Español English French Kwéyol

15 mois après les émeutes de la faim d’avril 2008

Haïti-Droit à l’alimentation et sécurité alimentaire : Une question de souveraineté et de liberté ?

Le nombre de personnes en état d’insécurité alimentaire est passé de 2,1 en juin 2009 à 1,8 million à la mi-juillet 2009 en Haïti.

Au-delà des chiffres, quelles réponses les autorités nationales ont-elles apportées ?

P-au-P, 02 août 09 [AlterPresse] --- Plus de 15 mois après les émeutes de la faim en Haïti, des interrogations demeurent sur le niveau de réponses apportées par les autorités nationales, notamment en ce qui concerne les conditions d’exercice du droit à l’alimentation aggravées par les intempéries de 2008, relève l’agence en ligne AlterPresse.

Etant un « problème politique » la question du droit à l’alimentation et de la sécurité alimentaire devrait être rattachée à la souveraineté et à la liberté en Haïti, estime l’agro-professionnel Stephen Phelps qui rejette une tendance à l’approche statistique en évoquant l’insécurité alimentaire dans le pays.

Constat et recommandations de la Cnsa

« Le nombre de personnes estimées en état d’insécurité alimentaire est passé de 2,1 millions en mai 2009 à 1,9 million à la mi-juillet 2009 » en Haïti, indique le bulletin # 40 de la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (Cnsa).

La tendance à la baisse des prix des produits alimentaires sur les marchés locaux, y compris la stabilité des prix des produits alimentaires de base importés, aurait contribué à améliorer la sécurité alimentaire nationale durant le mois de juin 2009 en Haiti.

De plus, les pluies abondantes de la saison agricole qui s’achève ont entrainé une bonne récolte, estimée supérieure de 25% à celle de la saison équivalente de 2008, souligne la Cnsa.

Parmi d’autres facteurs ayant contribué à une réduction d’environ 10 % de l’insécurité alimentaire entre juin et juillet 2009, la Cnsa mentionne également : les travaux de haute intensité de main-d’œuvre (notamment dans les travaux de nettoyage des villes, curage des rivières et des canaux, de lutte antiérosive sur les bassins versants etc.) – ayant permis d’augmenter les revenus des ménages pauvres, même s’ils restent insuffisants par rapport aux besoins -, l’exécution, par des entreprises privées, de travaux de réparation de systèmes d’irrigation et de correction de ravines ou de berges des rivières la poursuite, par diverses organisations humanitaires, du pré positionnement des kits alimentaires et non alimentaires dans des endroits stratégiques et difficiles d’accès en cas d’urgence, le bon approvisionnement des marchés locaux et régionaux en divers produits alimentaires locaux et importés qui a entraîné une baisse des prix des produits alimentaires de base.

Pour faire face à la situation de vulnérabilité courante et chronique, la Cnsa recommande de renforcer la coordination intersectorielle pour une meilleure gestion des risques et désastres afin de répondre à l’éventualité de catastrophes futures, de rendre opérationnel et de renforcer le schéma directeur d’aménagement des bassins versants élaboré par le ministère de l’environnement et ses partenaires, de soutenir techniquement et financièrement les programmes à court et moyen terme de réduction de la vulnérabilité.

« La sécurité alimentaire est assurée quand toutes les personnes, en tout temps, ont économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels et leurs préférences alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et saine » : tel est le leitmotiv de la Cnsa sur son site web.

Au-delà des chiffres

Se nourrir est un droit. Mais, les chiffres, tantôt à la hausse, tantôt à la baisse, sur la sécurité alimentaire, publiés par les autorités nationales, masquent la réalité, le crime de la faim dans le pays, soutient l’ingénieur-agronome Phelps.

"On jongle avec les chiffres en Haïti comme si de rien n’était. Affirmer qu’il n’y a aucun problème de faim en Haïti relève de la propagande politique, voire d’un processus de zombification des citoyennes et citoyens face à la réalité… de peur de ne pas perdre certains avantages...", observe t-il.

Pour Stephen Phelps, c’est un leurre de parler de démocratie et d’état de droit dans le pays, pendant qu’un nombre important de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et que 80% des habitants du pays ne jouissent pas de leurs droits fondamentaux.

Tandis qu’ils estiment trop élevé de porter le salaire minimum journalier à 200.00 gourdes (environ 5.00 dollars américains ; US $ 1.00 = 41.50 gourdes aujourd’hui), les officiels touchent, eux, jusqu’à 700.00 dollars américains comme per diem de représentation dans des rencontres peu bénéfiques pour le pays à l’extérieur.

L’ingénieur-agronome Phelps doute de la relance de la production nationale, tant annoncée par le gouvernement en place, vu que, dit-il, les conditions de cette relance ne sont pas réunies.

"65% des habitants travaillent dans l’agriculture, un secteur qui représente 25% de la production nationale. Or, ces 65% vivent dans une situation précaire, de faim, d’insécurité alimentaire, sanitaire et éducative. Lorsque la majorité n’a pas accès à la nourriture, aux soins, à la formation, elle ne peut pas construire un pays ".

De l’indépendance en 1804 à nos jours, l’Etat a très peu investi dans l’agriculture. Sur chaque 100.00 gourdes de disponibilités budgétaires, l’allocation est passée de 0.5 à 2.00 gourdes au moment où l’on évoque la nécessité d’utiliser à bon escient les moyens de production.

Cependant, seule une réforme agraire conséquente, permettant l’acquisition de terres aux paysans, pourrait conduire à un réel développement, propose l’agro-professionnel Phelps rappelant combien la paysannerie a beaucoup supporté l’économie nationale pendant près de 150 ans.

Tenue le 31 juillet 2009, l’intervention de Stephen Phelps se situe dans le cadre des journées de réflexions organisées, tous les derniers vendredis du mois, par la Plateforme des organisations haïtiennes de droits humains (Pohdh). La rencontre-débat du 31 juillet est la troisième activité réalisée, en l’espace de quelques mois en 2009, par la Pohdh sur le thème du droit à l’alimentation et de la sécurité alimentaire et cette année. [kft rc apr 02-08-2009 0:30]