Les organisations féministes haïtiennes réalisent un travail conséquent dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes. La situation reste alarmante mais l’augmentation du nombre de cas rapportés est avant tout le reflet d’une avancée considérable : l’effritement du silence autour de cette question taboue qui touche en majorité les victimes dans leur milieu familial et le voisinage.
Par Maude Malengrez et Ronald Colbert
P-au-P, 06 mars 09 [AlterPresse] --- Les organisations, qui militent en faveur de la cause des femmes en Haïti, se félicitent de la détermination de diverses couches de la population, y compris les victimes et les personnes affectées par la violence, à dépasser la peur et les craintes pour rompre le silence, d’après les données recueillies dans le cadre d’une recherche de l’agence en ligne AlterPresse à l’occasion du 8 mars 2009, journée internationale des femmes.
Pour l’année 2009, elles souhaitent un renforcement de la mobilisation et des actions institutionnelles contre les agresseurs de fillettes, de filles et de femmes
"La grande évolution, ce sont les résultats de la sensibilisation massive menée par les organisations féministes haïtiennes, avec un nombre de plaintes plus élevé », témoigne Magalie Marcelin, porte-parole de Kay Fanm (Maison des femmes).
« Nous assistons là à l’augmentation des dénonciations plus qu’à celle des actes de violence. Les femmes ne demeurent plus dans le silence comme auparavant, bien qu’une très grande majorité d’entre elles soit encore enfermée dans la peur et l’aliénation", note-t-elle.
Entre janvier et décembre 2008, Kay Fanm a accompagné de nombreuses victimes (fillettes, adolescentes, femmes) sur les 1,627 cas transmis à ses bureaux. Ces cas concernaient la violence conjugale et d’autres types (divers) d’agressions sexuelles, pour lesquels un encadrement psychologique a été apporté par les travailleuses sociales de l’organisation, en plus (parfois) du service médical requis selon les circonstances.
AlterPresse a assisté, à la fin de décembre 2008, au processus de démarches suivies en ce qui concerne une fillette de 9 ans, violée par un homme de 33 ans, concubin d’une parente l’ayant accueillie après les inondations meurtrières de l’automne 2008 aux Gonaïves (Artibonite / Nord) où elle résidait.
Cette fillette, qui a bénéficié d’une assistance médicale auprès d’une gynécologue de la place, a été une nouvelle fois victime dans sa chair, non pas par les catastrophes naturelles, mais par la violence d’un homme. La famille de ce dernier, qui a été appréhendé par la police nationale, avait commencé à menacer sérieusement la concubine. Aidée de ses proches, celle-ci, à la suite du viol de la fillette, a décidé d’abandonner la maison où elle vivait, mais aussi et surtout de porter ce cas de viol devant la justice.
De son côté, la Solidarite fanm ayisyen (Sofa) a répertorié, d’après les chiffres disponibles pour l’année 2008, un nombre de 1,430 cas de violences (psychologique, économique, physique et sexuelle) dans les 21 centres douvanjou de son réseau, contre 742 en 2006.
La tendance, moins marquée pour les autres organisations, suit cependant le même schéma, confirmé par l’Unité de recherche et d’action médicolégale (Uramel) dans un rapport portant sur le premier semestre 2008 et réalisé dans le cadre de la Concertation nationale contre les violences faites aux femmes. [1]
Selon ce même document, le délai entre le moment du viol et la présentation à un centre d’accueil est en nette diminution depuis 2005. Alors, 45 % des cas de violences sexuelles étaient déclarés dans les 72 heures (délai maximum pour éviter la contamination par le VIH et les grossesses non désirées), pour atteindre les 80.2 % au premier semestre 2008.
"C’est le signe que les femmes prennent conscience qu’elles ne peuvent pas rester dans le silence lorsqu’elles sont victimes de violences. Elles deviennent des actrices de la lutte", remarque Olga Benoit, coordinatrice de l’axe de lutte contre les violences faites aux femmes au sein de la Sofa.
Auparavant, ces actes étaient systématiquement considérés d’ordre privé.
Mythes à démonter
Les formes les plus courantes de violences déclarées restent les violences conjugales, selon le dernier rapport de la Sofa, avec 82 % des cas pour 2008.
Aussi, " a-t-on tendance à croire que c’est le contexte de crise politique qui explique le nombre élevé des actes », relève Magalie Marcelin.
« Pourtant, c’est parce que l’on a moins honte de dire que c’est l’État qui a fait violer, que ce sont les gangs, les bandits, plutôt que de dire que c’est son père, son oncle ou son cousin. Dans les cas que l’on reçoit, il y a beaucoup plus de voisins qui violent, notamment dans les cas de mineures".
Les données recueillies par Médecins sans frontières France confirment cet état de fait, citant les domiciles et les lieux des activités domestiques comme ceux les plus fréquemment identifiés.
Selon le rapport de l’Uramel, le nombre de cas de mineures victimes de violences est à la hausse, compte tenu des chiffres récoltés pour le premier semestre 2008, comparativement à l’année 2005.
Pour Magalie Marcelin, la pauvreté économique est une des explications fondamentales à ce phénomène, avec comme conséquence une extension de la prostitution infantile.
