Les assises de la coopération décentralisée franco-haïtienne se sont déroulées les vendredi 10 et samedi11 juillet 2009, à Montrouis (à environ 90 kilomètres au nord de la capitale Port-au-Prince), réunissant une centaine de maires haïtiens et français et proposant les particularités et avantages de cette coopération entre homologues de divers horizons.
Par Maude Malengrez
P-au-P, 13 juillet 2009 [AlterPresse] --- Face à une assemblée en grande majorité masculine, les assises de la coopération décentralisée franco-haïtienne ont permis aux participantes et participants, parmi eux des membres de conseils municipaux haïtiens, de prendre connaissance des différentes expériences de coopération décentralisée entre des collectivités territoriales françaises et haïtiennes, à l’heure où le processus de décentralisation est à nouveau à l’ordre du jour en Haïti, a constaté l’agence en ligne AlterPresse.
Trois niveaux de collectivités territoriales sont reconnus par la constitution de 1987 : le département, la commune et la section communale.
Des collectivités françaises interviennent en Haïti via des protocoles d’accords de coopération décentralisée, des jumelages mais aussi en soutenant des organisations non gouvernementales (Ong) françaises qui opèrent en Haïti.
État des lieux
« 35 % des expériences de coopération décentralisée en Haïti concernent des collectivités françaises, 33 % des collectivités nord-américaines, 10 % canadiennes, 22 % des États antillais », fait savoir Carmel Jean-Baptiste, chef du service de la coopération décentralisée au ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales.
Sur 140 communes haïtiennes, 60 entretiennent au moins des relations de jumelage avec des collectivités territoriales étrangères (soit 40 % des communes), dont 42 sont le fait d’une implication de ressortissantes et ressortissants haïtiens à l’étranger.
La moitié des jumelages, pour la plupart informels, émanent des liens qu’entretient la diaspora avec Haïti. Neuf communes ont signés des protocoles d’accord de coopération décentralisée.
« Les 80 communes restantes désirent entamer des relations de coopération avec des communes étrangères », souligne Jean-Baptiste.
Ce souhait a été effectivement exprimé par les maires tout au long de ces assises.
« Il y a une grande part de hasard dans ces relations, liées à des rencontres, souvent aux diasporas », rappelle Jean Guerard, vice-président du Conseil régional d’Aquitaine en charge des relations internationales, engagé dans le département du Nord d’Haïti au niveau de 6 communes rurales.
« Le caractère original de la coopération décentralisée, ce n’est pas une coopération juste protocolaire, mais concrète, centrée sur des actions et les besoins les plus immédiats des populations », indique le ministre haïtien de l’intérieur, Paul Antoine Bien-Aimé.
« En 2 ans, nous avons obtenu des résultats concrets, notamment dans la gestion des déchets solides », expose Edwin Zeny, maire principal de Jacmel (chef-lieu du Sud-Est d’Haïti), ville appuyée au niveau institutionnel par la communauté urbaine et la ville de Strasbourg pour ce faire, mais également pour l’adressage et la levée de l’impôt foncier.
Ce type de coopération met en relation des savoir-faire dans le domaine de la gestion communale et apporte des outils de gestion et de planification, alors que « les collectivités souffrent d’une défaillance d’expertise », remarque Jean Guerard.
« Même si nos réalités sont différentes, nous affrontons les mêmes enjeux au niveau du développement local », affirme Christian Dupuy, maire de Suresnes, une ville française qui a signé un protocole d’accord de coopération décentralisée avec la ville du Cap Haïtien (deuxième ville de la république caribéenne à 248 kilomètres au nord de Port-au-Prince).
Au Cap Haïtien, la ville de Suresnes travaille en partenariat avec la mairie « sur un diagnostic institutionnel de la ville, afin d’en dégager les forces et faiblesses et élaborer un plan de développement local. C’est un document de référence par rapport à l’État, aux bailleurs et aux autres acteurs potentiels, ajoute Dupuy.
« Le renforcement institutionnel est peu visible, mais plus durable. « Cette collaboration nous permet de renforcer la reconnaissance de la mairie comme chef d’orchestre du développement de la commune, précise Michel Sainte-Croix, maire principal du Cap Haïtien.
