Position du professeur Jhon Picard Byron, membre du Conseil de l’Université
Soumis à AlterPresse le 6 novembre 2003
« C’est par le verbe et l’acte que nous
nous insérons dans le monde humainÂ… »
Hannah Arendt, « Condition de l’homme moderne »
Pour l’histoire, je rends publique ma position sur la réélection du Recteur sortant Pierre Marie Paquiot. Jusqu’à date, je me suis toujours astreint au devoir de réserve quand, après de longs processus où il m’a été permis de m’exprimer et où d’autres conseillers se sont exprimés, le Conseil de l’Université avait pris des décisions contraires à mes vues propres. Il m’est même arrivé de soutenir ces décisions que personnellement je ne partageais pas.
C’est pour la première fois que je questionne publiquement une décision par vote majoritaire du Conseil de l’Université dont je suis membre depuis 2002. Je tiens à cette prise de position parce que je pense que les générations futures demanderont des comptes. J’y tiens encore parce que, si, comme quelques rares membres du Conseil, je me suis exprimé, je n’ai pas eu d’interlocuteurs. Les membres du Conseil (dans leur quasi-totalité, mis à part le Recteur dont il faut saluer le courage) se sont enfermés dans un mutisme ou ont feint d’avoir des positions contraires au vote qu’ils exprimeront.
Le débat, on a voulu le provoquer. Mais, on n’a eu comme réaction que des murmures. Tout se passe comme s’il n’y avait que de rares hommes au Conseil. Rares étaient ces êtres parlants et agissants d’Arendt. L’on comprend dès lors que je ne peux pas avoir partie liée avec ces conseillers qui, le vendredi 31 octobre 2003, ont réélu le recteur sortant. Il faut bien saisir que, en tant que démocrate résolu, je ne leur en veux pas pour leur choix.
Libre, démocratique et régulier, le processus électoral a pourtant manqué quelque chose de fondamental : la confrontation franche des positions divergentes qui s’est développée au sein du Conseil sur tous les sujets et dans tous les échanges (même extra), y compris durant les moments les plus durs de la crise.
Bref, ce vote qui maintient délibérément le statu quo est honteux. Il n’est motivé par aucun intérêt pour la chose universitaire. C’est pourquoi il n’a pas pu s’exprimer dans la parole, voire se tenir dans une parole articulée, dans un discours. Il n’a pas pu se donner à voir, « apparaître ». Il n’a pu être assumé que dans les ténèbres de l’isoloir.
On m’objectera que l’électeur était « libre ». Mais, le grand électeur, représentant de sa faculté pouvait-il prendre une décision ou engager l’Université pour des raisons que lui seul doit connaître ? Pouvait-on être libre de ne tenir aucun compte des desiderata de réforme exprimés par la communauté universitaire, notre mandant ?
Instance de délibération, le Conseil doit garder son caractère d’espace public. Ses décisions présupposent de ce fait, par-delà des procédures normales, des débats contradictoires. Vouloir omettre cette dernière condition (ou l’escamoter) c’est retirer les décisions sur le terrain des intérêts de la communauté universitaire pour les rendre tributaires d’intérêts individuels et mesquins.
J’ai toujours cru que le Conseil de l’Université est, au nom et avec la communauté universitaire, le gardien des valeurs républicaines, voire le modèle par excellence d’institution républicaine. Ainsi, il ne saurait reproduire certaines attitudes et postures qui sont légion parmi les parlementaires haïtiens.
Je comprends très bien que la très grande majorité des parlementaires de la législature contestée (47ème ) soient des muets, ne peuvent et n’entendent pas justifier leur vote. Car, dans le régime actuel, celui-ci est déterminé par des raisons mystérieuses n’ayant rien à voir avec des explications rationnelles ou se monnaye tout simplement.
Mais, je n’admets pas que des universitaires, participant à une assemblée, se taisent, se décident à ne pas faire ce qu’ils ont appris, l’usage de leur entendement, s’en tenant ainsi à leurs petits intérêts de caciques, de « mandarins » et autresÂ…
L’équipe occulte qui voulait la réélection du Recteur ne pouvait pas procéder autrement. N’ayant ni bilan, ni programme, le silence et autres manœuvres habiles étaient donc leurs seuls recours.
La morale de l’histoire. Après cette réélection, le Conseil de l’Université n’aura de leçons à donner à personne ; et, on a là un fait qui montre qu’on restera encore longtemps dans cette crise institutionnelle et morale qui secoue le pays dans son entièreté. Les lumières ne sont nulle part.
L’histoire pourra me contredire. Mais, faut-il bien que la communauté universitaire se re-mobilise pour aller à contre-courant de l’immobilisme du Conseil de l’Université et forcer ce dernier et le Conseil exécutif élu à engager l’UEH dans la voie de la Réforme.
Ayant dénoncé la politique menée par le recteur depuis le retrait des mesures gouvernementales et ayant critiqué sa candidature, l’on dira peut-être que je suis un mauvais perdant. Mais, on doit faire attention à deux choses : (1) je ne connais pas les gagnants ; et (2) n’étant pas aussi « libre » que les autres conseillers, j’ai des comptes à rendre à mes mandants qui peuvent bien croire que je n’ai pas respecté la parole commune issue d’échanges formels et informels que j’ai toujours eus avec eux.
Jhon Picard Byron
Membre du Conseil de l’Université
Délégué des Enseignants de l’ENS