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Halte aux hordes lavalassiennes, pour que vive la vie !

Note d’information et Prise de position de la Coordination Nationale de Plaidoyer pour les Droits des Femmes (CONAP), suite aux agressions subies de la part de partisans du gouvernement lors d’un sit-in à Port-au-Prince, le 29 octobre 2003

31 octobre 2003

Les évènement du mercredi 29 octobre 2003

Sous l’instigation de la CONAP, à laquelle s’étaient associées diverses organisations de la société civile, un sit-in silencieux, pacifique, s’est tenu à Port-au-Prince le 29 octobre, suite aux funérailles de Danielle Lustin, lâchement assassinée à son domicile par des bandits armés. Comme annoncé et convenu, des citoyens et citoyennes (environ 150 personnes, en majorité des femmes) se sont rassemblés-es, en silence, sur le parvis du Palais de Justice dès 11h00. Le sit-in, prévu de 11H30 à 1H30, se voulait une protestation citoyenne face à toutes ces morts injustes et gratuites, particulièrement enregistrées ces dernières semaines. Le Palais de Justice, situé non loin du Palais National, avait été retenu comme lieu hautement symbolique de la justice haïtienne. Le sit-in ne nuisait pas au déroulement des activités de cette institution, puisque un passage avait été aménagé pour permettre les allées et venues.

Vers 12H30, un premier groupe d’une dizaine de chimères (mercenaires du pouvoir Lavalas/Lavalasse), dont des femmes, a tenté de nous intimider. Ce petit groupe a d’abord pénétré dans l’enceinte du Palais de Justice et s’est posté derrière les manifestants-es, en entonnant des chants à la gloire de M. Jean-Bertrand Aristide et en lançant des slogans hostiles aux protestataires et des insultes ordurières. Face à notre silence opposé à leurs invectives et à notre détermination à poursuivre notre protestation silencieuse, ce groupe est parti chercher des renforts. Les chimères sont revenues en force. Ce deuxième contingent est arrivé à bord de différents véhicules : un pick-up blanc des services de l’Etat coiffé d’un gyrophare ; une camionnette de couleur blanche de la Télévision Nationale d’Haïti (TNH) également identifiée par des autocollants de propagande sur 2004 ; des motocyclettes. Ce second groupe comportait environ une trentaine de personnes, vociférant, proférant des menaces (de mort, de viol), clamant haut et fort leur accointance avec Lavalas et indexant nommément les féministes et leurs organisations. Renforcés, les chimères sont alors devenus bien plus agressifs. De la parole, ils sont passés aux actes. Ils nous ont attaqué en nous lançant des objets divers : pierres, mangues vertes, noix de coco, bouteilles vides, bouteilles contenant de l’urine et un liquide brûlant la peau et les vêtements. Plusieurs manifestants-es ont été touchés-es.

La Police Nationale d’Haïti (PNH) avait dûment été avisée de la tenue du sit-in. Des correspondances, dont réception a été accusée, ont été adressées à la Direction Générale de la PNH, à la Direction Départementale de l’Ouest et au Commissariat du Champ de Mars. La police a cependant brillé par son absence. Il n’y avait que les policiers-ères affectés-es au service du Palais de Justice. Ces agents-es ont tenté de contenir les chimères en gardant l’entrée. Le Doyen du tribunal a demandé à parler aux organisatrices du sit-in. Deux représentantes de la CONAP ont rencontré le Doyen et le Commissaire du Gouvernement ce, en présence de journalistes (Radio Quisquéya et SAKS). Les autorités judiciaires nous ont demandé de mettre fin au sit-in et de partir. Nous avons déclaré qu’il était hors de question de nous livrer à la fureur des hordes lavalasiennes et nous avons demandé, en vain, à ces autorités d’assumer leurs responsabilités en avisant la police. Pendant ce temps, les chimères ont lancé une autre offensive et les manifestants-es ont du se réfugier à l’intérieur du Palais de Justice ; d’abord dans le hall d’entrée et par après, suite à l’envahissement par les chimères de cet espace, dans des bureaux. Au cours de ces échauffourées, la cassette d’enregistrement de Télé Max a été saisie par les chimères. Nous avons été tenus-es en otage jusqu’aux environs de 4H00.

Suite à l’alerte donnée (par la presse, les Organisations de Défense des Droits Humains, d’autres organisations de la société civile et des citoyens-nes), des représentants-es de l’OEA (Organisation des Etats Américains) sont venus sur place et des forces de police sont finalement intervenues. Nous avons alors organisé l’évacuation des protestataires dans différents véhicules ; ceux des organisations de la société civile, des manifestants-es et des personnes venues témoigner leur solidarité.

