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Haiti-Cinéma : Raoul Peck relève un double défi

Quand la réalité rejoint la fiction

Interview

Par Maude Malengrez

Citadelle Henri (Milot), 19 mai 09 [AlterPresse] --- Le célèbre réalisateur haïtien Raoul Peck estime avoir relevé un double défi, au moment de mettre fin au tournage à la Citadelle Henri de son prochain film, intitulé provisoirement « Moloch tropical ».

Le premier défi était celui de faire un film sans concession face au pouvoir de l’argent qui ronge la machine de production cinématographique, confie à AlterPresse le réalisateur, qui dirige sa propre compagnie de production Velvet film, enregistrée en Haïti.

« C’est une tentative de montrer qu’on peut avoir d’autres modèles économiques tout en faisant des films de qualité et de valeur internationale. Ce film, on le finance à au moins un tiers de ce qu’il aurait dû coûter. On a pu négocier des accords avec les loueurs d’équipements comme Panavision. Cela donne une formidable liberté à un auteur, à un réalisateur ».

Le film est coproduit par la Chaîne Arte France et le Fonds Sud Cinéma du Centre national de cinématographie en France.

« J’ai envie de me faire plaisir, d’aller au bout des choses, d’avoir une esthétique et un parti pris personnel très forts, sans avoir trois ou quatre financiers qui au bout du compte n’en ont rien à faire de ce que vous voulez mais veulent simplement un produit commercial qui rapporte de l’argent. Si on se laisse enfermer là-dedans, c’est la fin d’un certain cinéma. »

L’autre défi était de réaliser le tournage en Haïti, qui plus est sur cette question délicate de la gestion du pouvoir, poursuit Raoul Peck.

« Ce n’est pas simple en Haïti. C’est un pays que je connais très bien, bien sûr, mais qui me surprend toujours par sa fragilité, vu sa réticence à des choses même lorsqu’elles sont dans son avantage, car il a tellement été trompé, abusé, ce qui mène à quelque chose de paradoxal : même l’expérience concrète n’est pas vue comme telle ».

Démonstration par l’absurde : au début du tournage, la sénatrice du Nord Céméphise Gilles, dénonçait sur les ondes de la station privée Radio Kyskeya qu’elle se sent scandalisée « par le fait de voir le monument historique transformé en hôtel et profané par ‘des étrangers qui y accrochent leurs sous-vêtements’ ».

Dans une longue réponse publiée sur le site de la même radio, Raoul Peck démontait ses arguments et intention et exposait les retombées d’une telle entreprise pour les gens de Milot, village accroché aux mornes qui entourent la citadelle, jusqu’au Cap.

Les dépenses engagées pour le film à la fin du tournage sont estimées à 600.000 USD.

« En gros, cet argent a servi à payer des salaires pour des centaines d’ouvriers, une trentaine de menuisiers et de charpentiers, plus de 5000 salaires de porteurs (hommes, femmes et enfants), de couturières, d’électriciens, d’ingénieurs, de médecins, de chauffeurs, de boulangers, de sculpteurs,` de cuisinières, de femmes de ménages, de repasseuses, de blanchisseuses, de balayeurs, de gardiens, d’agents de sécurité, etc. ».

Louis, homme à tout faire du tournage, est quand à lui satisfait : « grâce à ce tournage, je vais pouvoir continuer la construction de ma maison, et en plus j’aurai presque appris à le faire moi-même ici ».

Si le but de Raoul Peck n’est évidemment pas de former maçons et ébénistes, le renforcement des acteurs liés au cinéma dans le pays lui tient à cœur : « je veux également développer des capacités de productions, de travail, former des gens, au niveau des techniciens comme des acteurs, de la logistique, de la régie ». [mm gp apr 19/05/2009 11 :00]