Mais cette augmentation des cas de violences sur les mineures ne doit pas occulter celle dont souffrent les adultes, particulièrement en ce qui concerne les cas de viols.
Il s’agit là d’un mythe à déconstruire, selon lequel "les gens perçoivent généralement qu’une femme adulte ne peut pas être violée. Or, une épouse peut se faire violer par son mari, si elle n’est pas consentante au moment de l’acte », explique Magalie Marcelin.
Des avancées démontrées, des faiblesses persistantes
Les organisations sociales haïtiennes, dont certaines ne reconnaissaient pas ce problème spécifique auparavant, ont intégré la problématique à leurs actions.
Avant, "on disait que c’était un faux problème, importé du Nord, que seul le problème de la pauvreté des femmes existait", relate Magalie Marcelin.
Aujourd’hui, la situation a radicalement changé pour l’éclosion d’une multitude d’initiatives et de projets qu’il devient presque difficile de coordonner.
Les organisations féministes en Haïti demandent une plus grande responsabilisation de l’État, mais saluent le travail réalisé par le ministère à la condition féminine et aux droits des femmes, avec, pour la première fois, des programmes spécifiques.
Un plan de lutte nationale contre les violences faites aux femmes a été publié, en 2005, pour la période 2006-2011. Et de nombreuses activités de sensibilisation du personnel de santé, judiciaire et policier ont été mises en place.
"Lors des dernières assises criminelles (2008), Kay Fanm a accompagné 17 fillettes abusées sexuellement et nous avons obtenu la condamnation des 17 agresseurs », détaille Magalie Marcelin.
« Comme il n’y en avait pas du tout auparavant, ce n’est pas rien. Cependant, nous comptons plus de 1,500 cas (sur l’année 2008), et plus du tiers d’entre eux traînent dans les tiroirs des cabinets d’instruction ».
Le 11 août 2006, un décret est venu renforcer les peines en cas d’agression sexuelle.
"Nous voudrions qu’une loi cadre existe, car le décret est fragile et pourrait être changé par n’importe quel gouvernement", plaide Olga Benoit, tout en saluant des résultats considérables : avant la publication du décret, le code pénal excusait le crime commis par un mari sur sa femme pour cause d’adultère.
"On a avancé sur la sensibilisation des juges, même si la corruption constitue toujours un obstacle majeur. Il va falloir que le Ministère de la justice se penche sur les frais des avocats", ajoute, pour sa part, la porte parole de Kay Fanm.
L’obtention du certificat médical, qui fait office de preuve dans la démarche judiciaire et devrait être délivré gratuitement par le personnel médical accrédité par l’Etat et le secteur privé, est quant à lui encore trop souvent délivré après paiement par certains membres du corps médical.
"Les ressources pour accueillir et accompagner les femmes victimes de violence sexuelle sont très limitées dans le pays", remarque Olga Benoit, faisant notamment allusion à la disponibilité de kits antirétroviraux.
"L’hôpital des Gonaïves, pourtant important, n’en dispose pas", illustre-t-elle. [mm rc apr 06/03/2008 11 :00]
[1] La concertation nationale contre les violences faites aux femmes est un espace de coordination tripartite, initié en décembre 2003 et composé du Ministère à la condition féminine et aux droits des femmes (Mcfdf), du Ministère de la santé publique et de la population (Mspp) et du Ministère de la justice et de la sécurité publique (Mjsp), d’organisations de la société civile (Coordination de plaidoyer sur la cause des femmes / Konap, Uramel, Gheskio, Caritas, etc.) et d’institutions de coopération internationale (Unfpa, Unifem, Unicef, OPS/OMS, Minustah, CGF / Fonds kore Fanm, etc).
Cette concertation a mis en place des commissions techniques, chargées de l’harmonisation des procédures et des interventions, de la production d’outils standardisés, de la coordination des actions, etc.
Ces commissions travaillent respectivement sur : la collecte de données ; la prévention/sensibilisation ; la prise en charge globale et l’accompagnement des femmes victimes de violences.
En 2005 et 2007, la Commission Collecte de données a tenté de faire une compilation des données disponibles et documentées dans les institutions membres de la Concertation selon 4 axes : les grandes tendances de cas enregistrés ; les types de violences enregistrés ; la proportion des cas de violences sexuelles sur les mineures et les femmes adultes ; ainsi que la proportion des cas de viols collectifs et de viols individuels. La Commission a décidé de revisiter cet exercice, dans un effort de comparer les données, en attendant que le processus de mise en œuvre d’un système harmonisé de collecte de données (utilisant les Fiches d’Enregistrement) soit complet et fonctionnel.
Le Groupe haïtien d’Etudes du syndrome de Karposi et des infections opportunistes (Gheskio), Sofa, Kay Fanm et Médecins sans frontières (France) ont documenté, depuis 2002 jusqu’au mois de juin 2008, un total de 9,190 cas de violences faites aux femmes (2002-2005 : 2,187 cas ; 2006 : 2,451 cas ; 2007 : 2,519 cas ; 1er semestre 2008 : 2,033 cas) dans 4 départements géographiques (Artibonite, Grande Anse, Ouest, Sud-Est).