Alors que nous étions prises en otage, nous avons été avisées du fait qu’un groupe de chimères, à bord d’un pick-up de couleur blanche, s’était rendu au local de Enfofanm et avait violemment frappé la barrière et proféré des menaces. D’autres individus, à bord d’un véhicule 4 x 4 de couleur grise, les ont rejoints plus tard pour poursuivre les intimidations. Ces individus sont revenus à différentes reprises, notamment vers 8H00 du soir.

Notre position

Ce mercredi 29 octobre les chimères du gouvernement Lavalas s’en sont pris à différents groupes de citoyens-nes qui manifestaient pacifiquement à Port-au-Prince. Ces événements attestent, encore une énième fois, de la volonté de ce gouvernement de bâillonner les citoyens-nes qui osent exprimer publiquement leur refus de la situation actuelle, notamment l’insécurité et les injustices multiples. Lavalas n’hésite pas, un seul instant, à utiliser sa force de répression pour terroriser et brimer des civils pacifiques et mettre en péril leur vie. Lavalas n’a aucun scrupule à ôter la vie, comme c’est notamment le cas depuis plusieurs semaines à Raboteau aux Gonaïves, à Saint Marc et au Cap. A Raboteau, la population civile est attaquée sur tous les fronts. Des domiciles sont incendiés, en dépit de la présence de leurs occupants-es. Ainsi, un bébé de quinze jours a péri dans les flammes.

Lavalas voudrait réduire en cendre toute personne/tout groupe qui ose critiquer ouvertement sa gestion et ses pratiques ; qui ne lui fait pas allégeance ; qui ose prétendre que d’autres horizons sont possibles pour Haïti, sans cette tyrannie. Lavalas ne cesse de proclamer sa popularité absolue. Mais, ce pouvoir se sent menacé chaque fois que des groupes de citoyens-nes, qu’il ne contrôle pas, manifestent et dénoncent l’inacceptable. Lavalas se sent menacé par les média et les attaque systématiquement. Lavalas a de nouveau lâché ses hordes en leur réitérant ses garanties d’impunité.

Face aux brigandages du gouvernement Lavalas, nous le déclarons hors-la-loi. Oui, est hors-la-loi un gouvernement qui extorque, terrorise, viole et tue les populations. Oui, est hors-la-loi un gouvernement qui se montre irresponsable et tyrannique. Oui, est hors-la-loi un gouvernement qui ne sert et ne protège que ses partisans-es et ses sbires. Les communautés internationales doivent non seulement prendre acte de ces agissements, mais également et surtout assumer, sans ambiguïté, leurs responsabilités et cesser d’apporter leur soutien au gouvernement. Nous ne réclamons pas le droit d’être évacuées, ni le droit à l’asile politique. Ce pour quoi nous nous battons, c’est le droit d’exercer nos libertés citoyennes, en tout temps et publiquement, conformément aux prescrits constitutionnels. Nous exigeons le respect intégral des Droits de la Personne, la jouissance des libertés publiques. Nous réclamons que l’Office de Protection du/de la Citoyen-ne (OPC) remplisse sa mission, en faisant diligence d’une part, pour s’enquérir, notamment auprès de la TNH, sur l’implication des véhicules des institutions étatiques dans la répression et, d’autre part, pour exiger l’arrestation et la sanction des chimères. Nous tenons le gouvernement Lavalas responsable de toute violence dont pourrait pâtir les organisations membres de la CONAP et de toute attaque contre leurs locaux ; en particulier celui de Enfofanm, qui abrite l’unique Centre de Documentation spécialisé en littérature et actualité féministe et est dépositaire du matrimoine du Mouvement des Femmes Haïtiennes.

La répression ne nous fera ni taire, ni nous terrer. Nous sommes des militantes féministes, héritières d’une longue tradition de lutte et de résistance, et nous saurons survivre aux torrents rageurs de Lavalas. Comme tout torrent, Lavalas passera, c’est sa destinée. « Pa wè, pa tande, pa pale, se pa yon solisyon ! / Ne pas voir, ne pas entendre, ne rien dire, n’est pas une solution ! ».

Port-au-Prince, le 30 octobre 2003

Pour la CONAP

Danièle Magloire (Enfofanm),

Yolette Mengual (Fanm Yo La),

Yolette Jeanty (Kay Fanm),

Olga Benoit (SOFA)