Un vent funeste et suspect souffle sur les milieux fanatiques lavalas. Un peu plus d’un mois après l’assassinat d’Amiot Métayer, chef de l’ancienne " Armée Cannibale ", c’était le tour, le 31 octobre, de Roodson Lemaire, alias " Colibri ", 23 ans, chef tout-puissant de Cité Soleil, bidonville du nord de la capitale haïtienne.
TEMPETE DANS LA MAISON LAVALAS
Depuis le meurtre par balles de Roodson Lemaire, Cité Soleil, qui est périodiquement le théâtre d’actes de violence, est entrée en effervescence. Dans ce quartier, considéré comme le fief du Président Jean Bertrand Aristide, des centaines de personnes ont manifesté 2 jours de suite (3 et 4 novembre) contre le pouvoir en place en criant « à bas Aristide ». Les manifestants n’ont pas compris que la mort soit le sort de ceux qui se sont sacrifiés pour Lavalas.
Roodson Lemaire a été tué par un commando de la police, selon ce qu’affirme son coéquipier Robenson Thomas, dit « Labanyè » (La Bannière). De sa cachette - car il craint d’être le prochain nom sur la liste - il accuse le maire de Cité Soleil, Fritz Joseph, le Ministère de l’Intérieur et le Palais National d’être trempés dans le complot.
Le maire a rejeté les accusations de Robenson Thomas, arguant que Roodson Lemaire a été tué dans le cadre d’un règlement de compte. Le Palais National, par la voix de Dismy César, un Conseiller du Président, a fait savoir que seule une enquête policière pourra déterminer l’origine du crime. En même temps, le Secrétaire d’Etat à la Communication, qui « constate l’existence d’un plan pour éliminer » les chefs de bande lavalas, regarde du coté des « secteurs qui ont toujours souhaité la disparition » de ces gens.
Evans Paul, dirigeant de la Convergente Démocratique, a affirmé qu’en perspective de la célébration du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti en 2004, Aristide "a une mission d’éliminer" des chefs de bande lavalas pour nettoyer le terrain. Selon un bilan dressé par Evans Paul, du milieu des années 90 à aujourd’hui, 25 puissants chefs de groupe lavalas ont été éliminés.
Robenson Thomas a bien reçu le message, lui qui se cache et qui est, suivant des informations recueillies a Cité Soleil, activement recherché. « Eux seuls savent pourquoi ils ont éliminé Colibri (Roodson Lemaire) après tout le travail qu’il a fait », dit-il. « De la manière dont se présente la situation Aristide est prêt à sacrifier ses propres filles pour célébrer 2004 », ajoute-t-il.
Robenson Thomas affirme avoir pris des dispositions pour des documents compromettants pour le gouvernement soient rendus publics, si jamais il devait être assassiné. En attendant, il a fait savoir que lui et ses collègues ont conduit des opérations pour faire échouer des manifestations de l’opposition et d’autres activités des secteurs sociaux. « Maintenant, ils demandent plus et comme nous ne refusons, ils veulent nous tuer ».
Aux Gonaives (Centre-ouest) où les anciens partisans de Aristide n’ont pas encore séché leurs larmes après le meurtre macabre de Metayer, Winter Etienne, un des anciens dirigeants de « l’Armée Cannibale », transformée en Front de Résistance anti-lavalas, invite les chefs de groupes pro-gouvernementaux à se libérer des « chaînes de lavalas ».
Selon Winter Etienne, "le plan machiavélique pour assassiner tous les chefs de Groupe lavalas" a rapport avec l’application de la résolution 822 de l’Organisation des Etats Américains, qui a demandé l’arrestation des militants lavalas qui avaient aux violences du 17 décembre 2001 contre l’opposition.
Winter Etienne a notamment mis en garde René Civil et Paul Raymond, deux figures notoires des secteurs fanatiques lavalas. Ces derniers, contrairement à l’ordinaire, gardent encore le silence.
Comme dans le cas de Amiot Métayer, le chef de la mission de l’Organisation des Etats Américains (OEA) en Haïti, David Lee, a regretté que Roodson Lemaire ne pourra jamais répondre par devant la justice des actes qui lui étaient reprochés. Il a réclamé une « enquête sérieuse » dont les résultats devront être rendus publics.
Cette série d’assassinats de têtes de pont lavalas se produit dans un contexte socio-politique qui préoccupe l’OEA. Le 31 octobre dernier, lors d’une rencontre avec la presse, David Lee n’a pas caché l’inquiétude de la mission qu’il dirige face à « la
détérioration du climat politique et social, des atteintes aux droits de la personne et la remise en cause de l’état de droit » dans plusieurs coins du pays.
Durant ces dernières semaines, a part Cité Soleil, des actes de violence ont été notamment enregistrés aux Gonaives et au Cap-Haïtien (Nord), faisant des morts et blessés par balles. Dans plusieurs régions, particulièrement à Port-au-Prince, des manifestations anti-gouvernementales ont été violemment dispersées par des partisans du pouvoir.
Les actions violentes conduites par les militants lavalas n’ont été « ni empêchées, ni dénoncées (Â…) par le gouvernement », a souligné le Chef de la mission de l’OEA.
Cependant, autant que les violences des partisans de Aristide, David Lee s’est prononcé contre les appels à la démission du Chef de l’Etat. Des élections crédibles demeurent, a-t-il dit, la seule voie pour faire avancer Haïti sur le chemin de la démocratie.
Mais, les élections, que réclament à tue tête les partisans du gouvernement, ne sont pas possibles dans le climat actuel, a concédé David Lee ce 4 novembre à la station privée Radio Kiskeya à Port-au-Prince. Comme quoi, le vide institutionnel, que disent craindre les tenants du pouvoir, à partir de l’année prochaine, pourrait être inévitable. A moins de nouvelles « élections contestées ».