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Haïti-Rép. Dominicaine : Contre l’exclusion des descendants de sans papiers de la nationalité dominicaine

Par Wooldy Edson Louidor

P-au-P., 9 Juil. 09 [AlterPresse] --- De plus en plus d’organisations de droits humains en République Dominicaine contestent la décision prise par l’Assemblée Nationale du pays voisin, dans la soirée du 29 mai 2009, d’exclure les descendants de sans papiers (dont des Haïtiens) de la nationalité dominicaine en donnant un vote favorable à l’article 16 du Projet de Réforme Constitutionnelle soumis en septembre 2008 au Parlement par l’administration de Leonel Fernández Reyna.

L’alinéa c de cet article, qui a généré beaucoup de débats dans le pays voisin, stipule : « Sont dominicaines et dominicains ceux qui sont nés sur le territoire national, à l’exception de ceux qui sont fils d’étrangers membres de légations diplomatiques et consulaires ou d’étrangers qui se trouvent en transit ou qui résident illégalement sur le territoire dominicain. »

Lourdes conséquences

La Fondation Institutionnalité et Justice (Finjus) et la Participation Citoyenne (PC) ont dénoncé les conséquences néfastes qu’entraînerait une telle décision de l’Assemblée Nationale Dominicaine.

Cette délibération parlementaire consacrerait l’exclusion à tous les niveaux des migrants sans papiers et de leurs descendants, ainsi que les violations et les abus de tous types contre cette minorité, ont-elles soutenu.

Elles préviennent que cette décision pourrait affecter l’image du pays au niveau international, voire le rendre passible d’une poursuite en justice pour violation des accords internationaux signés en matière de droits humains.

Des organisations de défense des droits humains des migrants, telles que le Service Jésuite aux Réfugiés et Migrants (SJRM), le Mouvement des Femmes Dominico-Haïtiennes (MUDHA) et d’autres organisations membres du Réseau Jacques Viau, avaient déjà élevé la voix contre l’article 16 du Projet de Réforme Constitutionnelle.

Solidarité du Centre Robert F. Kennedy pour la Justice et les Droits Humains

Kerry Kennedy, la fondatrice du Centre de Justice et de Droits Humains Robert F. Kennedy, a visité, fin juin 2009, la République Dominicaine, à la tête d’une importante délégation.

Inscrite dans un cadre de solidarité avec l’activiste dominico-haïtienne de droits humains Sonia Pierre, récipiendaire en 2006 du prix Robert Kennedy, cette visite de Kerry Kennedy est venu donner un nouvel élan à ce mouvement de contestation contre la décision du Parlement dominicain.

La délégation du Centre de Justice et de Droits Humains Robert F. Kennedy s’était donnée pour mission d’« investiguer sur la manière dont les lois et les politiques internes (de la République Dominicaine) privent les Dominicains d’origine haïtienne de documents d’identité et rendent vulnérable leur droit à la nationalité, en violation des principes internationaux de droits humains ».

Durant sa visite, Kerry Kennedy en compagnie des autres délégués s’est rendue dans les bateyes et a écouté des Dominicains d’origine haïtienne.

Elle s’est entretenue avec les autorités dominicaines, dont le vice-président Rafael Alburqueque, le président de la Junte Centrale Electorale (JCE) et Julio César Castaños Guzmán.

Le ministre du Travail Max Puig, le ministre de l’Intérieur Franklin Almeyda, le directeur de la Direction dominicaine de la migration et le major général Sanz Jiminian, figuraient aussi parmi les hauts dirigeants dominicains rencontrés par la fille de l’ex candidat à la présidence américaine, Robert F. Kennedy, assassiné en 1968.

Lors d’une conférence de presse le 30 juin à Santo Domingo, elle a fait part de plusieurs cas, qualifiés par elle d’« absurdes ».

Par exemple, elle a mentionné le cas d’un bracero (coupeur de canne) qui était venu en République Dominicaine, dès son plus jeune âge, comme un employé de l’État dominicain. Cependant, à la fin de sa vie, après avoir sué sang et eau dans les champs de canne, celui-ci n’a pas accès à la sécurité sociale parce que ses documents ont été saisis par les autorités dominicaines, s’est indignée Kerry Kennedy.

Elle a aussi fait état de nombreux Dominicains et Dominicaines qui, en dépit du fait d’avoir vécu toute leur vie en République Dominicaine, se lèvent chaque jour avec la peur d’être déportés vers Haïti, un pays où ils n’ont aucune attache.

Elle a exposé les cas de petits-fils et petites-filles de migrants haïtiens qui ont beaucoup travaillé à l’école, mais ne peuvent poursuivre leurs études universitaires faute de documents d’identité, quoique que ces écoliers et leurs parents soient nés et aient grandi dans ce pays, a-t-elle précisé.

Elle a présenté le cas d’une jeune mère contrainte par un officier d’état civil à nier la paternité [au père] de son bébé pour que l’enfant ait accès à la nationalité dominicaine.

« Mais la vraie cause de leur misère, a-t-elle soutenu, consiste en l’incapacité du gouvernement dominicain à reconnaitre effectivement leurs droits en tant que Dominicains, en leur niant l’accès à des services de base et à la jouissance de leurs droits, y inclus l’accès à la santé, à l’éducation, à la sécurité sociale… ».

Par ailleurs, elle a invité les autorités dominicaines à travailler de concert avec Sonia Pierre et avec les autres défenseurs de droits humains dans le pays voisin pour trouver des solutions aux multiples violations de droits humains des Dominicains d’origine haïtienne.

« le statut migratoire d’une personne ne se transmet pas à ses enfants »

Le Centre Robert F. Kennedy pour la Justice et les Droits Humains, Refugees International et le Centre pour la Justice et le Droit International avaient adressé, en date du 14 avril 2009, une lettre aux autorités dominicaines pour manifester leur inquiétude au sujet de l’article 16 de la nouvelle constitution dominicaine en débat au parlement.

Dans cette lettre, les 3 organisations basées aux États-Unis d’Amérique ont attiré l’attention des autorités sur deux concepts utilisés dans l’article pour définir la nationalité dominicaine qui seraient en contradiction avec les instruments internationaux de droits humains : « résidence illégale » et « en transit ».

Se basant sur la sentence émise le 28 novembre 2007 par la Cour Interaméricaine des Droits Humains (Cidh) sur le cas des fillettes Yean et Bosico (sentence qui fait jurisprudence en la matière), les organisations ont rappelé aux autorités dominicaines que « le statut migratoire d’une personne ne peut être condition pour l’octroi par l’État de la nationalité, puisque sa qualité migratoire ne peut constituer sous aucune forme une justification pour la priver du droit à la nationalité et de la jouissance et de l’exercice de ses droits ».

« Le statut migratoire d’une personne ne se transmet pas à ses enfants », ont-elles argumenté dans la missive adressée au président de la République Leonel Fernández Reyna, au président du Sénat Reinaldo Pared Pérez, au président de la Chambre des Députés Julio César Valentín et au président de la Junte Centrale Électorale (JCE), Julio César Castaños Guzmán.

Concernant l’expression « en transit », elles ont évoqué l’exigence faite par les instruments internationaux de droits humains à tout État de définir ce concept en « respectant une limite temporelle raisonnable ».

Un État ne peut pas considérer comme en transit « un étranger qui a développé des liens dans cet État », ont soutenu les organisations. [wel gp apr 09/07/2009 17 :00]