L’agence française pour le développement (Afd) finance cette coopération avec la ville de Suresnes, comme la plupart des autres expériences.
Aux Gonaïves (à 171 kilomètres au nord de la capitale), le conseil régional d’Ile-de-France a participé à la reconstruction et au renforcement des services techniques de la ville, et mis en contact cette dernière avec ses homologues de Guadeloupe et de Martinique.
Le conseil général de Martinique a mis en place un système d’information géographique et de contrôle du territoire, notamment un système d’alerte des crues très efficace. Le conseil général de Martinique devrait s’investir très prochainement dans un partenariat avec la ville des Gonaïves, la région Guadeloupe et Ile-de-France, sur la prévention et la gestion des désastres.
De l’État et des réformes appropriées
« La constitution de 1987 reconnait un état unitaire décentralisé, mais il y a des difficultés jusqu’à présent à ce que cela s’opérationnalise, note Tony Cantave, directeur du Groupe de recherche et d’intervention en éducation alternative (Grieal).
« Il y a un déficit dans le cadre légal qui régit les collectivités territoriales. Des reformes sont nécessaires : une nouvelle loi sur la décentralisation, l’institutionnalisation des collectivités territoriales, dépourvues de quasiment tout, une reforme budgétaire et fiscale, afin que les collectivités puissent disposer d’un budget d’investissement et non seulement de fonctionnement. »
« La décentralisation ne peut se lever contre l’État, mais lui donner plus de flexibilité », soutient, pour sa part, en regard de l’expérience française Charles Josselin, Président du comité de pilotage français et de Cités unies France.
« En France, l’Etat ne s’est pas du tout affaibli via la décentralisation, mais s’est reconcentré sur certains secteurs comme la sécurité. »
Décentraliser les structures centrales implique, cependant, qu’elles fonctionnent à ce niveau ou que les structures déconcentrées de l’administration trouvent leur autonomie.
Pour Jean-Max Bellerive, ministre de la planification et de la coopération externe (Mpce), la coopération décentralisée ouvre la porte à la consolidation des acquis de la décentralisation.
Les collectivités locales souffrent d’un manque de ressources financières nécessaires pour le paiement des salaires de leurs cadres territoriaux.
Partant de l’expérience malienne, Mohamed Ag Erlaf, directeur général de l’agence nationale d’investissement des collectivités territoriales au Mali, voit dans la décentralisation et la coopération décentralisée, « une façon de créer des richesses sur la base d’une fiscalité redistributive pour la collectivité. Ce n’est qu’à ce compte que nous pourrons nous libérer de l’assistance humanitaire ».
« L’impôt est fondamental », martèle Charles Josselin.
« Des gens ont ici de magnifiques maisons, dont les seuls murs d’enceintes pourraient en construire dix autres », rappelle-t-il en observant l’état désastreux de la route et des espaces publics qui les entourent.
« Ils doivent payer des impôts. Les élus locaux doivent aider le pouvoir politique à reprendre la main ».
Ong et concurrence
« Nous savons l’importance que les Ong revêtent », témoigne Charles Josselin.
« Nous aimerions qu’elles soient aussi actrices de coopération, ce qui ne se vérifie pas beaucoup. Dans certains endroits, les Ong se satisfont de l’absence des autorités locales. Il faut qu’elles acceptent la prédominance tranquille du fait politique, en souhaitant qu’effectivement celui-ci soit le fruit d’un processus démocratique et qu’elles appuient la décentralisation ».
« Notre crainte, c’est une attaque en règle à l’égard des Ong », explique cependant Jean-Claude Fignolé, maire principal des Abricots.
« Je suis d’accord, car leur action ne correspond pas assez aux buts. Alors qu’elles sont censées répondre á une situation ponctuelle, Haïti est devenue leur sanctuaire, preuve de leur inefficacité. Mais je m’interroge, car on les a longtemps utilisées afin de ne pas travailler avec l’État ».
La même question de déresponsabilisation de l’État central face à la coopération décentralisée se posait dans les discussions.
Quels garde-fous la coopération décentralisée a-t-elle défini pour ne pas reproduire cette logique d’action qu’elle dénonce chez les Ong, beaucoup passant par des opérateurs et bailleurs de fonds identiques ?
Cette question sera restée en suspens. [mm rc apr 14/07/2009 12:30]