Par Maude Malengrez
P-au-P, 10 juillet 2009 [AlterPresse] — Enthousiaste et serein, Rodney Saint Eloi a présenté, à Port-au-Prince le jeudi 9 juillet 2009, les publications à paraître de la maison d’édition montréalaise qu’il dirige, Mémoire d’encrier, lors d’une rencontre avec la presse dans les locaux de la Fondation Culture Création, à laquelle a assisté l’agence en ligne AlterPresse.
Créée en 2003, Mémoire d’encrier a rapidement tracé ses lettres de noblesse dans le monde de l’édition canadienne comme internationale en publiant des auteurs haïtiens, et tant d’autres.
Edwidge Danticat (d’origine haïtienne), Dany Laferrière, Gary Victor, Georges Castera, Emmelie Prophète, Maryse Condé (écrivaine guadeloupéenne née [Maryse Boucolon] le 11 février 1937 à Pointe-à-Pitre), mais aussi des auteurs, essayistes ou poètes portugais, antillais, québecois, français, amérindiens, qu’ils s’attèlent au Monde Noir ou pas...toutes ces auteures et tous ces auteurs ont en commun de se retrouver auprès d’un éditeur, Rodney Saint-Eloi, qui a fondé la maison Mémoire d’encrier à Montréal il y a de cela 6 ans.
A force de persévérance et de séduction, dirait Dany Lafferière, il semble avoir réussi à s’insérer dans le monde de l’édition canadienne et internationale tout en sortant les écrivains haïtiens de leurs « ghettos ».
« J’envisage mon travail comme une manière d’être présent au monde, d’être hors du ghetto. Quand je suis arrivé à Montréal, je me suis beaucoup posé la question de l’altérité et je suis allé vers l’autre en me disant que j’ai quelque chose à offrir. Il faut sortir de nos préjugés et décomplexer notre rapport au monde », témoigne Rodney Saint-Eloi.
« Haïti n’est pas seule et il y a beaucoup de signes réels (de cela) qui circulent. Gary Victor va être un des invités d’honneur du salon du Livre de Montréal ».
Mémoire d’encrier vient de rééditer Ainsi parla l’Oncle de Jean Price-Mars, suivi d’un essai, Revisiter l’oncle, dans lequel des auteurs de tous horizons écrivent au départ de l’œuvre.
« Les auteurs ont très vite et facilement accepté. Ce livre nous prouve qu’il y a une présence au monde d’Haïti et qu’il existe un désir de connaître autre chose du pays à l’extérieur ».
Le directeur de Mémoire d’encrier tient à rappeler qu’il est l’héritier d’une dynamique culturelle intéressante à Montréal, lancée par les éditions Nouvel outil, continuée par les éditions du Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne (Cidihca).
« Souvent les barrières sont dans nos têtes, or ici on publie les textes de tous les auteurs, c’est ça le travail d’une vraie maison d’édition », insiste Gary Victor.
Dany Laferrière de renchérir : « Un livre, c’est une façon de sortir de son espace. C’est pour cela que je ne comprends pas le nationalisme dans les livres. L’expérience de Rodney à Montréal est extrêmement intéressante, avec lui on ne va pas se parler à soi-même. On va faire connaître la parole haïtienne à tout le monde. La littérature, ce ne sont pas que les mots, c’est aussi le fait de rassembler des gens et de les mélanger ».
Une exigence d’excellence
Dany Lafferière, Emmelie Prophète et Gary Victor sont, tous trois, publiés chez Memoire d’encrier. Ils soulignent la passion avec laquelle Rodney Saint Eloi exerce son métier, avec rigueur et séduction, partageant, avec ses auteurs, des relations exigeantes et des liens d’amitié.
A la mi-octobre 2009, Mémoire d’encrier publiera le roman de Gary Victor, Une saison de porc, dans une édition revisitée.
« Ce qui m’a le plus frappé, c’est sa manière d’accompagner les auteurs", confie le romancier, scénariste et journaliste haïtien, parlant des allers-retours du texte avec l’éditeur, des corrections.
« Cela représente un volume de travail conséquent. Un auteur, c’est aussi cela qu’il veut, mieux découvrir son texte avec un éditeur ».
« Il faut partir d’une exigence d’excellence", disait Rodney Saint-Eloi. "Un livre, c’est de la cuisine lente, à petit feu ».
Mémoire d’encrier est une maison d’édition indépendante qui publie à compte d’éditeur.
« C’est une entreprise à risque. Il faut penser l’édition comme une chaîne, avec des distributeurs, des libraires, des bibliothèques. Or, la diffusion coute extrêmement cher. Ce qui nous permet de survivre, ce sont les solidarités avec les différents acteurs de la chaîne, avec les auteurs », explique Rodney Saint-Eloi.
« Je suis très heureux de ce qui se passe en Haïti, car les livres étrangers n’étaient pas présents avant, sauf pour les grosses maisons d’éditions », ajoute-t-il, avant de saluer le travail réalisé par l’agence haïtienne Communication Plus dans la diffusion de ses livres en Haïti.
Pour Gary Victor, il est impératif de décomplexer les jeunes par rapport à l’écriture.
« Je pense qu’il y a ici beaucoup de jeunes qui ont du talent, mais on les a tellement complexés avec l’écriture... »
Trois petits textes d’Edwidge Danticat, de Maryse Condé et de Georges Castera sortiront fin octobre 2009, dans la Collection L’arbre du voyageur (jeunesse), pour lesquels l’éditeur veillera à ce que le prix ne dépasse pas les 300.00 gourdes [US $ 1.00 = 41.50 gourdes aujourd’hui] en Haïti. [mm rc apr 10/07/2009 0:00]