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Bicentenaire d’Haïti, restitution et conjoncture

Interview avec Christophe Wargny

Par Gotson Pierre

P-au-P., 3 nov. 03 [AlterPresse] --- Il faudrait imaginer une institution neutre pour recevoir l’argent français, dans le cas d’une éventuelle restitution de la rançon payée par Haïti à la France à partir de 1825 pour la reconnaissance de son indépendance, opine l’historien français Christophe Wargny, dans une interview accordée à AlterPresse.

Des questions liées à la restitution, à la célébration du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti en 2004 et à l’état actuel du régime politique haïtien sont passées au crible lors de cette interview effectuée après l’audition de Cristophe Wargny par la Commission française d’étude des relations franco-haïtiennes, à la mi-octobre dernier.

Devant cette Commission, présidée par le philosophe français Régis Debray, Christophe Wargny dit avoir défendu le point de vue de la restitution de 90 millions d’anciens Francs, versés à la France par Haïti au cours de la première moitié du 19ème siècle. « C’est une somme due par la France à Haïti. Il faut discuter des formes de remboursement ».

« Cela ne va évidemment pas résoudre les problèmes d’Haïti », poursuit l’historien français. « Mais c’est un problème de fond », dit-il, estimant cependant que la restitution ne pourrait être faite au gouvernement haïtien actuel. Les méthodes de gestion de cet Exécutif sont telles « qu’il est évidemment tout-à -fait exclu d’en faire le redistributeur au niveau d’Haïti ».

Christophe Wargny se dit en faveur « d’une institution neutre, qui disposerait de l’argent français (Â…) et qui verrait les meilleures solutions pour que l’argent aille réellement à des investissements et sans qu’il en soit soustrait beaucoup au passage ».

Interrogé sur les échos en France du colloque organisé récemment en Haïti par le gouvernement haïtien avec la participation de quelques intellectuels étrangers sur restitution et développement, Christophe Wargny a fait savoir qu’aucune résonance n’a été observée.

L’intellectuel français a confié que lui et plusieurs autres de ses pairs ont refusé de prendre part à ce colloque par peur d’être « instrumentalisés » par le pouvoir. « Beaucoup ont craint que cela soit présenté par les médias d’Etat comme des intellectuels qui soutiennent le président Aristide. Ce qui n’est pas le cas (Â…) ».

A propos de la célébration du bicentenaire, Christope Wargny affirme se trouver sur la même longueur d’ondes que les mouvements alternatifs haïtiens qui estiment « qu’il n’y a rien à fêter » et qu’il faut « profiter de l’évènement pour s’interroger sur une succession d’échecs ».

Christophe Wargny déclare aussi se reconnaître pour l’essentiel dans les critiques qui sont formulées par plus d’une cinquantaine d’intellectuels haïtiens lors d’une pétition rendue publique au début du mois d’octobre. « Sûrement ces intellectuels ont raison d’évoquer la façon dont le bicentenaire pourrait être instrumentalisé ». Mais, pense Wargny, « ils ne vont pas assez loin dans la nécessité de réformes et de réflexion ».

Du coté de la France, il y aura quelques initiatives de célébration, « finalement assez peu », a noté Christophe Wargny dans cette interview accordée à AlterPresse. Même la commission officielle française d’étude des relations franco-haïtiennes ne retient que très peu l’attention.

« On avait organisé l’occultation de toute l’histoire d’Haïti depuis 2 siècles et surtout de son indépendance et j’ai bien l’impression que les mauvaises habitudes étant prises, cette Commission risque de travailler dans une grande indifférence », commente l’historien français.

Christophe Wargny souhaite que les conclusions de cette Commission, qui sont prévues pour la fin janvier 2004, aient un effet déclencheur d’évènements nouveaux.

Le peu d’enthousiasme constaté par rapport à la célébration en Europe du bicentenaire d’Haïti est peut-être lié également à « la façon dont l’exécutif se comporte en Haïti », estime Christophe Wargny, qui désapprouve une nouvelle fois les méthodes de l’administration du Président Jean Bertrand Aristide.

Wargny, qui a travaillé aux cotés d’Aristide jusqu’en 1996, parle d’une « dérive de plus en plus grave qui place le régime sans aucun rapport avec celui que j’ai soutenu lors de la première mandature d’Aristide (1991) ». Il note une tendance a un « despotisme mal éclairé (Â…) insupportable a la fois aux Haïtiens et a ceux qui ont été les supporters d’un formidable espoir, il y a une douzaine d’années ».

Christophe Wargny rappelle avoir pris formellement ses distances avec Aristide à partir de l’an 2000. « Je pense profiter du bicentenaire, là où on m’invite, pour dire très franchement ce que je pense d’une dérive implacable, définitive et non réparable », ajoute-t-il.

Interrogé sur les caractéristiques de cette dérive, l’intellectuel français a relevé que les libertés fondamentales ne sont « absolument » plus respectées. « Il y a peut-être encore une liberté d’expression, mais le problème est de gérer l’après expression et c’est très difficile. On a une dérive policière, une police ultra politisée a laquelle s’additionnent des bandes arméesÂ… ceci rappelle d’autres régimes haïtiens. La priorité aux pauvres est devenue une extension démesurée de la pauvreté dans le pays ».

Cela dit, Christophe Wargny affirme ne pas vouloir « exonérer » la communauté internationale, notamment les Etats-Unis. Quand ceux qui soutiennent les réformes au niveau de la justice et de la police « multiplient les exceptions, font sortir de prison des coupables, volent des archives, refusent des extraditions nécessaires, ils donnent eux-mêmes une image de la démocratie tout a fait dévoyée, dans laquelle ensuite le pouvoir peut s’engouffrer facilement ». [gp apr 03/11/2003 10:15]