Par Francis Carole et Clément Charpentier-Tity
Extrait de la Lettre du PALIMA [1]
L’Etat français fait semblant de découvrir l’impasse économique de la Martinique ou l’attribue à la crise internationale. Or, sans nier que le cataclysme financier né des subprimes ait un impact dans notre pays, ce sont surtout les fondements de l’économie coloniale départementale qui expliquent la situation actuelle, même si le passage à l’euro a accentué la cherté de la vie.
Depuis plusieurs décennies, en effet, on a assisté au développement d’une société de surconsommation fondée sur l’importation. Ce système est dominé et organisé par la caste békée qui maîtrise, en totalité ou en majorité, les centrales d’achat, la grande distribution et les principales filières de l’économie.
La position de monopole des békés, la complicité active de l’Etat français avec la "communauté", l’extrême dépendance par rapport à l’extérieur, l’absence de souveraineté alimentaire ont généré un système mafieux fondé sur la spéculation, le pressurage des consommateurs, la cherté de la vie et la précarité.
La rupture d’avec cette logique d’extraversion et de domination est une des exigences posées par le mouvement actuel comme condition indispensable pour trouver un certain niveau d’équilibre, de cohérence et de rationalité dans notre organisation sociale.
La réorientation de notre mode de développement exige de briser le monopole béké par tous les moyens, afin de construire une économie fondée sur les besoins alimentaires, matériels, sociaux, culturels et intellectuels de notre peuple.
Ce sont donc les martiniquais qui doivent être au centre de notre développement –comme acteurs- non les intérêts békés et capitalistes. Maîtriser notre développement c’est maîtriser notre présent et notre futur, et cesser de n’être qu’une clientèle captive dans les stratégies de pouvoir des autres.
Briser les exclusions
Au-delà de la cherté de la vie et de la précarité de l’emploi, les martiniquais se sentent de plus en plus exclus de leur propre société.
Cette exclusion est symbolique et politique -absence de souveraineté etc…– mais elle est aussi physique. Elle s’exprime, par exemple, dans le domaine du foncier et affecte toutes les catégories sociales.
La loi de défiscalisation de 1986 a, en effet, encouragé une spéculation foncière qui rend presque impossible l’accession des martiniquais à la propriété, tant le prix des terrains est devenu prohibitif. La technique de "vente en état futur d’achèvement" et la commercialisation des opérations immobilières, directement sur internet ou par les réseaux d’agences immobilières sur le marché européen et français, aggravent la mise à l’écart des martiniquais, accélèrent les déclassements des terres agricoles et la réduction de la surface agricole utile qui est passée de 62 000 ha en 1970 à 28 000 ha en 2005.
Ainsi, par sa politique, l’Etat français a favorisé la constitution de ghettos socio-raciaux qui s’ajoutent à l’apartheid béké, suscitant interrogations, malaise et révolte légitime.
De même, dans le domaine de l’emploi, on assiste à l’émergence de réseaux communautaristes qui favorisent l’embauche de leurs ressortissants, au détriment des jeunes martiniquais, dans un contexte déjà marqué par un taux de chômage record (plus de 21 %).
La discrimination ethnique à l’embauche constitue un fait incontestable, même si ce constat peut heurter certaines sensibilités. Mais, quand on veut guérir la maladie, il vaut toujours mieux crever l’abcès. Cela évite d’avoir à traiter des gangrènes ou à procéder à des amputations.
Aussi délicate qu’elle puisse paraître, la question du génocide par substitution doit être affrontée lucidement. Quelle paix sociale pouvons nous, en effet, prétendre construire dans une société qui exclut de plus en plus les martiniquais de leur pays ?
De quelle égalité peut-on se prévaloir lorsque, manifestement, les principaux responsables des services de l’Etat et des grandes administrations, les juges et autres ne sont pas martiniquais.
Comment expliquer et comment admettre qu’en Martinique certaines entreprises évitent d’embaucher du personnel local ?
Jusqu’à quand fermerons-nous les yeux et baisserons-nous la tête ?
[1] Parti indépendantiste