Pour la Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (Papda) le salaire minimum à 200 gourdes est une réponse, bien qu’encore insuffisante, pour amenuiser les conséquences néfastes de la crise mondiale actuelle, et non un facteur d’accentuation de ses impacts négatifs.
P-au-P, 26 juin 2009 [AlterPresse]--- La Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (Papda) appelle les chambres des représentantes et représentants nationaux à rejeter la proposition présidentielle de 125.00 gourdes et à résister au chantage des industries d’Haïti, dans une conférence de presse ce 26 juin 2009, à laquelle a assisté l’agence en ligne AlterPresse.
Depuis une semaine, suite à une rencontre avec des directeurs de médias, le président René Garcia Préval a entamé une campagne tous azimuts, en achetant des espaces dans plusieurs médias de la capitale, pour faire valoir ses arguments contre la loi d’augmentation sur le salaire minimum, votée par les deux chambres au début de 2009.
Cette campagne présidentielle se tient dans un contexte de revendications incessantes d’étudiants de l’Université d’État d’Haïti (Ueh) et de mise en circulation d’une pétition en faveur de la loi d’augmentation du salaire minimum à 200.00 gourdes, que n’acceptent pas des responsables d’industries d’assemblage arguant de manque à gagner et de pertes d’emplois pour le pays caribéen.
Un des arguments du président de la république, face aux assemblées des sénateurs et députés, qui explique ses objections au salaire minimum à 200.00 gourdes (environ 5 dollars américains ; US $ 1.00 = 41.50 aujourd’hui) est l’effet déjà pesant de la crise mondiale sur les activités des entreprises et la croissance économique.
« C’est justement la nature de cette crise qui devrait pousser les investissements dans le secteur social, car cette crise frappe essentiellement les pays pauvres et, parmi leurs populations, les plus démunis. La Banque mondiale reconnaît que la pauvreté et les inégalités sont des obstacles au développement. Il faut diminuer les inégalités de revenus avec des initiatives cohérentes et solides. Les 200.00 gourdes sont un moyen pour y parvenir, même si ce n’est pas assez », rétorque le secrétaire exécutif de la Papda, Camille Chalmers.
Pour répondre à la diminution du pouvoir d’achat des citoyennes et citoyens haïtiens, en tenant compte de l’évolution de l’inflation, le salaire minimum raisonnable devrait être compris entre 500.00 et 600.00 gourdes, relève la Papda.
Chantage sur l’emploi
Le second argument présidentiel touche à l’impact négatif, qu’aurait sur l’emploi la promulgation de la loi sur le salaire minimum le fixant à 200.00 gourdes.
Pour Camille Chalmers, « il ne faut pas laisser faire le chantage. A chaque tentative de rehausser le salaire minimum, nous avons eu droit au même discours », sans que les pertes massives d’emploi, agitées lors des débats, n’aient été observées.
Il ne faudrait pas, non plus, faire l’amalgame entre l’impact du salaire minimum et les effets de la crise actuelle.
Dans le bassin des Caraïbes, avec un salaire minimum à 200.00 gourdes, Haïti reste compétitive en terme de coût de main d’œuvre.
« Depuis 2003, avec un salaire minimum de 70.00 gourdes, de loin le plus bas de toute la région, avons-nous vu affluer les investissements dans la sous-traitance ?", interroge le secrétaire exécutif de la Papda, rappelant les conditions exceptionnelles d’accès au marché américain, offertes aux investisseurs dans le cadre de la loi Hope.
« Non, parce que les salaires ne sont pas les seules conditions à réunir pour attirer les investisseurs. Les infrastructures sont une condition parmi les plus importantes en ce sens. Or, en Haïti, les investisseurs peuvent être facilement refroidis par le déficit à ce niveau, des routes, des ports, aéroports, de l’électricité,... ».
Il faut cependant être vigilant quant aux retombées sur les conditions de travail, que pourrait avoir la promulgation de la loi, si elle n’est pas accompagnée de mécanismes d’inspection du travail.
Car, on a pu observer, par le passé, une réactions des entreprises qui augmentaient proportionnellement la charge de travail pour un salaire supérieur.
La Papda rappelle à ce titre ce qui s’était déroulé en 1995, lors du relèvement du salaire minimum à 36.00 gourdes : dans une entreprise de confection, les ouvrières et ouvriers devaient alors fabriquer 250 douzaines de pantalons pour 36.00 gourdes au lieu de 70 douzaines pour 15.00 gourdes précédemment.
Pour pallier à cet effet pervers, la Papda appelle à la mise en place de mécanismes d’inspection du travail, effectifs, par le ministère des affaires sociales.
Elle demande aussi une prise de responsabilité de l’État pour augmenter le pouvoir d’achat des travailleuses et travailleurs, en contrôlant les frais de scolarité et en menant des politiques de réduction du coût du transport.
Alternative durable
« Il faut prendre conscience que les industries de la sous-traitance ne peuvent pas résoudre la crise de l’emploi à long terme", ajoute Camille Chalmers.
« Les créations d’emplois dans ce secteur restent marginales, et ces emplois très volatiles. Les zones franches ne sont pas des moteurs de croissance ni d’industrialisation, elles fonctionnent selon une logique d’enclave ».
Ce dont le secteur de l’emploi aurait besoin pour connaître un changement structurel, ce sont « des investissements productifs dans l’agriculture et l’appui à une production nationale pour le marché interne. Tous les pays performants au niveau de leurs exportations ont d’abord résolu leurs problèmes internes, et ont mis en place de véritables réformes agraires. C’est là que des emplois durables seront créés », illustre Camille Chalmers, avant de rappeler l’existence de filières porteuses en Haïti : la pêche, l’élevage, la filière d’exportation de cabrits en Jamaïque, les tubercules (ignames, manioc,...), les fruits (mangues et transformation de fruits), l’artisanat. [mm rc apr 26/06/2009 16:00]