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Faire prendre conscience de la violence à Port-au-Prince

Lettre ouverte de la Commission Episcopale nationale Justice et Paix à Calixte Delatour, Ministre de la Justice, Evens Pierre Sainturné, Inspecteur Général en Chef de la Police, Me Josué Pierre-Louis, Commissaire du Gouvernement près du Parquet du Tribunal Civil de Port-au-Prince, Roody Berthomieux, Directeur Départemental de l’Ouest de la Police

20 octobre 2003

La Commission Episcopale nationale Justice et Paix vous salue respectueusement. Avec cette lettre ouverte, elle vous présente un autre rapport sur la violence dans la zone métropolitaine du mois de mai au mois d’août 2003. Comme pour les autres rapports, nous choisissons un critère simple : les gens qui sont victimes d’actes de violence dans la capitale. Nous avons consulté la presse, nous avons entendu des témoins, nous avons fait nos propres observations. Nous reconnaissons les limites de ce genre de rapports, parce qu’il est impossible de repérer tous les cas de violence qui se produisent. Notre seul objectif avec ce travail est de faire prendre conscience par les autorités et les citoyens de la violence comme réalité dans la société ; elle est un facteur réel qui empêche la coexistence pacifique dans la société.

Ainsi, au mois de mai 2003, nous avons compté 33 cas de personnes qui ont perdu la vie de façon violente dans la zone métropolitaine.

Au mois de juin, il y en avait 23. Mais, pour le seul mois de juin, on a signalé plusieurs cas d’enlèvements ou disparitions : 11 en total.

Au mois de juillet 2003, on comptait 27 cas de mort violente.

Au mois d’août 2003, 19 cas.

Quelques cas attirent notre attention.

Plusieurs policiers ont perdu la vie de manière violente ; six au mois de mai, un au mois de juin et un autre au mois de juillet. Nous ne connaissons pas le nombre de policiers blessés dans cette époque. Nous condamnons les attentats sur la police, tout comme les crimes et attentats dont d’autres personnes sont victimes, n’importe qui ou quoi elles sont. Quelques policiers sont morts dans l’exercice de leur devoir, mais pour d’autres, il s’agirait d’actes de vengeance ou de règlements de comptes.

D’autre part, la police semble impliqué directement dans la mort de 15 personnes, et dans un nombre de cas il s’agirait de civils armés liés à la police. Nous constatons que des policiers manquent de professionnalisme quand ils sont à la recherche de présumés coupables ou qu’ils entrent dans la spirale de la vengeance. Ainsi, 2 arrestations faites dans la semaine du 30 juin 2003 semblent des enlèvements, quand les policiers déclarent aux familles : Il ne faut plus rechercher ces jeunes, ils ne sont plus là . Dès lors, selon nos informations, les familles n’ont plus de leurs nouvelles. Un cas similaire est celui des 4 jeunes qui sont disparus à Delmas, le lundi 16 juin 2003 ; on ne connaît pas le sort de tous ces jeunes. La tâche de la police est de protéger et de servir. Elle doit maîtriser l’usage fait de la force selon les limites tracées par la loi, et par la loi seule. Elle doit respecter la dignité des personnes dans toute circonstance. D’autres interventions toujours paraissent inacceptables : comme ce lundi 19 mai 2003, à Cité Soleil, et la première semaine du mois de juin 2003 à la Croix des Missions, quand un jeune est mort entre ses mains et une fille de 10 ans a été atteinte par une balle. Le vendredi 20 juin 2003 dans la rue Silvio Cator, un policier aurait exécuté une personne (accusée de vol) en public. Une autre exécution sommaire semble être le cas de Guerno Ducheine, le lundi 23 juin 2003.

La Cité Soleil reste un lieu de violence. Au mois de mai 2003, nous comptons 9 victimes ; ceci représente plus de 25 % des cas enregistrés au de mai, et 4 au mois de juin. En ce qui concerne les personnes assassinées à la Cité lors de la visite du Groupe des 184, les sources gouvernementales ont fait état de trois morts, sans pour autant publier les noms des victimes. Les informations recueillies ne nous permettent pas à conclure à la mort de personnes lors de cet événement.

Le cas de Alix Michel continue à bouleverser plus d’un. Un père a donné la mort à ses enfants, parce qu’il ne voyait plus d’avenir pour eux. Même si ce genre d’événements bien tristes semble l’exception dans la société haïtienne, la misère et la faim tuent directement les enfants de ce peuple. La misère, la faim, le chômage, les revenus dérisoires, le manque d’accès aux soins de santé, ce sont autant de formes de violence réelle, difficile à mesurer, mais dont nous sommes les témoins chaque jour. Il est hautement temps que les autorités de ce pays se responsabilisent. Pour faire cela, elles doivent se savoir les garants du bien commun, et pas les gérants des intérêts d’un parti politique. La seule raison qui pourrait justifier leur présence à la tête de l’état est le bien commun, ce qui implique : le respect de la dignité des personnes, et la création de conditions qui permettent de vivre dans la paix et la sécurité.

Les accidents mortels le 7 juin 2003 à Port-au-Prince et le 30 juin 2003 à Pétion-ville représentent une autre forme de violence. Relativement peu de gens meurent dans des accidents de trafic dans la zone métropolitaine. La situation est bien différente sur nos routes nationales. Exemple : le dimanche 6 juillet, un camion a chaviré près de Bainet, 6 personnes sont mortes sur-le-champ ; il y avait 14 blessés graves, dont certains sont morts par la suite. La presse n’a pas mentionné ce cas. D’autres accidents ont eu lieu ces derniers temps au Plateau Central, comme celui-ci près de Belladère, le 3 juillet 2003.

Le 29 juin un nouveau-né a disparu de l’hôpital général. Ceci évoque le souvenir de la famille Myrtil dont l’enfant a été enlevé, il y a quelques mois. Des personnes à l’hôpital admettent que ce genre de cas n’est pas inhabituel. Quelle est l’autorité qui doit veiller à ce que ces cas ne se produisent pas ?

Le seul chemin pour combattre la violence est rendre les auteurs responsables de leurs actes. C’est cela combattre l’impunité. Ceci relève de la responsabilité des autorités du pays. Dans la position où vous vous trouvez, Messiers et Mesdames les autorités, vous êtes responsables de l’organisation d’un Etat et de la sauvegarde du bien commun d’un pays. Nous ne vous demandons aucune faveur ou privilège. Nous vous exhortons à prendre votre responsabilité et à accomplir votre devoir.

Pour le Comité Directeur national,

P. Jean Hanssens, Directeur

Lettre accompagnant un rapport d’observation de Justice et Paix