Extrait d’une analyse de la CIMADE [1] à propos des accords sur la gestion concertée des flux migratoires entre la France et d’autres pays. La France et Haïti sont en cours de négociations.
Document soumis à AlterPresse le 21 janvier 2009
Le codéveloppement est généralement défini comme toute action de développement menée par ou
avec des migrants. Ce concept n’a pourtant jamais été clarifié par le ministère de l’Immigration qui
utilise d’ailleurs désormais le terme énigmatique de « développement solidaire », qu’il définit
comme les « actions d’aide au développement qui s’appuient et participent à une meilleure gestion
des flux migratoires »
Est-ce une manière de brouiller davantage les cartes et de légitimer ainsi qu’on mette également
dans la balance l’aide au développement lors des négociations de ces accords ? C’est ce que laisse
penser leur contenu.
Le premier accord, qui a été signé avec le Sénégal, ne s’embarrassait d’ailleurs pas de telles
précautions et incluait d’emblée un volet « coopération pour le développement » financé par
l’Agence française de développement (AFD), avec un soutien au plan REVA (Retour vers
l’Agriculture) et notamment un soutien financier de 3 millions d’euros supplémentaires pour
« renforcer le pilotage des activités de contrôle des maladies à transmission hydrique et à appuyer
les initiatives de lutte intégrée contre la bilharziose ». Il était alors signé du ministre de l’Intérieur
de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui n’étaient pourtant pas en charge de la coopération.
Les accords suivants s’inscrivent dans la même logique. L’accord franco-congolais comporte un
volet « codéveloppement et aide au développement » qui inclut des actions d’aide au
développement dans le domaine de la santé et de la formation professionnelle et technique.
Dans l’accord passé avec le Bénin, l’article sur le codéveloppement et l’aide au développement met
l’accent sur le secteur de la santé. Le volet intitulé « codéveloppement et coopération en matière
de santé » décline les axes prioritaires dans ce domaine. Certaines de ces mesures seront
financées par un prêt concessionnel de l’AFD. Or, comme le souligne le rapport du Sénat portant
sur ces accords [2], les trois secteurs de concentration de l’Aide publique au développement (APD)
française au Benin sont l’éducation, le développement rural et les infrastructures. Le secteur de la
santé ne faisant pas partie des priorités. Cet exemple soulève en effet le manque de cohérence,
voire la contradiction entre l’APD et le document-cadre de l’accord de gestion concertée des flux
migratoires.
Quant à l’accord avec la Tunisie, il mentionne un volet « développement solidaire » [3] qui couvre
tous les domaines de la coopération : l’éducation, la recherche scientifique et technologique, la
santé, la culture, l’environnement, le développement rural, l’agriculture et le tourisme et cible en
priorité les régions d’origine des migrants. Pour obtenir la signature de cet accord, le M3IDS
s’engage à hauteur de 30 millions d’euros sur trois ans pour financer des projets de formation
professionnelle (annexe 1 de l’accord). 10 millions supplémentaires sont attribués à d’autres types
de projets (annexe 2).
Le projet d’accord franco-malien n’indique pas à ce stade le budget dédié à la mise en place d’actions de
« développement solidaire » (notamment appui aux secteurs productifs ou générateurs d’emplois comme
l’agro alimentaire, l’élevage, ainsi que l’orpaillage et le tourisme, l’hôtellerie et la restauration).
Or, comme le souligne le rapport du Sénat18 « la capacité même du ministère de l’immigration à
prendre de nouveaux engagements est fortement amoindrie par le projet de loi de finances pour
2009. Les autorisations d’engagement pour les actions bilatérales de développement solidaire sont
ainsi réduites de près de 50 % entre 2008 et 2009, passant de 45 à 23 millions d’euros, la
programmation 2009-2010 ne laissant pas préjuger d’une évolution favorable ». Il est peu probable
que ces crédits soient suffisants pour remplir l’ensemble des obligations de la France contenues
dans ces accords en matière de développement solidaire…
Quant aux dispositions concernant les actions de développement mises en place par les migrants,
elles se focalisent surtout sur les transferts d’épargne. Cette dernière intéresse car elle représente
une manne d’argent considérable. La mobilisation de cette épargne « à des fins d’investissement »
est donc encouragée dans ces accords.
Il est ainsi proposé de mettre en place des structures financières spécifiques pour le
codéveloppement, facilitant les démarches et proposant des avantages par rapport à d’autres types
d’épargne. Le « compte épargne codéveloppement », instauré en 2006 est mis en avant mais il n’a
jamais véritablement fonctionné.
C’est oublier que l’épargne des migrants constitue avant tout des fonds de nature privée qui servent
le plus souvent à améliorer l’ordinaire (achats de biens de consommation durable, dépenses de
santé et d’éducation, habitat etc.). Même si une partie peut être utilisée pour des projets collectifs,
cette épargne n’a en tout cas pas vocation à se substituer aux responsabilités des États en matière
d’infrastructures et de services de base.
[2] Voir : http://www.senat.fr/rap/l08-129/l08-1291.pdf, p. 41