P-au-P, 18 août 09[AlterPresse] --- Quarante ans après l’expulsion de neuf prêtres spiritains (Congrégation du Saint-Esprit) par le régime de François Duvalier, l’Amicale des anciens du Petit séminaire Collège St Martial organisait une cérémonie de commémoration le 15 août dernier, à laquelle a assisté l’agence en ligne AlterPresse.
Le sociologue Laënnec Hurbon, le professeur Jean-Claude Bajeux et le prêtre William Smarth sont revenus sur les événements et le contexte de l’époque, par devoir de mémoire et de partage avec les nouvelles générations.
Le 15 août 1969, les prêtres spiritains Antoine Adrien, Yves Dejean, Ernst Verdieu, Paul Jean-Claude, Max Dominique, Paddy Poux, William Smarth, Paul Dejean, Pierre Dejean et un laïque, Pierre Cauvin, étaient expulsés d’Haiti par le régime dictatorial de François Duvalier au motif d’ « activités communistes », dans le contexte mondial de la guerre froide. Ils ne reverront leur patrie que 17 ans plus tard, lors de la chute du régime de Jean-Claude Duvalier.
Le 15 août 2009, au Petit séminaire Collège Saint Martial, c’est avec humour que William Smarth se souvient de la soirée du 15 août 1969, quarante plus tôt.
Interpellés au Ministère des cultes, les dix hommes écoutent alors, atterrés, les accusations du gouvernement à leur encontre. Des dispositions administratives sont prises : leurs passeports ne seront valables que pour la France. L’aéroport est ce soir-là vidé, tous les vols sont pratiquement cloués au sol. Les dix accusés embarquent pour l’exil.
« Max [Dominique] pleure durant tout le voyage, poursuit le père Smarth. Nous parlons entre nous à voix basse et en latin, craignant la présence de tontons macoutes dans l’avion. »
Arrivés à Paris les mains vides, sans bagages, les jeunes prêtres continueront de vivre dans la peur : « Nous vivions dans la crainte de représailles possibles contre nos parents restés en Haïti », témoigne le père Smarth. Le groupe prend alors ses distances avec la presse.
Pour le sociologue Laënnec Hurbon, en expulsant les spiritains, François Duvalier a voulu éliminer l’un des bastions importants de la contestation envers son régime.
L’exil forcé des neufs prêtres en 1969 fut l’aboutissement d’une longue série d’attaques à leur encontre. Entre 1968 et 1969, les spiritains sont persécutés sans relâche, d’après William Smarth, pour qui ce fut une année d’agacement constant et de tracasseries.
Une longue lutte
L’expulsion des spiritains doit se comprendre en lien avec la conjoncture de l’époque, marquée par une bataille sans merci entre l’Église catholique romaine et François Duvalier, a rappelé Jean-Claude Bajeux, notamment sur le terrain des pratiques religieuses.
A partir de 1957, Duvalier a procédé à une vague d’expulsions pour saper la position de l’Église qui le contestait. Néanmoins, comme l’ont souligné Laënnec Hurbon et le père Smarth, le dictateur ne voulait pas à l’époque expulser les prêtres étrangers, mais visait en revanche les autochtones.
En 1964, des jésuites canadiens sont cependant expulsés du pays par le régime. La contestation enfle. Les pères Smarth et Bajeux rédigent une lettre de protestation contre l’expulsion des Jésuites. Smarth est assigné à résidence tandis que Bajeux est forcé à l’exil.
Entre 1959 et 1965, plus d’une centaine de prêtres de paroisse, 5 évêques et les prêtres de la congrégation des jésuites auront été contraints à l’exil.
Plus largement, l’expulsion des prêtres de l’Eglise catholique romaine est inscrite dans le cadre de la violence imposée par le régime Duvalier. Laënnec Hurbon a rappelé qu’au moment de l’expulsion des spiritains en 1969, beaucoup de familles étaient déchirées.
Au moins 10.000 intellectuels et cadres haïtiens sont partis entre 1964 et 1969, soit au Zaïre (l’actuelle République démocratique du Congo), soit au Canada, selon le sociologue. Tous les membres de partis politiques sont alors tués ou exilés, les médias d’opposition sont supprimés, les étudiants persécutés (crise de l’Université en 1960), tous les coups armés sont réprimés et le cadavre des guérilleros exposés dans les rues.
40 ans après son expulsion d’Haiti et au delà du devoir de mémoire envers les dix hommes forcés à l’exil le 15 août 1969, William Smarth a tenu à souligner les acquis qui ont été réalisés depuis la chute de la dictature en 1986, comme le droit à la parole et le droit des femmes. Le spiritain a invité la société à apprendre à mieux gérer ces acquis. [kft mm apr 19/08/2009 16:30]