dans le secteur de la construction.
Or, en raison de la crise économique mondiale, ce secteur jadis florissant souffre actuellement d’une baisse d’activités.
Freiner la migration et ses risques
Les autorités des îles Turks et Caïcos ont avoué avoir adopté une politique migratoire plus dure à l’égard des ressortissants haïtiens, notamment en raison de la crise économique.
Cette attitude témoigne du « courant dominant dans les pays d’accueil » en ce qui a trait à l’immigration.
« Ces îles ne peuvent plus accepter le flot des travailleurs étrangers chez eux alors que la situation économique se dégrade », rapporte Patrick Camille
Pourtant, l’arrivée des boat people n’est en rien freinée. L’augmentation de la population haïtienne, qui représente 1/3 de la population totale, est alarmante.
En raison de ce que le Garr qualifie de « laisser-aller du gouvernement », les migrants continuent d’affluer d’Haïti.
Chaque mois, une dizaine de bateaux transportant 200 à 300 personnes quittent Haïti en direction des îles Turks et Caïcos.
De juillet 2007 à août 2009, 106 migrants haïtiens ont perdu la vie dans des naufrages et 65 sont portés disparus, selon l’office national de la migration (Onm).
Outre les risques d’accident, les personnes les plus vulnérables (malades, femmes refusant de se soumettre au viol) sont souvent jetées à la mer. Une fois interceptés par les autorités, les voyageurs clandestins sont enfermés dans un centre de rétention pour une période pouvant aller d’une journée à une semaine avant leur déportation vers Haïti.
Les autorités sur place sont inquiètes face à l’arrivée des navires clandestins haïtiens. « Elles ont l’impression qu’ils n’apportent pas seulement des gens mais aussi de la drogue et des armes, ce qui risque de transformer l’archipel en plaque tournante pour les trafics avec les Antilles et les États-Unis », explique Patrick Camille.
Le Garr est en outre intervenu sur le naufrage du 4 mai 2007, quand 28 corps ont été découverts et 50 autres personnes portées disparues.
Selon les rescapés du 4 mai 2007, ce naufrage n’était pas un accident. Éperonné par un patrouilleur des gardes cotes, le frêle esquif aurait été entrainé intentionnellement au fond de la mer, rapporte le Garr, s’appuyant sur des témoignages recueillis auprès des témoins du drame.
Les autorités haïtiennes consultées par l’organisation sur la question ont affirmé qu’elles agréaient au rapport du gouvernement britannique sur l’affaire qui avait conclut à un accident.
Aucune poursuite ne sera donc intentée par le gouvernement pour rendre justice aux victimes, qui n’a toutefois pas interdit au Garr d’entreprendre une action de son coté, a appris le responsable de la section des droits humains et migrations.
Mais pour l’instant, ce recours demeure complexe. Ces iles, étant encore des possessions britanniques, ne peuvent être poursuivies en cours internationale. Le seul recours devrait passer par un tribunal de l’île.
Quelles recommandations ?
Le Garr recommande en ce sens à l’État haïtien d’ouvrir au plus vite un consulat fonctionnel sur l’archipel, de négocier et de signer avec les autorités un accord de migration de la main d’œuvre et d’activer le processus de création d’une commission interministérielle en charge de porter devant le parlement une loi sur le trafic de personne, en mettant l’accent sur le vote d’une loi sur la traite des personnes.
« Le Garr recommande à l’État de prendre ses responsabilités pour freiner le commerce des bateaux qui assurent les traversées, car le plus grand problème est la mort de nos concitoyens. »
Le Garr compte également intensifier son plaidoyer sur la loi concernant la traite des personnes, de faire une campagne de sensibilisation contre les voyages clandestins et de relayer des informations sur la situation des migrants haïtiens vivant sur les îles Turks et Caïcos.
Au mois d’août de cette année, 452 haïtiens et haïtiennes ont été refoulés ou rapatriés en Haiti de pays caribéens, parmi lesquels figure l’archipel britannique. [kft mm apr 03/09/2009 09:30]