Par Marie-Hélène Léotin [1]
Extrait d’un discours prononcé lors d’un meeting le 13 février 2009 à la Maison des syndicats (Fort de France)
Le 5 févriyé 2009, an mouvman de mas mété 20 000 moun an lari FDF, apré l’entersendikal lanse mo dod grèv jénéral. 5 févriyé. Le hazar ka fè, menm dat-tala, ni an grèv jénéral ki démaré an peyi-nou. 5 févriyé 1900, sété prèmié grèv jénéral ki té ka fèt an peyi-nou.
Dépi 1900, ni bon ti bwen mouvman grèv ki fèt an peyi-nou, seten épi dé épilog trajik :
8 févriyé 1900 : fiziyad o Fwanswa
9 févriyé 1923 : fiziyad Bassignac
11 févriyé 1935 : « marche de la faim » soti Monn Pito rivé FDF
14 févriyé 1974 : fiziyad Chalvet. Demen, sé 35e anivésé. An Saint-Valentin trajik ba lé ouvriyé bannann.
Poutji tou sa ka fèt an févriyé ?
Ni a la fwa le hazar épi an explikasion pou lé prèmié mouvan ki té ka konserné ouvriyé kann. Févriyé, sé sézon larékolt. A chak démaraj larékolt, dépi janvié, lé travayè té ka négosié pri tach-la, kidonk pri an jounen travay. Lè yo pa té ka rivé tonbé dako épi lé patron, févriyé té ka pran yo anba lagrèv.
FEVRIER 1900
Au lendemain de l’abolition, l’esclave n’est plus esclave, mais le maître est resté le maître sur les habitations.
La Martinique est frappée par la crise sucrière à la fin du XIXe siècle. Les exportations de sucre passent de 24 M F (1882) à 7 M F(1892). Les propriétaires décident une baisse générale des salaires, de 1 F-1 F 25 à 75 centimes. Qui dit baisse des salaires dit baisse du pouvoir d’achat des travailleurs. Dans le même temps, il y a une hausse du coût de la vie, due à une hausse des tarifs douaniers décidée par la France pour tout produit importé, alors que le Conseil général avait la possibilité auparavant de fixer lui-même les droits de douane. L’autonomie douanière a été supprimée ; c’est l’assimilation douanière. Conséquence : les prix de la morue, des harengs saurs, de la viande salée sont multipliés par deux. Le monopole commercial favorise les spéculations.
Les travailleurs de la canne ne peuvent plus tenir. La grève démarre le 5 février 1900 à Sainte-Marie. Elle s’étend rapidement. C’est la grève marchante. Au bout de trois jours, le Nord Atlantique et le centre sont touchés jusqu’au Lamentin. Lé ouvriyé té ka mandé 2 F pou an jounen travay.
Le 8 février, un groupe de 400 grévistes quitte le Robert pour se diriger vers l’usine du François. Arrivés sur la voie ferrée, à plusieurs mètres de l’usine, c’est un peloton d’exécution qui attend les ouvriers. Malgré les interventions du maire, Homère Clément, les soldats tirent sur les ouvriers : 17 morts, sans compter les blessés. Sété prèmié gran konba lé ouvriyé agrikol. Sété lé prèmié viktim adan kan lé ouvriyé.
Des sacrifices qui n’ont pas été inutiles puisque les ouvriers obtiennent une augmentation de salaire et surtout, ils prennent conscience de leur force et mettent sur pied les premiers syndicats agricoles.
FEVRIER 1923
Les ouvriers refusent les bas salaires. La région la plus touchée est le Nord Atlantique. Après deux semaines d’un mouvement extrêmement dur, 60 ouvriers quittent les hauteurs de Sainte-Marie pour se diriger vers Trinité. Arrivés à Bassignac, c’est la fusillade : deux morts, trois blessés.
