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Réforme constitutionnelle en Rép. Dominicaine : Les implications pour Haiti

En ce moment où une commission spéciale a été instituée hier (19 février 2009) par le président haïtien René Préval pour travailler sur une proposition d’amendement de la Constitution Haïtienne de 1987, il nous parait opportun d’attirer l’attention sur le processus de Réforme constitutionnelle en cours en République Dominicaine qui, une fois approuvée et mise en application, affectera sérieusement la situation de centaines de milliers de descendants d’Haïtiens nés dans le pays voisin. Quel est le contexte de cette Réforme constitutionnelle dominicaine qui entraînera de graves conséquences pour Haïti et pour les rapports entre les deux pays ? Quels sont les termes du débat autour de la nationalité dominicaine ? Quelles sont les réactions pro et contre des dispositions prévues dans cette nouvelle Loi mère dominicaine qui visent à substituer le jus sanguini au jus soli ?

Par Wooldy Edson Louidor

P-au-P., 20 fevr. 09 [AlterPresse] --- Depuis sa réélection suite aux présidentielles dominicaines du 16 mai 2008, Leonel Fernández n’a cessé d’insister sur la nécessité d’opérer une réforme dans la Loi mère dominicaine. À cet effet, il a créé une commission présidentielle chargée de faire une proposition sur la Réforme Constitutionnelle.

La proposition a été soumise en septembre 2008 au Congrès dominicain dont une branche, la Chambre des Députés, vient d’approuver le 11 février 2009 un projet de loi déclarant nécessaire ladite Réforme.

Une grande victoire pour le président Fernández, en dépit des critiques formulées par différents secteurs de la société dominicaine contre cette proposition !

Le débat autour de la nouvelle définition de la nationalité dominicaine

Le projet présidentiel de Réforme Constitutionnelle a soulevé beaucoup de débats dont l’un relatif à la nouvelle définition de la nationalité dominicaine.

L’article 16 de ce projet se référant à la nationalité dominicaine stipule dans son alinéa b : « Sont dominicaines et dominicains ceux qui sont nés sur le territoire national, à l’exception de ceux qui sont fils d’étrangers membres de légations diplomatiques et consulaires ou d’étrangers qui se trouvent en transit ou qui résident illégalement sur le territoire dominicain. »

La dernière partie de l’alinéa b se réfère explicitement aux « fils de migrants qui résident illégalement sur le territoire dominicain », dont la majorité (des centaines de milliers) est constituée de descendants de migrants haïtiens en situation irrégulière.

L’alinéa d du même article est aussi explicite : « Sont dominicains et dominicaines ceux qui sont nés sur le territoire national de pères étrangers si la législation de leur pays d’origine ne leur attribue aucune nationalité ».

C’est une référence claire à la Constitution haïtienne de 1987 qui, dans son article 11, stipule que « possède la nationalité haïtienne d’origine, tout individu né d’un père haïtien ou d’une mère haïtienne qui eux-mêmes sont nés Haïtiens et n’avaient jamais renoncé à leur nationalité au moment de la naissance ».

Dans ce cas, les descendants d’Haïtiens sont nés haïtiens, suivant la Constitution haïtienne en vigueur ; donc, ils n’ont pas droit à la nationalité dominicaine.

Des réactions pro

L’une des premières voix qui avait réalisé en République Dominicaine un plaidoyer pour la substitution du jus sanguini au jus soli, c’est l’ex président de la Junte Centrale Électorale (JCE) qui, dans son livre « La nacionalidad : su interpretación y su aplicación en la República Dominicana » mis en circulation le 21 février 2007, a expliqué que « nous sommes partisans de donner la primauté au système du jus sanguinis, si avec cela nous cherchons à fomenter ou consolider le lien juridique des dominicains avec notre pays ».

Au cours du débat sur la proposition de réforme constitutionnelle, d’autres personnalités politiques ont élevé la voix pour appuyer l’élimination du jus soli dans la nouvelle Charte dominicaine.

Par exemple, le président du Sénat, Reinaldo Pared Pérez, a toujours répondu aux critiques qui font croire que la nouvelle Constitution est une initiative présidentielle dirigée contre les immigrants haïtiens.

Selon le sénateur dominicain qui a rejeté d’un revers de main cette interprétation, la nouvelle Constitution proposerait une définition plus claire de la nationalité dominicaine, à la différence de l’actuelle Loi mère qui laisse ce point dans un hybridisme entre le jus soli et le jus sanguini.

« Je crois que ceci (le projet de Constitution) est plus précis, plus fini et je crois qu’il manquait un concept plus défini de ce qu’un Dominicain ou une Dominicaine doit être », a précisé le sénateur dominicain dans une de ses interventions.
Des réactions contre

Des organisations de défense de droits humains en République Dominicaine, telles que le Service Jésuite aux Réfugiés et Migrants (SJRM) et le Mouvement des Femmes Dominico-Haïtiennes (MUDHA), qualifient de « génocide civil » les initiatives prises par les autorités de leur pays pour dénationaliser les descendants d’Haïtiens et ainsi leur enlever tous leurs droits, principalement leur droit à vivre avec dignité en tant que personnes humaines.

Non content d’enlever aux descendants d’Haïtiens le droit à la nationalité, ce projet limite les autres droits de cette catégorie sociale, poursuivent ces organismes de défense des droits humains.

Par exemple, l’article 52 stipule que « Les Dominicains et étrangers résidents légaux dans le pays ont droit à une éducation intégrale, de qualité, permanente, en égalité de conditions et d’opportunités, sans plus de limitations que celles dérivées de leurs aptitudes, vocation et aspirations ». Et les descendants d’Haïtiens auxquels ce projet de Constitution nie la nationalité ? Idem pour les autres droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels.

Pour sa part, Rosario Espinal dénonce, dans un article publié par le quotidien Dominicain Hoy, le fait que « le projet de réforme constitutionnelle soumis au Congrès élève à la catégorie de norme constitutionnelle l’illégalité existante, en ignorant les droits des enfants d’immigrants sans papiers ».

La professeure augure que « la nouvelle constitution, en réduisant le jus soli de cette manière, va créer un apartheid dominicain, avec un grand nombre de descendants d’Haïtiens qui vivront en République Dominicaine sans jamais pouvoir jouir des droits liés à la citoyenneté ».
D’autres intellectuels dominicains considèrent que la question de la nationalité est très complexe et ne saurait être résolue par une simple réforme constitutionnelle.

Pour le sociologue Wilfrido Lozano, c’est « un problème complexe d’ordre social, économique et politique plus ample, produit aussi bien par les inégalités de développement entre les deux pays que par la précarité de l’état de droit dans notre pays et par la gestion illégale de l’immigration de la part des entrepreneurs et des buscones de tout type, même des acteurs étatiques, comme c’est le cas de militaires et bureaucrates civils ».

« Pour résoudre cette difficile affaire, il faut renforcer les institutions, veiller à l’application de la loi et à la mise en place d’un meilleur modèle de développement dans les deux pays », a préconisé l’intellectuel dominicain. [wel gp apr 20/02/09 15 :00]