FEVRIER 1935
La situation économique est encore plus grave. C’est la grande crise des années 1930. Certains usiniers envisagent une baisse des salaires. Nou ka sité Raymond Huygues Despointes, direktè lizin Sainte-Marie :
« Etant donné la situation actuelle des sucres et des rhums, il fallait absolument envisager une diminution de salaire aussitôt que possible, et, nous autres usiniers du Nord, du Galion à Basse-Pointe, avions adressé au Gouverneur une lettre par laquelle on lui faisait voir la situation et lui disait que certains d’entre nous envisagions une réduction de l’ordre de 20 à 30 % ».
Les ouvriers ne l’entendent pas de cette oreille. L’un d’eux s’exprime (article paru dans « Le Ralliement » du 22 février 1935) :
« Nous gagnions 10 F par jour en période de récolte. La récolte de 1935 va commencer. Tout demeure très cher : pain, morue, riz, rhum. Et l’on nous propose maintenant 8 F ! Que deviendrons-nous avec nos enfants ? L’an dernier, c’était déjà la grande gêne. Cette année, nous ne pourrons subsister ».
L’un des états-majors du mouvement ouvrier se situe au Morne Pitault. Le 11 février, l’arrestation de l’ouvrier Irénée Suréna pour « entrave à la liberté du travail et sabotage de matériel à l’usine de Petit Bourg » met le feu aux poudres. Les ouvriers ont le souvenir d’André Aliker, assassiné un an auparavant. Une colonne de près d’un millier de grévistes descend à FDF, devant la prison et le Palais du Gouverneur (préfecture), rue Victor Sévère. C’est ce qu’on a appelé la marche de la faim. L’intervention du maire, V. Sévère, permet d’éviter le pire. Les ouvriers obtiennent le maintien de leur salaire.
FEVRIER 74
Nous sommes devenus département français. Ce n’est plus la canne, c’est la banane. Mais les conditions de travail sont toujours aussi inhumaines : précarité de l’emploi, définition élastique des tâches, conditions d’hygiène et de sécurité quasi inexistantes, salaires de misère (29 F 55 pour une journée de travail qui peut faire 12 H ; les heures supplémentaires sont rarement payées).
La situation économique s’est aggravée après le premier choc pétrolier. On assiste à une accélération brutale de la hausse des prix. Les ouvriers, encadrés par de jeunes intellectuels appartenant à des organisations d’extrême-gauche, mettent sur pied des comités de grève. C’est à nouveau la grève qui s’étend du nord au sud. Elle a démarré le 17 janvier au Lorrain. Les ouvriers réclament 35 F 46 pour une journée de 8 H.
Après quatre semaines de grève, aucune avancée notable. Le 13 février, la commission paritaire propose 32 F au lieu des 35 F 46 réclamés par les ouvriers. La poursuite de la grève est décidée. Le 14 février, un groupe d’ouvriers qui a participé aux négociations de la veille, passe d’habitations en habitations pour expliquer la nécessité de continuer la grève. Ils ont quitté Charpentier, à Sainte-Marie, et remontent vers le nord. Arrivés sur le plateau de Chalvet, au milieu d’un champ d’ananas, ils sont encerclés par les gendarmes qui ouvrent le feu, tandis qu’un hélicoptère lance des gaz lacrymogènes.
Ilmany Rénor est tombé ce jour-là. Il y a eu 5 blessés graves. Le 16 février, on retrouve le corps torturé de Georges Marie-Louise, près de la mer non loin de l’habitation Chalvet, à Basse-Pointe.
Là aussi, un mois de luttes, de sacrifices, avant que les ouvriers obtiennent 35 F 50 dans la banane. La lutte n’aura pas été inutile. C’est après 1974 qu’on voit l’apparition des premiers syndicats martiniquais.
Conclusion
Un siècle de luttes. Ce qu’il y a de nouveau en 2009, il ne s’agit pas seulement d’ouvriers de la canne ou d’ouvriers de la banane. C’est un peuple qui est descendu dans la rue. C’est un mouvement de masse car la baisse du pouvoir d’achat touche l’ensemble de la population. Nous sommes dans une véritable paupérisation de notre société.
Allons nous continuer tous les 10-20 ans à demander des augmentations de salaire pour défendre notre pouvoir d’achat ou allons-nous résolument changer de cap pour une société plus juste.
A nous de choisir.
[1] Historienne et femme politique martiniquaise